Aujourd'hui, c'est lundi confession...

Allez, entre nous, rassurez moi. Dites moi que, vous aussi, vous avez déjà éprouvé cette sensation d'être le seul à ne pas apprécier ce que la plupart qualifient de chef d'œuvre. Seul contre le reste du monde, on se sentirait presque penaud. Seul face à la dictature du bon goût et son cortège de qualificatifs onanistes : poésie, art, expérience & co. Et cela marche avec tout. Musique, cinéma, roman... et donc forcément avec le jeu vidéo.

Eh bien c'est ce que je ressens alors que je suis resté hermétique face à un monument inattaquable, un monstre sacré ludo-numérique : Shadow of the Colossus ! Pris à mon propre piège. Me voilà bien, moi dont les goûts personnels étaient calibrés pour me repaître de ces fameuses "expériences". Moi qui loue à l'envi ces titres tentant de mêler sensibilité artistique et gameplay expérimental. Moi qui était allé dégoter ICO alors qu'il tournait encore sur PSone. Moi qui avait été marqué au fer rouge pour la maestria du premier Ueda. Oui, j'étais programmé pour tomber en adoration éperdue devant Shadow... et puis patatra.

A-t-on le droit ne pas aimer un chef-d'oeuvre ?

Nous sommes en 2005. Après plusieurs heures et autant de colosses terrassés, non, rien à faire, je n'arrive pas à me laisser haper. Voyageur hébété, je reste à quai. J'ose l'affront ultime : je m'ennuie. Le jeu me frustre, trop boursouflé, parfois un rien prétentieux, trop éloigné du joueur. Que se passe-t-il ? Autour de moi, tout le monde glorifie le nouveau chef d'œuvre de Ueda et me regarde avec des grands yeux. Je me sens isolé, presque jugé. Je dois être passé à côté de quelque chose. Je culpabiliserais presque. Je me replonge donc dans l'aventure. Mais rien n'y fera. Je me tiens à ma première sensation : Shadow of the Colossus est un jeu trop ambitieux pour la PS2. Un jeu aussi esthétiquement phénoménal, que ludiquement bancal. Car s'il est impossible de mettre en cause son magnétisme, quid des ralentissements quasi permanents ? Quid des caméras pas toujours bien gérées ? Quid de cette vallée aussi hypnotisante... que vide, diaboliquement vide ? Aller-retour incessants. Point A, point B. Point A, point C. Point A, point D. Quid d'Agro, destrier certes étonnamment expressif, émouvant compagnon de route... mais aussi cheval le plus pénible de l'Histoire du jeu vidéo (un rocher ? Hop on se cabre et demi-tour automatique) ! Avec Shadow of the Colossus, Fumito Ueda a été trop gourmand et s'est laissé dévorer par son "art". Sans parler de quelques fautes de goût comme ces icônes roses semblant conçues à la va-vite avec une charte visuelle en inadéquation totale avec la noblesse de l'univers du jeu. Dur retour à la réalité.

Mais que suis-je devenu ? Me serais-je transformé en monstre sans cœur ? Je vous vois venir... Oui, bien sûr la chute des colosses me touche. Evidemment que la fin est, et restera, culte. Quelle beauté. Quelle remise en question. C'est un fait, mais le périple ludique pour y parvenir m'aura passablement frustré et nous parlons bien de jeu vidéo, non ? Hier, comme aujourd'hui en HD, rien n'a d'ailleurs changé dans cette remasterisation en forme de service minimum.

Voilà donc mon coming out ludique. Oui, au-delà de la grandeur de son visuel et de la profondeur de son message, je trouve que Shadow of the Colossus a oublié d'être un grand jeu. C'est mon avis et il n'engage que moi. Mais aujourd'hui, a-t-on le droit de ne pas aimer un tel chef d'oeuvre ? On aurait tendance à dire "oui"... si l'on ne courait pas immédiatement le risque de passer pour un ennemi du "beau dans le jeu vidéo", de la sacro-sainte pensée unique du "ce-jeu-vidéo-c'est-de-l'art-tu-vois"... Car dans les faits, ce n'est pas si facile d'aller à contre-courant, d'oser être pris pour "quelqu'un qui n'a rien compris" (mode sobre du "crétin") surtout face à des oeuvres dites cultes. Pourtant, je le clame : il est possible de louer les prises de risques, d'aimer les expériences visuelles, les voyages numériques... mais de ne pas apprécier Shadow of the Colossus ! Ce qui n'est pas le cas d'ICO, plus modeste dans sa structure, mais tellement mieux équilibré. Plus mature dans sa progression, dans sa volonté de toujours mettre le joueur au coeur de l'action, de le laisser en contrôle. A mes yeux, le voici, l'instant de grâce de Ueda.

Ne me reste plus qu'à souhaiter, du plus profond du coeur, que ce soit l'héritage, l'équilibre, la subtile science du gameplay, la maîtrise tout en retenue d'ICO qui couleront dans les veines numériques de The Last Guardian... où bien il ne restera plus que du hype, de l'art, mais pas forcément du jeu.

Apprécier un produit culturel étant par définition même subjectif, vous avez déjà dû rester de marbre face à des jeux adulés par le monde entier. N'hésitez pas partager ces sensations dans le forum. Car oui, aujourd'hui, l'heure est à la confession...