En ces temps caniculaires - ou presque - rien ne vaut un rafraîchissement aquatique. Après le très moyen Sea of Solitude, qui présente quelques visuels similaires à ceux que proposent The Sinking City, voici que c'est à ce dernier de passer sur le grill (du barbecue). Est-il à la hauteur des attentes qu'il suscite dans le coeur de nombreux joueurs ?

En effet, nous n'avons pas à faire à n'importe quel titre : The Sinking City sort des ateliers du studio ukrainien Frogwares, à qui l'on doit déjà quelques bons petits jeux dans leur série dédiée au célèbre inspecteur Sherlock Holmes, qui jouit d'un petit succès d'estime auprès des connaisseurs. Mais trêve de blabla, rentrons dans le vif du sujet, je vous prie.

Fluctuat nec mergitur

Dans The Sinking City, on s'éloigne du Londres de Sherlock pour débarquer au nord de la côte est américaine, dans le Massachusetts, à Oakmont, pas très loin de Boston. Le détective de Baker Street n'est tout de même pas très loin et insuffle un peu de sa personnalité dans le personnage principal de l'aventure, Charles Reed, un privé, ancien plongeur de la marine avec les troubles post traumatiques qui vont avec. Même si cette fois-ci, notre fin limier et son sac à dos magique (on peut changer de tenue) va se retrouver confronté à un problème très Lovecraftien : Oakmont, un peu comme Silent Hill, est isolée du reste du monde, presque inaccessible à cause d'une soudaine montée des eaux qui affecte toute la ville qui se retrouve avec des rues entières noyées, comme Venise. Comme pour Silent Hill, Reed y a été attiré par un mystérieux rêve récurrent, dans lequel il voit la cité se noyer sous les eaux façon Rapture dans BioShock, avec un genre de Kraken qui rôde dans les parages. Il n'est pas le seul à avoir cette vision et la ville est en proie à des phénomènes très mystérieux. Notre détective essayera bien évidemment de faire la lumière sur ces événements tout au long de l'aventure. Le scénario est sympa, offre quelques variations avec son système de choix, que ce soit lors des dialogues ou dans la direction à donner à une enquête, même s'il est quelque peu pollué par des pouvoirs cheatés de la part de notre cher Charles Reed, qui a un sixième sens d'enquêteur qui lui permet de voir des fantômes du passé et donc apprendre le nom du coupable à partir d'une simple scène de crime, du souvenir d'un complice qui parle et qui donne l'identité du criminel, le tout sans réellement rien analyser en profondeur...

Question ambiance, The Sinking City tape fort. Le jeu bénéficie d'une traduction des textes et de doublages intégralement en français. Le tout est plutôt de bonne qualité, sans être transcendant. Mais les dialogues sont très nombreux, et la plupart du temps, ça fonctionne sans accroc. L'univers créé pour l'occasion s'inspire grandement de l'architecture locale de l'époque, qu'on a tous déjà vu dans un film ou deux - sauf Thomas Pillon - et la ville d'Oakmont est totalement déglinguée : les gens y errent et semblent totalement désorientés. Le tout possède un aspect très contemplatif pas dégueu, et qui viendra sauver de la noyade un des autres aspects du jeu comme nous allons le voir un peu plus tard. Certains PNJ ont un design animalier très marqué au niveau du visage : singe, poisson, qui cristallise un racisme présenté tel qu'il existe dans la réalité. Notre détective est de surcroît victime de bon nombre d'hallucinations, qui se superposent à l'action tel des images subliminales, la ville est totalement délabrée et des phénomènes surnaturels surviennent un peu partout. L'ambiance Lovecraftienne fait clairement mouche et c'est un des points forts du jeu.

Un monde ouvert sur rails

le suite est un peu moins réjouissante. Les 7 quartiers qui composent le monde ouvert de The Sinking City proposent une belle diversité dans les décors, avec quelques passages sous-marins, même si ça reste globalement une ville inondée. On y trouve des quartiers pavillonnaires, d'autres avec des immeubles, l'hyper centre, le port, le campus universitaire... Comme je le disais précédemment, le tout est plutôt vivant mais reste assez creux au final. Comprenez par là que si la découverte visuelle est agréable, l'exploration en termes de jeu est bien plus laborieuse. Les rues d'Oakmont grouillent de vie, mais les interactions sont quasiment inexistantes. C'est assez frustrant, et du coup, dans la ville, on ne fait que se déplacer de façon plutôt laborieuse d'un point A à un point B sans rien faire d'autre qu'avancer. Hormis dans les lieux, des quêtes principales et secondaires, ainsi que quelques boutiques et PNJ, il ne se passe rien sur notre chemin. Si vous aimez l'univers et regarder le paysage, vous pourriez y trouver votre compte. Si ce n'est pas le cas, vous risquez de rager sérieusement. Mais quoi qu'il arrive, c'est un gros "on n'aime pas" dans le résumé de ce test.

Les déplacements à pied ou en bateau sont du coup fastidieux, on marche sur des distances assez longues, et le voyage rapide, uniquement disponible dans une des rares cabines téléphonique de la ville, n'est pas pratique. Le scénario nous fait grâce de quelques déplacements quand le héros tombe dans la vapes et se réveille à son hôtel ! Souvent, le passage est bloqué, ou inondé. La barque réapparaît souvent là où en a besoin, car mieux vaut ne pas tenter la traversée à la nage : Des tentacules semblent rôder au fond de l'eau... Attention, dans quelques coins reculés, sans ponton à proximité, la chute peut être mortelle ! Quelques zones de combat sont tout de même de la partie, où l'on va devoir affronter des hordes de monstres tentaculaires dans des combats avec une jouabilité TPS peu inspirée. Le jeu propose une progression avec des quêtes principales et secondaires où il faut chercher soi-même sa destination sur la carte avec le nom des rues. Il existe un système de points d'intérêt à placer sur la carte, mais c'est inutilement lourd et peu ergonomique et peut même porter à confusion. The Sinking City propose donc un monde ouvert bien décevant, où l'on marche beaucoup dans des quêtes au demeurant très linéaires...

Élémentaire mon cher Reed

Dans The Sinking City, les enquêtes se bouclent en faisant appel à plusieurs mécaniques de gameplay différentes. A partir du carnet dans lequel on répertorie tout, à nous de faire le tri, de chercher sur la carte vers où il faut se diriger. On va devoir recouper nos éléments de preuves avec les archives locales, à l'université, au commissariat, au journal du coin... Pour encore plus d'aller-retours ! Sur les scènes de crime, notre fin limier dispose d'un 6e sens bien pratique pour repérer les indices cachés. Puis, encore plus fort, il est capable de voir des souvenirs du passé en mode Ethan Carter : Des fantômes rejouent l'acte criminel sous nos yeux, et on doit remettre le tout dans l'ordre pour découvrir ce qui s'est passé. Sauf que parfois, c'est vraiment cheaté. Exemple, un employé de la mafia qui cite le nom de son organisation et de son patron pendant un forfait, rendant la suite de l'enquête beaucoup plus facile... Parfois, pour rendre les choses plus tendues, pendant nos investigations, on doit affronter des bestioles qui apparaissent comme par magie. Un joli clin d'oeil à Deadly Premonition ?

A côté du carnet, on trouve le palais de la mémoire. On y associe des indices pour en faire des déductions et faire avancer son enquête. On peut aussi lui donner une direction ou une autre via des choix moraux ou des preuves à orienter, voire masquer pour changer le destin de certains PNJ. Le tout est assez redondant d'une mission à l'autre et présente au final peu de challenge. On peut compliquer la tâche en faisant disparaître les indications du HUD dans le carnet, ou en supprimant même le palais de la mémoire, si l'on veut prendre soi-même des notes dans son petit carnet façon enquêteur du dimanche. Personnellement, j'en ai pris, mais c'était pour le test ! Malgré une certaine redondance et quelques facilités, on prend du plaisir à interagir avec l'univers lors des enquêtes surnaturelles de Charles Reed.

Touché-coulé

Par contre, il est un autre point qui, comme le monde ouvert, pourra faire un peu rager : la technique. Le jeu n'est pas moche, loin de là. Les modèles 3D sont plutôt pas mal et la direction artistique relève vraiment le tout. Mais sur PS4 PRO, c'est truffé de petit bugs graphiques. On marche dans les pas de Fallout 76. Le jeu n'est pas super fluide, se paye quelques bonnes chutes de frame rate, voire des micro-freezes de quelques dixièmes de secondes qui peuvent faire finir dans le mur. Pourtant, régulièrement, la machine de SONY souffle comme un avion au décollage !

Le monde ouvert bénéficie de petits effets de météo, comme un brouillard, mais ce dernier empêche de voir à plus de 10 m : on se croirait revenu sur PS1 ! Les lumières ne sont pas super bien gérées, les transitions sont parfois très abruptes, et créent même quelquefois l'impression d'un filtre lumineux pas très beau. Le décor apparaît au dernier moment au loin, mais aussi de près, et à mi-distance. Les PNJ, les objets, les bâtiments... Tout y passe. Mention spéciale à l'herbe qui n'apparaît que dans un rayon de 5-6 mètres autour du personnage. Aussi, les textures et les modèles 3D mettent parfois plusieurs secondes à charger, et apparaissent au préalable de façon totalement déformée, avec une mention spéciale aux gros arbres, qui semblent sortis tout droit de l'enfer, un peu comme si Chtulhu habitait vraiment le jeu ! En tous cas, une chose est sûre, techniquement parlant, si ce n'est pas moche, tous ces petits défauts peuvent sérieusement agacer...

> L'AVIS DE DOPAMINE

Je ne suis pas particulièrement fan des jeux qui vous collent la pétoche. Mais je lis. Beaucoup. Aussi je suis ravi que la licence Lovecraft soit maintenant libre de droits et inspire plus de jeux. Surtout lorsqu'ils sont aussi bien réussis au niveau de l'ambiance comme The Sinking City. Il y a toujours une planche qui craque, un courant d'air, un vague murmure qui maintient la tension. C'est presque palpable et si les instants de réflexion viennent vous permettre de respirer un peu, le sentiment d'avoir quelque chose tapi dans l'ombre prêt à vous digérer est omniprésent. Je n'ai pas eu de soucis techniques sur la version PC utilisable via la plateforme Epic Games (pour le moment). Les textures étaient fines avec une excellente profondeur de champ. Il semble donc bien que le portage sur consoles aurait mérité plus d'optimisation. Si vous avez le choix, prenez le donc sur PC (en plus il sera moins cher en version physique). Mais sur le fond, vous en aurez pour votre argent quelle que soit la plateforme.

The Sinking City est aussi The "Thinking" City. Grâce à son système d'indices et au palais mémoriel, c'est aussi à vous de vous faire votre propre histoire en touchant du doigt les thématiques de ségrégation qu'aborde le jeu. Bien sûr, il y a des lenteurs et des redondances qui font qu'on reste en face d'un bon jeu et pas d'un chef-d'oeuvre. Les combats notamment ne resteront pas dans les mémoires. Mais les ingrédients d'une bonne aventure sont présents : une écriture profonde, une ambiance réussie.