Son nom n'est pas près de s'éteindre. Il est le synonyme de qualité, d'audace. Ce créatif cérébraliste est originaire de la ville d'Hitachi, Japon. Parachevant des études d'électrotechnique dans le but de devenir un ingénieur émérite, il fera carrière chez Square pour n'en sortir que 25 ans plus tard.
 
En choisissant un secteur d'activité éloigné de ses ambitions premières, ses fonctions de réalisateur de jeux vidéo révèlent tout de sa personnalité. Des titres, il en a dirigés, formatés, conceptualisés, animés. Le carcan managérial de la maison-mère de Square l'étouffe. Il s'irrite de recevoir des leçons de son état major très éloigné des spécificités de l'industrie des loisirs électroniques. Il ne cherche pas à jouer un rôle. Il dit ce qu'il pense. Il se comporte tel qu'il est. Comme s'il était inapte à masquer sa pensée, guidé par sa bonne foi. Le succès l'attend, il en est convaincu.
 
A la faveur d'une restructuration interne pilotée en haut lieu en 1986, Square s'affranchit enfin de l'étreinte de Denyusha Electric Company. Le marché des consoles de salon fait montre d'une vigueur retrouvée, la NES de Nintendo en est le principal moteur. L'évidence s'impose pour Sakaguchi. L'ascension ne s'est pas fait attendre. Adoubé par les décideurs d'alors avec lesquels il entretient d'excellentes relations professionnelles, il est promût directeur de la planification et du développement au sein de la nouvelle structure de Square. Il est rapidement chargé de produire des titres pour la console à succès de Nintendo. Trop vite peut être. Il s'inspire de son voisin Sega pour le moyen Rad Racer en 1987 et pour le pire, 3D WorldRunner l'année suivante.
 
Ces échecs commerciaux marquent une grande partie de son parcours professionnel. Si sa carrière s'est construite sur ses réseaux d'influence (Hiromichi Tanaka, croisé sur les bancs de l'école d'ingénieur), son chemin semble lié à son tempérament et à sa carrure professionnelle. Sans artifice, il attire la confiance. Sa délicatesse et sa discrétion se doublent d'une honnêteté parfois dangereuse. Il n'a pas peur des mots. Sa dernière création porte en elle l'ambition ultime, un Final inspiré lui aussi d'un succès appelé Dragon Quest. Ses pairs le soutiennent à bout de bras, la défiance de ses supérieurs l'attristera, lui qui fidèle, intègre, authentique a consacré son existence au service de Square.
 
Ne jamais renoncer. Convaincre et décider. Ces valeurs sauvent sa peau. Sa lettre d'adieu au secteur se transforme en véritable lettre de noblesse. Final Fantasy s'arrache partout dans le monde. Chaque épisode est impatiemment attendu par les fans de rpg. Il trouve l'accomplissement de son destin, reconnaissance qui jusqu'ici s'était toujours refusée à lui. Ses anciennes amitiés professionnelles se rappellent à lui, il sera nommé vice-président de Square en 1991. Car sa création traverse le temps avec une facilité déconcertante (la popularité du jeu explose progressivement sur NES, SNES, PSone et PStwo), les frontières aussi. Pour la première fois, un Final Fantasy est entièrement localisé en français. Le plus beau jeu du monde scandait la publicité d'alors, rien que ça.
 
L'imagination de Sakaguchi est plutôt prolixe, d'autres rpg voient le jour (Chrono Trigger, Front Mission...) plaçant ainsi Square comme le maître incontesté de cette discipline adoubée par un Nintendo en quête de parts de marché. Celles du nord de l'Amérique sont sous exploitées estime t-on en haut lieu. Sakaguchi aura pour tâche de les revitaliser, il est propulsé directeur général de la filiale américaine.
 
Il choisit ses combats. C'est un homme engagé, peut-être dévoré par les enjeux de groupes qui le dépassent. On ignore ses véritables motivations lorsqu'il poussera Square à faire front face à un Nintendo vacillant. Instigateur d'une haute trahison industrielle à la faveur de la PSone, son tempérament ignore les limites bien-pensantes, mesure le risque économique du passage de la cartouche au support CD. Il fera bloc devant la violence de la réaction du tout puissant Yamauchi, on ne trompe pas Nintendo sans conséquence durable. Il s'en moque. Il se contente d'en mesurer les conséquences sur le plan médiatique. Qu'il se rassure, les fans le suivront.
 
Le studio d'Hawaï, enfin. Sa grande histoire d'amour. Sa grande frustration aussi. Dévoué à l'infographie, il offre les plus belles cinématiques jamais réalisées dans le monde du jeu-vidéo. Une brèche est ouverte entre le 7ème art et le numérique. Son expérience professionnelle dans ce domaine scelle sa conviction. Final Fantasy est trop à l'étroit sur console, la franchise doit s'en affranchir afin d'atteindre une maturité artistique reconnue internationalement. Les Créatures de l'Esprit, film entièrement réalisé en images de synthèse devait consacrer l'ambition démesurée de Sakaguchi, sublimer la justesse d'un verbe imagé numériquement sur consoles. Il cherche à marquer de son empreinte l'industrie cinématographique qui découvre le photoréalisme, à mille lieux d'un inoffensif Toy Story.
 
Son rêve se brisera sur l'autel d'une idée qu'il s'était faite de sa profession et qui fut, un temps, sa colonne vertébrale. Le film est boudé, le budget colossal investit par Square ne sera pas rentabilisé. La santé financière de l'entreprise est chancelante, l'éditeur risque la faillite. Sony Corp. viendra au secours du plus prolifique éditeur en rachetant 20% de son capital. Son indépendance éditoriale est menacée, les dirigeants sont contraints à l'alliance avec Enix afin de diluer à portion congrue la prise de participation de Sony.
 
L'heure des comptes a sonné. Un déchirement. Brulé sous les feux de violentes charges internes, il se doit de quitter Square par la petite porte. La privation d'une entreprise avec laquelle il se sentait en accord profond lui fait prendre le large. Il part se ressourcer dans la culture. Deux années de traversée du désert avant de revenir sur la scène ludique. En 2004, il fonde Mistwalker. L'ancien haut créatif emblématique du plus puissant des éditeurs japonais devenu responsable d'un petit studio, demeure l'éternel marginal du système dont il est issu. Mais l'homme a résolument décidé de recommencer à s'amuser. C'est en définitif un marginal conjoncturel.
 
Le contexte délicat d'une industrie en fin de cycle lui est d'ailleurs favorable. Microsoft financera ses trois projets dans le but de faciliter la pénétration de la 360 sur le sol japonais avec un genre plébiscité, le rpg. Deux jeux portant ostensiblement sa signature seront commercialisés (Blue Dragon et Lost Odyssey) avec une réception du public loin des attentes de Microsoft. Le troisième projet sera annulé. Pour l'opportuniste Microsoft, Sakaguchi n'ai pas un charisme spontané mais un charisme de situation. Celle-ci lui est défavorable. Il prendra donc ses distances d'avec le géant de l'informatique pour s'ouvrir aux autres plates-formes.
 
Celles de Nintendo sont en bonne place, pas celles de Sony, les grandes absentes. Le temps n'a pas suffisamment cicatrisé la terrible volte face des années fastes. Il semble le regretter encore. Pour le nouveau dirigeant de Nintendo qui ne fonctionne pas à l'affectif, ce désamour n'était visiblement qu'une pause. Une nécessité.