Le premier Shenmue raconte les aventures de Ryo Hazuki, jeune japonais qui assiste impuissant à l'assassinat de son père par Lan Di, un mafieux chinois à la recherche d'un mystérieux "miroir." Sans argent et sans la moindre information, le jeune homme part à l'aventure avec pour seule compagnie sa soif de vengeance. Dans Shenmue II, l'enquête de Ryo le mène en Chine où il fait la connaissance de Shenhua, jeune femme qui a vécu toute sa vie dans un village reculé, mais qui avait inconsciemment entendu parler de la venue de Ryo via une prophétie qui se transmet de génération en génération. Et c'est alors qu'ils venaient de faire une découverte pour le moins surprenante au sujet des "miroirs" (parce qu'en fait il y en a deux) dans une grotte que l'aventure de Shenmue II se terminait, laissant Ryo, Shenhua et les joueurs bloqués dans cette même grotte pendant 18 longues années.

À la manière de Retour vers le Futur II, Shenmue III commence dans les dernières minutes de Shenmue II. Yu Suzuki n'a pas cédé à la tentation de briser le quatrième mur ou de mettre en scène une spectaculaire sortie de la grotte, comme pour faire une référence au temps qui s'est écoulé entre la sortie du second et du troisième épisode. Le game designer s'en est tenu à son idée initiale et a repris son histoire comme il l'aurait fait si Shenmue III était sorti sur Dreamcast en 2002. Bien évidemment, Ryo et Shenhua vont rapidement sortir de la grotte et débuter à proprement parler la suite de leur aventure. Au cours de cette nouvelle partie de son périple, Ryo va tout d'abord explorer le petit village de Bailu avant de poursuivre sa quête dans la grande ville de Niaowu. Si le jeune homme continue logiquement de chercher à mettre la main sur Lan Di, le gros de l'intrigue de Shenmue III tourne autour de la disparition et la recherche du père de Shenhua dont l'histoire est liée à celle des miroirs. Le héros va faire des découvertes sur ces derniers et leur histoire, tout en se faisant de nouveaux amis et ennemis en chemin. Toujours très impulsif, Ryo va tout de même évoluer au cours de son périple et certains dialogues, souvent facultatifs, vont le montrer sous son jour le plus humain vu jusqu'à présent. Le jeu contient également son lot de scènes cultes, dont certaines qui feront à n'en point douter frissonner les fans de la série. Si cette description du scénario de Shenmue III est volontairement vague, c'est pour ne pas révéler ce qui se passe dans le jeu à ceux qui attendent d'y jouer depuis si longtemps.

Très très Shenmue

Comme c'était déjà le cas dans Shenmue I & II, le joueur n'est pas tenu par la main. À lui de trouver comment progresser en allant parler aux personnages non-joueurs (PNJ) et en explorant son environnement. La progression relativement lente des deux premiers épisodes est donc de retour et la liberté totale de procéder donnée au joueur, fait qu'il semble peu probable de tout voir et de tout entendre en un seul "run" de Shenmue III.

De la même manière, il semble peu probable que deux joueurs fassent, voient et entendent exactement les mêmes choses au cours de leur première partie. De plus, rien n'indique ici clairement l'emplacement des quêtes facultatives ou des zones d'intérêt. Au joueur d'explorer pour faire des rencontres qui mèneront à des objectifs annexes, des mini-jeux ou des objets utiles. Contrairement à ce qui se faisait dans les deux premiers jeux en revanche, les quêtes annexes (qu'il est possible de rater) et leur progression sont notées dans le carnet de Ryo. Il est donc possible de garder un oeil sur ce qui a été fait et ce qui doit encore être fait. Malgré les contraintes de temps imposées par ce test, l'envie de continuer de jouer était constamment présente, tout comme l'envie de reprendre la partie au plus vite quand la console était éteinte. Et ce, malgré les problèmes d'ordre technique dont souffre le jeu (plus d'informations à ce sujet plus bas). C'est un signe de la qualité de l'oeuvre qui ne trompe pas.

Lors de sa sortie, Shenmue avait surpris et fait parler de lui en partie grâce à son réalisme poussé à un niveau rarement vu dans un jeu vidéo à l'époque. Dans Shenmue III, cette envie de réalisme de Yu Suzuki s'affirme à nouveau, mais de manière différente. Au cours du développement de Shenmue III, Yu Suzuki a toujours insisté sur le côté interconnecté des différents éléments qui composent le titre. Et cela se ressent. Comme dans la vie de tous les joueurs, se déplacer consomme de l'énergie. Pour en récupérer, il faut manger et dormir. Dans Shenmue III, les déplacements de Ryo font diminuer sa barre de vie (la perte d'énergie est logiquement accélérée lorsqu'il court), pour la remplir, il faut se nourrir (le sommeil entre deux journées in-game remplit également les points de santé). Si certains joueurs seront peut-être agacés par cette gestion de la barre de vie/endurance, un entrainement régulier fait que Ryo a rapidement assez de points de vie pour courir longuement sans avoir à manger toutes les deux minutes (si Ryo peut consommer des nombreux aliments pendant ses phases d'exploration, en combat, un seul type de boisson lui permet de regagner de la vie).

Argent trop cher

Bien évidemment, la nourriture n'est pas gratuite dans le monde impitoyable de Shenmue. Ryo a donc besoin d'argent. Cet argent, il l'obtiendra en faisant des petits boulots ou en réalisant des plus-values en revendant des lots d'objets qu'il s'est procuré dans des quêtes annexes, dans les boutiques, aux distributeurs de gashapons ou en jouant aux jeux de hasard. La seconde partie de Shenmue III contient beaucoup plus de boutiques dans lesquelles il est possible de faire des achats que dans Shenmue I & II. Comme dans la vraie vie, deux boutiques qui vendent des produits similaires ne pratiqueront pas nécessairement les mêmes prix. À Ryo de se renseigner et d'être prudent. Si de nombreux éléments découlent du nouveau système de gestion de la barre de vie de Ryo, l'interconnexion entre les différents éléments du jeu se ressent également à d'autres niveaux. À la fin d'une quête annexe par exemple, un choix de récompense devra dans certains cas être fait par Ryo. Et ces choix pourront avoir des conséquences sur ce que Ryo pourra faire ou revendre ensuite. Autre exemple, lorsque ce dernier travaille comme manutentionnaire sur le port (à bord de son célèbre chariot élévateur), livrer certains objets pourront les faire apparaître ailleurs. Dans Shenmue III, le monde apparaît donc encore plus travaillé qu'auparavant.

Dans Shenmue III, il y a donc l'histoire principale, que le joueur peut faire progresser aussi vite ou lentement qu'il le désire, et les quêtes annexes. Mais c'est loin d'être tout ce que propose le jeu. Ryo dispose de nombreuses manières d'occuper son temps. Il peut se trouver un emploi à temps partiel (couper du bois, manutentionnaire, etc.), récolter des plantes médicinales en explorant le monde du jeu afin de les revendre, jouer aux jeux de hasard, prendre part à des combats de rue, s'entraîner ou aller à la salle d'Arcade (toutes les activités ne sont pas accessibles tout le temps). Yu Suzuki n'a clairement pas voulu lésiner sur le contenu proposé et cela se voit. Malgré le financement participatif du projet, il est ici question d'un véritable Shenmue à part entière. Le joueur a de quoi s'occuper comme il le désire et il n'y a pas vraiment de temps mort dans Shenmue III. On regrettera simplement l'absence de véritables jeux SEGA dans les salles d'Arcade. Les jeux mécaniques et d'entraînement aux QTE sont sympathiques mais la parodie de Virtua Fighter est sans intérêt. C'est d'autant plus dommage que le jeu ne manque pas de références à la maison de Sonic.

The Dream(cast) is alive

Globalement, la prise en main des phases d'exploration est similaire à celle de Shenmue I & II, la liberté de la gestion de la caméra en plus. Même s'il est toujours plus lourd et rigide que ce que l'on a désormais l'habitude de voir dans les jeux vidéo, en particulier dans les environnements fermés, Ryo est tout de même plus agile et plus libre dans ses déplacements que par le passé (les fameux murs invisibles et les objets du décor totalement inamovibles n'ont cependant pas totalement disparu). Il est de plus possible et pour le moins simple de se déplacer en vue à la première personne, ce qui rend confortable les phases d'exploration ou d'enquête en intérieur. Manette en main, et malgré les quelques changements/amélioration, Shenmue III procure immédiatement des sensations dignes de celles ressenties en jouant aux épisodes Dreamcast originaux. Et pour votre serviteur, c'est une bonne chose. À tous les niveaux, le jeu fait replonger dans l'univers de Shenmue et dans une époque vidéoludique révolue depuis longtemps.

Les principaux bouleversements dans le gameplay se situent dans les phases de combat. Dans les deux premiers Shenmue, Yu Suzuki et son équipe s'appuyaient sur un système tiré du gameplay de Virtua Fighter. Ici, les combats ressemblent moins à ceux d'un jeu de baston en un contre un et plus à un jeu de combat moins technique dans des arènes en 3D. Les différentes techniques sont réalisées à l'aide de combinaisons utilisant les touches carré, croix, triangle et rond avec en plus un système de "loadouts" de techniques permettant de réaliser automatiquement les attaques sélectionnée en appuyant sur R2 (et en passant d'une attaque à une autre avec L1 et R1). Un bouton de garde est également présent et l'utilisation de la garde est associé à une jauge qui se vide lorsque la garde est utilisée. Le joueur doit donc apprendre à utiliser efficacement la garde et l'esquive, ainsi qu'à timer ses coups, pour réussir à s'en sortir.

Virtua Fighter RIP

Déstabilisant et à première vue simpliste ce système devient plus agréable à jouer au fur et à mesure que le joueur progresse et débloque des attaques plus avancées. Des joueurs bien entraînés devraient par ailleurs parvenir à faire de belles choses avec ce nouveau gameplay. Cela étant dit, il convient de noter que le nouveau système perd en ergonomie lors des phases au cours desquelles Ryo doit affronter plus d'un adversaire. Passer d'un adversaire à l'autre alors qu'ils attaquent simultanément n'est pas particulièrement confortable. Heureusement, ces types de combat ne sont pas très nombreux au cours de l'aventure. Même si la nouvelle façon de faire n'est pas à jeter, il paraît tout de même probable que le système à la Virtua Fighter de Shenmue I & II manque à certains joueurs.

Intrinsèquement lié au système de combat se trouve le nouveau système d'entraînement de Shenmue III. Pour augmenter sa force de frappe, Ryo doit aller s'entraîner à pratiquer ses techniques avec différents experts en arts martiaux. Pour ne pas rester bloqué à un certain niveau de puissance, Ryo va devoir se procurer régulièrement de nouvelles techniques et s'entraîner à pratiquer ces dernières. Et pour améliorer son endurance/la taille de la barre de vie de Ryo (ce qui, comme indiqué plus haut, a un impact sur l'endurance du héros en phase d'exploration), ce dernier va devoir pratiquer différentes postures, chacune liée à un mini-jeu simple mais efficace, dans des endroits prévus à cet effet. Dans la vie, un pratiquant des arts martiaux a besoin de s'entraîner avec régularité. Dans Shenmue III, c'est la même chose. Une personne qui prend son temps à jouer à Shenmue III et qui fait de petites sessions d'entraînement régulières ne devrait pas ressentir l'impression de corvée et ne devrait pas non plus rencontrer de grandes difficultés dans les combats du jeu (en normal).

Un jeu qui a une gueule

Il est désormais temps d'aborder un sujet qui regroupe les plus importants défauts de Shenmue III. Ce sujet, c'est la réalisation proprement dite. Mais avant d'évoquer les problèmes dont souffre ce troisième épisode, il faut traiter de ce que le jeu fait bien. Tout d'abord, Shenmue III est une réussite en termes de design de l'univers et des environnements. Le jeu de Yu Suzuki est charmant et dépaysant et l'on a à nouveau l'impression d'être transporté dans une version romancée de la Chine rurale de la seconde moitié des années 80. Le tout, accompagné d'effets de lumière souvent très plaisants. Et malgré le budget de développement bien plus modeste de Shenmue III par rapport à celui des deux premiers épisodes, il apparaît dès le début que ce troisième volet bénéficie d'un niveau de détail qui n'a pas à rougir de la comparaison avec ses prédécesseurs. Les décors fourmillent de détails et certains environnements en intérieur permettent de fouiller de nombreux tiroirs et autres armoires. Pour qui apprécie ce type d'univers, l'envie d'aller passer en revue tous les bâtiments et tous les commerces est forte.

Et ce niveau de détail ne se manifeste pas uniquement dans les environnements mais aussi dans certains mouvements du héros. Au fur et à mesure qu'il avance dans son entraînement, la posture et la gestuelle de Ryo évoluent. Son coup de poing sans recul deviendra par exemple de plus en plus assuré au fur et à mesure que son niveau augmente. Toujours du côté des points positifs de la réalisation du jeu se trouve sa partie audio. Les musiques, qui ont toujours été un point fort de la série, mélangent ici des pistes déjà connues et inédites. Pour un résultat à nouveau très réussi et immersif. Le doublage japonais est lui aussi très convaincant et c'est un plaisir de retrouver plusieurs voix des deux jeux originaux, dont celle de Ryo, toujours interprété par Masaya Matsukaze. Shenhua, doublée pour la première fois par Haruka Terui, est elle aussi totalement convaincante. Le doublage en anglais est quant à lui digne de ce qu'il était dans les deux premiers jeux, CQFD.

Une production AA(A)

Maintenant, les sujets qui fâchent. Il apparaît très rapidement dans l'aventure que Shenmue III souffre de problèmes d'optimisation. Sur PS4, le jeu tourne en 60 fps. Le hic, c'est que ces 60 fps ne sont absolument pas stables. Les chutes de framerate sont très fréquentes et plus ou moins fortes. Si l'expérience de jeu est par ailleurs suffisamment plaisante pour passer outre ces problèmes de ralentissements, ils se ressentent clairement manette en main. Un autre problème, particulièrement prononcé dans la ville de Niaowu est celui du clipping. Une partie des éléments du décor, des textures ou carrément des PNJ mettent souvent beaucoup de temps à apparaître et il n'est pas rare d'avoir à attendre deux secondes une fois arrivé dans une boutique avant que son vendeur apparaisse et donne la possibilité de lui parler. Autre souci, celui ci moins fréquent, consiste à avoir la caméra qui se bloque contre une partie du décor pendant une cinématique. Dans l'ensemble, Shenmue III aurait eu besoin d'un gros travail d'optimisation supplémentaire et il est possible de se demander si certains des soucis, comme ceux de framerate ou de clipping exacerbé, pourront être corrigés avec un patch. En l'état, les choses sont vraiment regrettables car c'est certainement l'impression que le grand public va garder du jeu alors qu'il offre bien plus que ça et que l'expérience est tellement captivante par ailleurs qu'il est aisé de passer outre cette légère désuétude (et, même si cela n'excuse rien, il ne faut pas oublier que malgré leur réalisation à la pointe, les deux premiers Shenmue subissaient de sérieux ralentissements aussi).

En parallèle à ces problèmes purement liés à la réalisation technique du jeu, certains choix de design des personnages sont clairement discutables. Certains personnages véritablement moches et peuvent parfois faire penser à des marionnettes des Guignols de l'Info (certains combattants de l'arène de combats de rue et un des boss du jeu viennent à l'esprit). Associez à cela des animations dignes de vieux automates de parcs d'attractions pour un rendu qui pourrait choquer la sensibilité des plus jeunes. Ces choix sont d'autant plus regrettables que d'autres personnages (Shenhua, Ren, Lan Di, certains PNJ âgés, etc.) bénéficient d'une modélisation totalement réussie, toute proportion gardée, et que les animations en motion capture vues pendant les scènes cinématiques sont elles aussi réussies et crédibles. Un dernier petit bémol à noter concerne la traduction en français du jeu. Visiblement réalisée à partir des textes en anglais, cette adaptation ne tient pas compte de ce qui se dit en japonais ou du contexte. Il n'est donc pas rare de voir Ryo dire "salut Shenhua" alors qu'il était simplement en train de relancer une conversation déjà en cours.

L'aventure continue(ra) ?

Malgré les nombreuses références à SEGA dans le jeu, l'éditeur japonais s'est totalement lavé les mains de Shenmue III lorsqu'il a donné les clefs du jeu à Yu Suzuki, lui-même mis au placard après Shenmue II. Et c'est finalement bien dommage. La qualité visuelle atteinte par les derniers Yakuza fait qu'on ne peut que se demander ce qu'aurait pu donner un Shenmue III réalisé par Yu Suzuki avec l'aide du Ryu Ga Gotoku Studio et du Dragon Engine. Même si Shenmue III est visuellement réussi à certains niveaux, il aurait pu laisser une toute autre impression technique s'il avait bénéficié de l'expertise de Toshihiro Nagoshi et sa bande.

Même si là n'est pas le sujet de cet article, difficile de ne pas terminer le test de Shenmue III en se demandant "et maintenant ?" Comme prévu depuis le début, la saga ne se termine pas sur ce troisième épisode. La fin est on ne peut plus ouverte et révèle où Ryo poursuivra sa quête dans le quatrième épisode. Mais est-ce que ce quatrième Shenmue verra-t-il le jour ? Le projet est-il déjà dans la plans de Ys Net et ses partenaires ?

S'il devait spéculer, l'auteur de ces lignes aurait tendance à dire oui. Plusieurs références plus ou moins implicites à Shenmue IV peuvent être trouvées dans le jeu. Et le message de Yu Suzuki à destination des fans de Shenmue présent à la fin du générique de Shenmue III évoque par ailleurs clairement un possible Shenmue IV. C'est assez difficile à expliquer, mais il se dégage une certaine confiance envers l'avenir de ce troisième volet. La machine est désormais en route, l'équipe est en place et le célèbre game designer a prouvé qu'il est toujours capable de proposer une expérience qui, bien qu'imparfaite, sait faire vibrer les fans de sa saga. D'ici Shenmue IV, Yu Suzuki et compagnie auront, si les moyens leur sont donnés (et que les ventes du jeu sont suffisantes), le temps de revoir leur copie. Shenmue III donne donc plus l'impression d'un recommencement que d'une fin. Et c'est tant mieux.