Encore un texte revendicatif et énervé ? Oui, désolé, on veut pas se faire
passer pour les Che Guevara du jeu vidéo, mais il faut dire que les
raisons de s'enflammer ne manquent pas en ce moment. Et comme à chaque
fois, tous les malheurs de l'industrie semblent être imputables aux
joueurs...

Aujourd'hui le joueur accumule la double fonction de vache à lait de l'industrie et de bouc-émissaire du moindre dérèglement dans le bilan financier des éditeurs. On en a déjà parlé
abondamment sur CS, mais dans des cas aussi différents que complexes que sont le piratage ou le marché de l'occasion, la faute en revient toujours au joueur. Il se plaint et ne souhaite
plus acheter ses jeux ? Pour lutter contre le piratage, les éditeurs
n'ont rien trouvé de mieux que d'instaurer les système de DLC, des DRM ou le récent Project 10$. Vous me permettrez de ne pas m'appesantir sur chacune de ses
aberrations, je renvois ceux qui ne seraient pas encore au fait de la
situation vers les articles dédiés.

Là où ça devient grave, c'est que les
éditeurs n'hésitent plus à charger directement les joueurs dans la
presse, via des déclarations gonflées et manquant cruellement de
respect. Citons la dernière en date, œuvre de Cory Ledesma, directeur de création chez THQ :

« Je ne pense pas que ça nous concerne, quand les acheteurs de jeux
d'occasion sont mécontents parce que les acheteurs de jeux neufs
bénéficient de tout. Donc si les acheteurs de jeux d"occasion sont
contraits de ne pas avoir la fonction online, je n'ai pas vraiment de
sympathie pour eux. {...} C'est un peu brutal, mais on espère que ça ne
déçoive pas les gens. Nous espérons que les gens comprennent que quand
un jeu est acheté d'occasion, on nous arnaque.
Je ne crois pas que quiconque n'ait envie de ça, alors pour que nous
faisions des jeux WWE solides, de haute qualité, nous avons besoins de
fans loyaux qui sont intéressés par le jeu. Nous voulons rétribuer ces
fans avec du contenu additionnel. »

THQ ? Des mecs vraiment trop sympa !

Au-delà de la levée de violons menée par ce bon vieux Cory, qui nous ferait presque verser une larmichette,
soulignons l'incroyable virulence des propos. L'occasion est un droit
universel, qui s'exerce dans toutes les industries, et qui permet au
client de faire un peu fructifier son investissement de base. On ne
répètera jamais assez que celui qui revends son jeu investira à coup sûr son argent dans un nouveau produit neuf et que l'acheteur peu fortuné
n'aurait pas pu s'offrir le titre à plein tarif. Comme le dirait les
Inconnus, on se propose désormais de faire le tri entre le bon acheteur
et le mauvais acheteur. Pourquoi celui qui peut se permettre de casquer
70€ pour l'achat d'un produit culturel devrait se voir récompenser par
un surplus absent du jeu de base ? Un scandale quand on sait que
l'industrie du jeu vidéo ne propose que des produits hors de prix. Qu'il s'agisse des consoles ou des jeux, on n'est bien loin des tarifs
pratiqués par le cinéma, la bande dessiné, le théâtre ou la vente de CD
ou DVD. Et alors que la majeure partie des joueurs paient sans broncher, voilà qu'un petit gars de chez THQ vient nous faire la morale. Il
paraitrait certainement à ses yeux bien plus censé que les joueurs lui
ouvrent leur portefeuille en le suppliant de prendre tout ce qu'il
souhaite.

Mais au-delà de ces déclarations
contestables, on se rend compte que le joueur est désormais pris pour
cible au moindre flop commercial. Si des produits comme Shenmue ou
Beyond Good and Evil ne se sont pas vendus, c'est de la faute du joueur, qui n'a pas daigné dépenser son argent. Bien sûr, l'éditeur omet
naturellement toute auto-critique sur son investissement en
communication ou sur la façon dont il a mis en avant son produit via la
distribution. On fait maintenant peur aux joueurs, en lui expliquant
clairement que s'il n'achète pas tel ou tel jeu, ce sera sa faute si la
série dépérit. Autant j'adore la saga Castlevania, autant quand je vois
IGA (l'homme en charge de la série depuis Symphony of the Night) à l'E3
qui supplie presque les journalistes d'acheter son jeu, on se dit qu'il y a un problème. Il en est de même pour le président de Marvelous, un
éditeur japonais, qui s'était fendu d'une lettre ouverte aux joueurs au
moment de la sortie de Little King Story, expliquant que son entreprise
était en péril et qu'il fallait acheter ses jeux. Deux situations que je regrette de tout mon cœur et deux personnes à qui j'apporte tout mon
soutien, mais est-ce pour autant juste de faire culpabiliser les joueurs alors que l'industrie s'enrichit de jour en jour ? Nous en venons même à flipper lorsqu'un jeu nous tiens à cœur et qu'il ne semble pas
rencontrer le succès qu'il mérite. Je me souviens qu'à la sortie de
Bayonetta, je scrutais avec attention les forums ou blogs, histoire de
voir si le titre rencontrait un écho auprès des joueurs. Certains
trouveront certainement charmante cette prise de conscience et cette
implication, mais, je le répète, est-ce vraiment le rôle des joueurs que d'en arriver là ?

L'industrie marche vraiment sur
la tête. Les créateurs en sont réduits à implorer un peu d'attention,
alors que les patrons n'hésitent plus à leur couper les vivres dès qu'un de leurs jeux connait un destin commercial difficile. Quand on voit
comment ont été traité les gars de Double Fine (le studio de Tim Schafer derrière Brutal Legend) par la direction d'Activision, on hallucine
alors de voir les costards cravate du milieu nous dire que nous sommes
de mauvais consommateurs. Puis ils nous font porter sur nos épaules
l'ensemble des (mauvaises) décisions prises. Car être joueur militant,
oui, pourquoi pas ! Mais ce n'est pas à la portée de tous les bourses.
Et quand on demande aux joueurs d'être philanthropes, il me semble y
voir un certain paradoxe.

Par CouCou

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