Difficile d'imaginer un tableau plus sombre que celui dépeint par le prologue de Soul Sacrifice : impassible, un mage sanguinaire nommé Magusar exécute inlassablement les hommes qui attendent fiévreusement leur tour dans l'antre de la mort, et il se pourrait bien que l'on soit le prochain sur la liste... Heureusement, il n'y a pas que des cafards pour nous tenir compagnie dans ce cachot et réagir aux tapotements sur l'écran tactile (l'une de ses rares applications). En effet, sous ce tas d'ossements et de chairs putrides se cache Librom, un livre ensorcelé. Car cet effrayant bouquin parle, avec une voix sensiblement moins démoniaque que dans la version japonaise, ce qui rajoute une touche d'humour - fût-il noir - à ses intrigants commentaires. Néanmoins ses pages ont conservé la même noirceur, à quelques références religieuses près, puisque c'est l'auteur lui même qui y raconte sa terrible histoire de son timbre ténébreux. Derrière ses mots lancinants se dessine une lente descente aux enfers, illustrée par des esquisses délicatement animées. Cette mise en scène épurée, voire minimaliste, permet de développer la portée spirituelle et philosophique du récit, tout en laissant s'exprimer la poésie de cette prose. Un lyrisme que renforcent les compositions mélancoliques de Yasunori Mitsuda, à l'image des souvenirs dans Lost Odyssey. D'autant que notre conteur souffre de nombreux trous de mémoire, matérialisés par des chapitres manquants. Si certains réapparaissent au fil de la lecture, d'autres dépendent des décisions du lecteur, ou plutôt du sorcier que l'on devient en apprenant les secrets de ce grimoire.

Un livre dont vous êtes le démon

Tout n'est pas écrit d'avance, il nous appartient donc de réécrire cette épopée à travers le choix du sacrifice ou de la rédemption. Un cruel dilemme compte tenu de ses multiples implications pour soi même ou pour les ennemis. Tout d'abord, un archidémon épargné peut se muer en allié, et donner accès à des chapitres fatalement effacés de l'histoire dans le cas contraire. De plus, le soin apporté à la narration introduit une notion morale, en faisant ressortir la part d'humanité qui subsiste dans ces êtres transformés en monstres. Méritent-ils d'expier leurs pêchés, ou vaut-il mieux les libérer définitivement de leurs souffrances ? De ces questions découle le principe fondamental de Soul Sacrifice, car trancher pour le sacrifice augmente les pouvoirs magiques, tandis que le pardon renforce l'énergie vitale, comprenez l'attaque et la défense respectivement. Cette mécanique remplace ainsi les points d'expérience, mais également l'alignement, dans la mesure où la répartition des niveaux détermine l'orientation d'un personnage, du plus occulte au plus divin. Tout ce pouvoir se concentre dans son bras droit, sur lequel des runes scarifiées viennent moduler davantage d'attributs suivant le degré de corruption, afin de customiser son héros en profondeur. D'autres parties du corps sont susceptibles de subir des mutilations si l'on se livre aux rites obscurs, des sortilèges dévastateurs déclenchés par le biais de l'écran tactile lorsque la barre de santé atteint un seuil critique. Il y a évidemment un prix à payer, comme un épiderme brûlé qui diminue la résistance de moitié, ou la perte d'un oeil synonyme d'une vision altérée. Et ces blessures ne disparaissent pas spontanément, seules les larmes de crocodile pleurées par Librom sont capables de les guérir.

Douleurs fantômes

Idem pour les offrandes, qui s'épuisent à chaque sort lancé. Bien qu'elles se restaurent à l'issue d'une bataille, dépasser leur nombre maximal d'utilisation les détruit, avec là encore des gouttes de Lacrima pour unique remède. Ces objets constituant les armes principales, on a tout intérêt à en améliorer l'endurance et la puissance grâce à l'artisanat, qui fonctionne selon une règle très simple de niveaux, avec deux exemplaires pour passer au suivant, puis quatre, et ainsi de suite. Reste par conséquent à rassembler des montagnes d'offrandes lors des quêtes fantômes. Celles-ci se déroulent au sein d'arènes aux architectures variées, mais relativement exiguës, si bien que les missions consacrées à la recherche d'objets dans la brume ne sauraient s'assimiler à de l'exploration. De toute façon, l'objectif consiste la plupart du temps à éradiquer l'adversité, une approche pragmatique que reflète le gameplay incisif, focalisé sur le timing. Il s'appuie sur un précieux système de verrouillage avec la gâchette de gauche, celle de droite servant à switcher entre les deux trios de sorts répartis sur les boutons de façade, dont le quatrième contrôle l'esquive et la course. Au delà de vulnérabilités élémentaires, les magies disposent d'une portée plus ou moins étendue, celles destinées au corps à corps se montrant extrêmement percutantes. En outre, elles prennent des formes très différentes, telles que le tir d'oeufs de guivre, l'invocation de golem ou la salve sanguine, forcément coûteuse en santé à l'instar du sable temporel qui ralentit les ennemis. Cette richesse offre une diversité d'options absolument prodigieuse pour définir son style de jeu, un arsenal dans lequel il convient de piocher en fonction de la situation, et des éventuels compagnons.

Plaisir de s'offrir

Car si l'on dévore cet imposant pavé en solo, des camarades sont souvent présents pour nous épauler. Soul Sacrifice a en effet été pensé pour la coopération, si possible avec des joueurs en chair et en os. La force démesurée des Boss, qui représentent la majeure partie des missions, ne tarde pas à le rappeler, au point de susciter les actes les plus désespérés pour s'en débarrasser. Ce qui nous mène à l'essence même de Soul Sacrifice, puisqu'un soldat agonisant peut être ranimé au prix de la moitié de la santé de son soigneur, ou sacrifié afin de déclencher un puissant sortilège. Le mourant a la possibilité d'émettre un souhait, cependant c'est son rédempteur ou son bourreau qui en décide. Un choix prévisible avec les guerriers dirigés par la console dont on connaît la moralité, mais beaucoup moins avec des joueurs humains, forcément plus enclins à nous achever si l'on constitue un fardeau. N'ayez crainte, de la même manière qu'un archidémon sacrifié peut être ressuscité, ou rallié à votre cause si un désaccord l'a amené à vous quitter, rien n'est irrémédiable. La mort n'est qu'un état passager pour le héros, qui autorise d'ailleurs à visualiser précisément la barre de vie des ennemis et à donner un coup de pouce à ses compères sous la forme d'un spectre. C'est là que réside toute la saveur du multijoueur : un festin de batailles dantesques soutenues par les envolées symphoniques de l'orchestre de Skywalker Sound. Ce spectacle est encore rehaussé par la taille des Boss, la beauté grotesque de ces abominations faisant oublier la grossièreté de certaines textures, sans doute nécessaire à la fluidité d'animation de l'ensemble. Il comporte néanmoins quelques petits accrocs, notamment dans les environnements étroits. Malgré l'efficacité du second stick pour gérer la caméra, la fonction contextuelle de sacrifice et de rédemption allouée aux gâchettes engendre parfois des interférences avec leur rôles primordiaux. En outre, se goinfrer ainsi de Boss peut conduire à l'indigestion, en dépit de leurs comportements et mécaniques assez élaborés. Au fond, l'expérience se résume à recommencer indéfiniment des quêtes fantômes, dans l'espoir d'obtenir les meilleures offrandes qui récompensent une excellente performance, y compris quand on se sacrifie pour son équipe. Toutefois, les rumeurs (par exemple l'opportunité de recevoir un objet rare dans certaines conditions) colportées par les joueurs contribuent à redonner de l'appétit, de même que les cadeaux transmis par l'intermédiaire de Near. De ce fait, la soif de sang que crée cette quête de puissance demeure obsédante, jusqu'à en perdre l'âme et la raison, un parfait prétexte à la consommation de DLC, naturellement...