Hello tous,

Aujourd'hui, je reprends un peu la plume parce que j'en ai gros sur la patate. Non, pas à cause de L'origine du monde, qui a déjà fait couler ici suffisamment d'encre, mais plutôt à cause  du monde tel qu'il va. Ou plutôt, ne va pas.

Je pourrais m'étaler des pages et des pages sur les grandes questions des inégalités nord-sud, des politiques opportunistes des Etats amenés parfois à soutenir les dictatures afin d'honorer le dieu Mammon. Je pourrais parler du cynisme désespérant avec lequel nous détruisons notre home sweet home, méthodiquement, en rognant toujours plus sur les derniers espaces inviolés de la planète bleue - et je ne parle pas que de l'Amazonie. Je pourrais m'arrêter sur les méfaits du capitalisme, sur la confiscation du pouvoir et des ressources par une caste toujours plus soucieuse de préserver ses acquis et son statut.

Mais ce que je souhaite ici, surtout, c'est évoquer la question, non moins importante, des rapports que nous entretenons avec l'Autre. Celui qu'on ne connaît pas, celui qu'on fréquente chaque jour, celui qu'on regarde parfois en coin. Cette question, c'est celle qui est inséparable de notre conception de la société, celle qui régit les valeurs mêmes de la communauté. Cette question se devine, en filigrane, derrière toutes ces grandes thématiques que j'ai évoquées plus haut. C'est elle, aussi, qui m'interroge chaque matin, quand je navigue de page en page, sur le web, dans la presse, à lire la sordide histoire de notre quotidien. Cette question, c'est celle qui définit notre compréhension profonde de la nature même de l'être humain. Ce n'est pas moi qui le dit, mais des gens bien plus savants, qui ont théorisé voici plusieurs siècles la conception du vivre ensemble. Hobbes, notamment, soutenait que nous étions un animal communautaire par nécessité: pour nous placer au sommet des écosystèmes, pour échapper aux dangers d'une nature dont nous n'avions autrefois pas le contrôle, pour exister justement au regard de l'autre en tant que complément, et non plus comme concurrent, nous avons construit une société dans laquelle nous devions nous sentir unis, et en sécurité.

Aujourd"hui, cette nécessité a fait long feu. Nous dominons notre environnement, nous apprenons progressivement à maîtriser les éléments, quand bien même ceux-ci se rappellent parfois douloureusement à notre mémoire. Peut-être est-ce là qu'il faut chercher la raison profonde de l'émergence de l'individualisme le plus total dans les sociétés les plus avancées. Cet individualisme qui nous fait oublier l'essentiel: nous ne pouvons exister, prospérer, que dans des valeurs de respect, au risque sinon de voir détruite la notion de communauté.

C'est cet individualisme, cet oubli du prochain qui me fait aujourd'hui réagir. J'ouvre la page d'actus de Google News, j'y lis à chaque ligne l'étendue de notre échec en tant qu'hommes. Aujourd'hui, nous manifestons contre l'accès au mariage et à l'adoption pour les homosexuels. Nous regardons l'autre comme un ennemi, comme une créature étrange dont ne voulons pas comprendre qu'il n'est pourtant que le reflet de ce que nous sommes. Aujourd'hui, nous faisons extraire par la police une enfant de cinq ans d'une cantine municipale, au simple motif d'un impayé qui concerne ses parents. 170 euros de dette, ai-je pu lire, pour une action qui n'a à aucun moment envisagé les conséquences du point de vue de l'enfant. Comment peut-on, dans une communauté, admettre une telle chose, comment pouvons-nous soutenir un tel choix lorsque nous enlevons à cette petite fille ce qui constitue sans doute l'un des derniers points de stabilité de sa jeune vie ? Ceux dont les parents ont divorcé le savent mieux que moi : voir sa famille se déchirer, puis grandir dans les ruines de son foyer est une souffrance dont a du mal à se relever. Celui qui a ordonné cette action est à l'image de tout ce que je dénonce :en cet acte il oublie, comme tant d'autres, l'importance vitale de l'humain.

L'intolérance, le refus de la différence, l'intransigeance... Autant de comportements qui trouvent leur source dans l'incapacité croissante de notre société à se mettre à la place de ceux qu'elle martyrise. Une vision peut-être noire, certes, et objectivement partielle de la réalité. Car, et vous aurez raison de le souligner, il y a aussi du bon en nous ; la communauté reprend le dessus lorsque celle-ci se trouve confrontée à l'exceptionnel, au dramatique. Mais c'est insuffisant. Pour bâtir un monde dans lequel nous nous sentirons bien, nous devons réapprendre à devenir les anonymes héros de notre quotidien, à nous mettre à la place de notre prochain. Nous devons retrouver le goût de choisir l'intérêt de tous plutôt que celui de chacun. Un voeu pieu cependant, je le crains...