Japan Studio, de Sony, s'échine à partager des univers riches, variés et surtout bien différents de nos canons habituels : Patapon, Loco Roco, Echochrome, Tokyo Jungle, autant de succès critiques loués pour l'originalité des univers parcourus que de succès commerciaux des plus modestes. Ce qui n'empêche pas Sony de produire et commander moult expérimentations visuelles, encore et encore. Avec Puppeteer, Sony continue sur cette voie. Avec, peut être, le danger de se contenter que d'un travail stylistique ?

Pour les enfants pas débiles

De nos jours, et encore plus sur les jeux vidéo nourrissant en masse le consommateur avec du shoot et du foot, il devient péjoratif de cibler la « jeunesse » comme public vidéoludique. C'est quoi, un public « jeune » en jeu vidéo ? Adibou, Dora pour rester dans les clichés ? Luigi et Carottin pour s'aventurer dans le troll ? Un jeu « pour enfants » ne veut pas dire grand chose en soit mais connote un univers coloré, magique, naïf, peut être conté... Comme un Classique Disney, peut être ? Comme un Miyazaki ? Convenons que derrière une mise en forme attractive et colorée se cache des messages et des thématiques d'adulte. La maltraitance des enfants comme thématique abordée dans un Bernard et Bianca ou un Chihiro n'a rien de bien joyeusement « enfantin »... Et pourtant, toute la force de ces deux exemples étant de joindre la forme extrêmement accessible et le fond pas des plus joyeux, grâce à un jeu de symbolique, de mise en scène à double sens ou de tension progressive. Au final, ces films « pour enfants » devenaient accessibles aussi pour les adultes, signifiant la qualité créative de ces productions à réunir les publics sans compromis. Puppeteer s'inscrit dans ce public. D'apparence enfantine, où un narrateur nous conte les aventures de Kutaro, un enfant transformé en pantin de bois, ayant perdu la tête, dans un univers multi-couleurs où le grand méchant Ours (et non Loup...) de son ombre gigantesque terrifiera les plus jeunes de nos bambins. Armé de son jeune courage grâce au soutien moral du chat Yin Yang ou de la Princesse solaire, tel un Jiminy Cricket ou une fée Clochette, le joueur devra se défaire des généraux du méchant Roi Ours.

Vous incarnez donc Kutaro, un enfant de la Terre capturé par le méchant Roi Ours ayant pris la place de la légitime Reine Lunaire en lui dérobant ses pouvoirs. Son âme étant capturé dans un pantin de bois, le jeune héros perd sa tête mais est secouru par une méchante sorcière cherchant à récupérer les artefacts qui garantissent le pouvoir du Roi. Si Kutaro réussit sa mission des plus délicates, il pourra retrouver son corps de chair et retourner sur Terre. Ce que nous donne à voir Puppeteer n'est pas qu'un simple conte mais un Théâtre de marionnettes. En effet, l'aventure est découpé en 7 actes de trois rideaux dont la mis en scène mélange la scène théâtrale illustrée par le rideau et les projecteurs au premier plan, à l'univers des livres pop-up (ces livres en carton où une scène sort en relief à chaque page tournée). Ainsi, nous voyons vivre des décors en carton où les différents plans sortent du sol, sont retournés ou sont tenus en l'air par des fils, offrant un ensemble terriblement dynamique. Les décors très variés et colorés défilent rapidement au fil de l'aventure débutées et clos par la fermeture du rideau. Ce théâtre fictif est accompagné d'une bande son de haute qualité où l'on pourra entendre les réactions du public, soit pendant les cut-scenes où l'histoire reprend son cours mais aussi pendant les phases de jeu, où le fait de tomber, ou de s'être fait touché activera les rires, craintes ou autres exclamations de la foule. La voix du narrateur et des différents rôles avec une tonalité expressive, voir un peu excentrique, intégralement en français donne un gros coup de peps à l'aventure qui pourtant se déroule sur une unique scène. Cette même scène bien encadrée par le rideau pendant toute l'aventure pourrait avoir tendance à rigidifier la mise en scène... Ce qui est exceptionnellement évité par cette multitude de sons enjoués et l'animation du décors, irréaliste comparé à un réel théâtre, tout en bondissant et traversant du cadre. Cette bonne humeur évoquée dans ces animations et doublages est bien entendu appuyée par une très belle colorisation du titre et une grande diversité de décors. On voyage beaucoup, bien que nous n'évitons pas les clichés comme l'univers des cerisiers du Japon, les monts enneigés, etc etc mais dont on soulignera sa mise en forme composée de nombreux détails, tant en arrière-plan que dans le premier plan interactif avec des feuilles, des toiles, des pétales, des flocons qui traversent votre écran mettant ainsi en avant un joli découpage des plans tels des pans de faux décors de théâtre. Un effet parfaitement justifié puisque le jeu tire partie des écrans relief. Puppeteer est en tout cas formellement réussi alliant diversité, couleurs, dynamisme des animations, richesse des différents plans, jeu d'acteur joyeux et « théâtrale » si l'on peut se permettre l'expression, et apporte un univers tout bonnement sublime au joueur le poussant ainsi à avancer et continuer dans une aventure au gameplay qui n'a pas les qualités de sa scène.

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Puppeteer est un plate-former ? Action-aventure ? On ne sait pas trop, il touche à tout. Chaque acte est bouclé par un boss géant et chaque rideau a droit à un peu de la plate-forme classique dont l'absence d'élan du héros (il n'avance pas vite, ne saute pas très vite non plus) peut troubler les habitués à sauter et re-sauter machinalement, d'autant qu'on a une gestion de collision un peu laxiste, dans le contact ou les rebords, nécessitant juste de caler son rythme sur celui du jeu : assez mollasson. Le jeu refuse le gameplay demandant réflexe ou grande dextérité, et pose ainsi un rythme assez lent dans sa succession de défis. Ajouté à un peu de plate-formes, certains chevaliers noirs, qu'il faudra découper avec son arme principale apparaitront sporadiquement sur la map sans grande difficultés. Le petit Kutaro est armé d'une paire de ciseaux magique trop grand pour lui, leur donnant l'allure d'une épée. Grâce à ça, il pourra découper des éléments du décors en tissu ou en toile éliminant ainsi certains boss aux points faibles évidents. En découpant de larges pans du décors, Kutaro peut alors s'élever dans les airs en martelant le bouton « carré » à découper dans le sens que le joueur lui ordonne, proposant ainsi des niveaux verticaux et des petits pièges à éviter. Certains niveaux permettront à Kutaro de « rider » sur certains tissus par exemple, ceci grâce à une bonne variation de gameplay dû à un level-design qui évolue en conséquence des nouvelles armes du héros. Tel un bon vieux classique que l'on apprend à l'école, chaque acte sera accompagné d'une nouvelle arme qui sera constamment utilisée dans le niveau en question : bombe, bouclier, grappin, etc sont au programme avec les niveaux adaptés pour l'occasion. Le game design du jeu joue ainsi l'efficacité scolaire : une arme donnant une nouvelle action, dérivée en trois ou quatre features. Ce classique du plate-former/action permet surtout de ne pas ennuyer le joueur et donne ainsi de nouveaux outils pour renouveler la créativité du titre. Constamment. Si, en toute logique, cet apport régulier de nouvelles armes et donc de diversification de level-design fonctionne, la recette est bien grossière et n'efface pas cette sensation de facilité et d'extrême linéarité. Trop facile à cause du rythme lent des successions de plate-formes, ou ennemis ou énigmes et une linéarité entrainée par cette facilité et cette mécanique répétitive des nouvelles armes. Le gameplay manque de parti-pris fort et se repose sur la recette éculée d'apporter une feature par niveau pour masquer l'absence de dynamisme des niveaux. Trop facile car peu de plate-formes, et en plus trop lent, empêchant le joueur d'utiliser avec intelligence ces outils, Puppeteer est en fait trop dirigiste avec un tempo éliminant toute surprise et prise de risque pour le joueur. Soulignons même une signalétique vous ordonnant l'utilisation de telle arme à tel endroit, dirigeant le gameplay jusqu'au boutisme. Du coup, cette recette du renouvèlement de level-design par une nouvelle arme fonctionne plus comme un coup de fouet pour éviter au joueur de s'endormir devant ce plate-former mou du bulbe.

Le jeu aurait pu éventuellement avoir un parti-pris original, dans la mesure où le héros sans tête peut en récupérer de nouvelles dans les niveaux, dénichés par votre acolyte volant. Le joueur a droit à trois têtes, qui sont en fait trois vies. Si vous vous faites toucher, vous perdrez la tête et vous ne disposerez que de quelques secondes pour la récupérer avant qu'elle ne disparaisse. Si vous perdez les 3 : GameOver, sauf si vous accumulez assez de cristaux pour revenir au dernier checkpoint. Une recette classique à base de « vies » et de « continues » digne des 16-bits. Ces têtes, dont ils sont plus de cent à découvrir peuvent servir à certains endroits des niveaux. Bien alerté par une icône clignotante en cas d'interaction possible, si vous possédez la bonne tête, vous déclencherez un changement du décors : soit un bonus de vie, soit un passage secret, soit et c'est plus intéressant, une aide contre les boss. Par exemple, un boss peut vous frapper avec une boule à piques. Si vous enclenchez la petite animation spéciale lors de ce passage avec la bonne tête, l'arme de l'ennemi se transforme en boule de mousse vous évitant de vous faire mal. Une manière très intéressante d'offrir la possibilité au joueur de gagner des facilités. Hélas, vous ne pouvez pas contrôler les têtes que vous avez en main et il est impossible de deviner à l'avance quelle tête sera utilisable dans le niveau. Autrement dit, la possibilité de cette feature est liée à la chance d'avoir la bonne tête au bon moment. Dommage de ne pas avoir trouvé un moyen ludique au joueur de gérer ses têtes car au final cette bonne idée d'interaction du décors est dépendante de l'aléatoire.

Un peu comme Rayman Legends où un second joueur peut prendre le contrôle du moustique qui interagit sur quelques éléments du décors, on peut prendre ici le contrôle intégral du compagnon de Kutaro qui se devra de dénicher des cristaux ou des têtes (vies) planquées dans le décors. D'où l'intérêt d'avoir créé de très beaux et riches décors en arrière-plan puisque c'est ici qu'on devra trouver ces items. Si vous jouez seul, il faudra le manier au joystick droit. Si l'on conviendra que ludiquement parlant, le second joueur s'embêtera beaucoup puisqu'il n'aura qu'à marteler le même bouton sur les arrières-plans, cela offre aussi un maximum d'animations dans les scènes, rendant ce petit Théâtre encore et toujours plus vivant, ce qui fait tout son charme et pousse ainsi le joueur à continuer malgré une facilité des plus redondantes. Ce qui semble être anodin fait vivre l'univers de Puppeteer.

Puppeteer est une merveille formelle, visuelle et sonore où le joueur, petit ou grand, va être emporté dans une histoire facétieuse de héros naïf contre un Ours géant. L'humour, par mimiques, de réparties des personnages (aaaaah princesse solaire... fais-nous l'amour) ou burlesque, est omniprésent, bonifiant l'humeur du joueur. Hélas, cette bonne humeur est très vite mis en balance avec l'ennui du jeu en grande partie dû à sa linéarité mais surtout son dirigisme qui vous dicte avec grossièreté (symbole dans le décors, schéma répétitif) chaque action à effectuer, facilité par son tempo très lent donnant ainsi au joueur tout le loisir, certes d'apprécier le travail formel, mais hélas d'éviter le moindre challenge ou dynamisme ludique. Heureusement, le jeu abuse de ficelles connues et reconnues pour apporter de la variété : armes, features, décors, empêchant l'ennui total. Un jeu que l'on a vraiment envie de faire partager pour sa forme merveilleuse mais que l'on aura tendance à oublier par son gameplay en manque d'inspiration et de parti-pris. Il est dommage que pour les besoins de faire profiter de l'univers et de la richesse des décors, il faille rendre le jeu lent et facile. Les joueurs inexpérimentés ne devraient pas s'ennuyer mais les habitués aux jeux vidéo vont devoir s'adapter à ce rythme s'ils veulent apprécier Puppeteer.

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