Il y a une certaine excitation à découvrir un nouveau Mario sur une nouvelle console. Pas un remake ou une conversion vite bricolée, non. Le vrai Mario. Sa sortie nous renvoie toujours à nos souvenirs. Où étions-nous quand on courrait comme des dératés dans Mario 64 ? Dans quelle classe étais-je quand j'ai dompté Yoshi pour la première fois ? Sitôt déballé, je me souviens de la galère pour atteindre la prise péritel qui rendait l'âme à force de l'avoir trop triturée avec la Megadrive. Aujourd'hui, tout est un peu moins drôle, à l'image des ridicules vidéo d'unboxing qui tuent le plaisir de la découverte d'une nouvelle machine qu'on extirpait du polystyrène à la maison. Pour jouer à New Super Mario Bros U, il a fallu signer tout un tas de papiers m'interdisant de révéler jusqu'à la présence de plateformes dans les derniers niveaux de ce jeu de plateformes. Et puis interdiction de ramener chez soi la précieuse bécane inédite pour essayer pépère un multi entre potes. Il a donc été testé. Ca y est, ça me revient : quand j'ai fraîchement reçu ma Nintendo 64 du Japon, nous étions cinq étudiants, nous avions littéralement passé la nuit dessus, jusqu'à ce qu'on ne tienne plus debout. C'est certain, en 2012, tablette en main, quelques Mario en série, et un souvenir amer plus tard, ça va être compliqué de retrouver cet enthousiasme.

Ancienne façon de jouer

On comprend vite qu'il vaut mieux regarder la télé plutôt que l'écran de la tablette (ceux qui utilisent l'affreux néologisme "mablette" méritent les pires outrages) pour une simple histoire de confort visuel. Toute une aventure à tenir ce bout de plastique, mi-hightech, mi-cheapos, va demander un certain entrainement. Malheureusement pour lui, New Super Mario U sera scruté et analysé beaucoup plus que de raison parce que c'est un jeu de lancement d'une console vendue avec une tablette. C'est le premier Mario en HD et soudainement on s'intéresse à la finesse de ses graphismes ou à son frame-rate sur grand ou petit écran. Tout ce dont on se moquait encore à l'époque de Super Mario World. Au fur et à mesure de la progression, on se rend compte que c'est clairement ce dernier qui a servi de modèle. Super Mario Bros U ne se la joue justement pas "Nouvelle Facon de Jouer"™. Pas de micro, ni de caméra, encore moins de tactile, la seule concession qu'il fait, c'est de parfois obliger à pencher parfois la tablette. Et prendre le risque de la balancer de rage.

La princesse est bien dans ce château

"New". C'est marrant, cette manie de répéter qu'on est nouveau et jeune. Dans la vie, c'est bien le signe qu'on est devenu vieux. Personne ne l'achèterait, ce quatrième "New" s'il nous disait vraiment son âge, s'il se montrait sans masque. "Voilà, j'utilise des ressources vieilles de 20 ans, je n'apporte aucune nouveauté structurelle à l'épisode sorti il y a 6 mois, je fais mine d'être nouveau, prends-moi ! Maintenant dans les bacs". Sans blague, Mario peut revêtir une tenue d'écureuil et... on ne distingue plus trop les nuances à la longue. "Est-ce que c'était déjà là il y a 6 mois dans New Super Mario 2 ? Ah non. Par contre la boule de glace, ça y était, non ?" A l'image de cette course aux tenues kawaii et autres idées pour cosplay, Mario n'a jamais autant été obsédé par l'idée de plaire à tous, à la limite du pervers narcissique. Il y a toujours le Super Guide qui sonne, passées quelques vies consécutives perdues. Bon sang, le bruit humiliant du Super Guide qui résonne encore, comme pour te rappeler que le nombre de vies, ce n'est pas seulement là pour décorer... Les nouveautés, malheureusement sous-exploitées, ce sont les défis et le time-attack. Même pas de tableaux des scores en ligne ! Et pourtant, dans un jeu dont le rythme s'accélère quand on ramasse des pièces... ça c'est pervers et génial à la fois. Des idées pour l'épisode suivant ?

Super Mario Uorld

C'est vers les derniers niveaux, quand le cerveau bascule en mode "skill" que je me suis souvenu pourquoi j'aime ces Mario. Il y a du génie et du savoir-faire dans ce level design dont la mécanique s'adapte aussi bien à la rigueur du jeu solo qu'au bordel ambiant du jeu à 5. Le joyeux cinquième sert d'aide avec la tablette, indiquant des passages et créant des plateformes. Smart. Il faut un peu de temps pour s'imprégner de ces niveaux. Ce n'est jamais immédiat même s'ils donnent l'impression d'avoir été couchés dès le premier jet . Le déclic, c'est quand je comprends les "patterns" plus ou moins alambiquées pour atteindre des objectifs délicats. Presque une logique de shoot them up. A ce moment précis, le jeu me nargue, il me fait croire que c'est atteignable du premier coup alors qu'il a toujours un temps d'avance sur le joueur. A un moment, un drapeau de mi-parcours tombe littéralement sur une plateforme qui bouge. La première fois, je l'ai manqué. On la manque toujours. Tout le monde se fait feinter. En ne changeant pas sauf pour se rendre plus beau, Mario est redevenu un mindgame ultime. Car c'est aussi ça, la vérité du jeu de plateforme : les autres tentent. Ils essayent de se rendre "Epic", mais rien à faire, Mario tourne le dos aux sirènes du gadget au profit d'une physique stricte et épurée, d'une mécanique étourdissante d'efficacité. A la fin, on sait : "New", ça veut dire que plus ça change et plus ça sera la même chose.

"Trop de Mario tue le Mario". Telle était ma conclusion cet été, après avoir bouclé New Super Mario Bros. 2 sur 3DS. Je me permets aujourd'hui d'affiner mon jugement. Ce sont seulement les Mario les plus mineurs, les plus anecdotiques qui entachent les bons crus comme celui d'aujourd'hui. En fait cette abondance de Mario ne justifie plus l'achat d'une console comme c'était le cas avec la Super Nes ou la N64. C'est bien le plus gros reproche qu'on peut faire à cette émulsion habile de Super Mario World et de la génération "New", réussie comme rarement jeu de plateforme ne l'a été. New Super Mario Bros U est certainement l'argument de vente le plus ambigu de la Wii U, un "universel soldat", venu du passé mais avec les armes du présent. Petit, grand, déguisé en écureuil, à dos de dinosaure, qu'importe, il avance, toujours un peu le même à quelques plateformes près. Il a peut-être grillé quelques cartouches en route mais son idéal ne mourra pas.