En surface, Glass est magnifique, parfaite. Une ville High-Tech comme on en rêve. Mais elle n'est pas aussi immaculée que les gratte-ciels qui la composent. Il y a quelque chose de pourri en son coeur. Contrôlés par le Conglomérat, ses habitants les plus modestes sont oppressés. Le moindre écart de conduite est puni sévèrement. Faith Connors en sait quelque chose. Deux ans de prison pour avoir défié l'autorité. Mais ça ne l'a pas calmé pour autant. La voilà libre et déjà prête à reprendre son activité de Messagère. Son job : courir sur les toits et aller le plus vite possible. Si possible en enfreignant quelques règles, mais sans prendre parti. Une mission va pourtant tout changer et faire resurgir des fantômes du passé, l'obligeant à aller plus loin face au régime en place.

Les pieds dans le tapis

Dans sa critique du premier Mirror's Edge, quand il était encore beau et fringant, Julo écrivait : "la principale qualité de Mirror's Edge ne se trouve définitivement pas dans son scénario". Avec cette origin story réécrivant le personnage de Faith, on peut dire exactement la même chose. Et pourtant, on sent les efforts pour donner de la consistance. Des flashbacks pour dramatiser, des cut-scenes plus nombreuses, un développement qui se veut plein de tension... Mais si le jeu peut nous emmener très haut, la narration reste au ras des pâquerettes.

DICE tient de l'or entre ses mains avec une protagoniste au design toujours aussi réussi, un univers vraiment engageant dont la direction artistique épurée et l'atmosphère sonore, lénifiante au possible et qui n'est pas sans évoquer Blade Runner, garantissent une immersion immédiate. Mais quand il s'agit de faire passer le message de cette lutte contre l'uniformité et les puissants, le studio suédois se perd. Personnages fadasses, trame cousue de fil bleu fluo sur un drapeau rouge accrochée à un panneau en néon vert clignotant, instants d'émotion ratés : une fois de plus, rien de mémorable. La durée de vie a gagné, avec un enchaînement de quêtes qui mène à la dizaine d'heures en ligne droite. Pas l'histoire. C'est triste, mais loin de s'avérer fatal.

Vertige de l'amour

L'héroïne trébuche mais peut se rattraper à l'essentiel : l'essence de Mirror's Edge. Comme dans l'original, votre virée consistera à cavaler et bondir en vue subjective. Si possible sans jamais vous arrêter - ni trop regarder en bas, si vous avez peur du vide. Si elle ne réussit pas à nous émouvoir, Faith arrive toujours à nous procurer des sensations énormes grâce à une impression de vitesse joliment rendue, une fluidité à toute épreuve et le sentiment que l'on peut, à condition de ne pas confondre vitesse et précipitation, tirer avantage du moindre élément de décor pour parvenir à son but, souvent perché.

La belle, ou plutôt le joueur qui a clairement l'impression d'habiter son corps, court, effectue des glissades, galope sur les murs, prend appui avec encore davantage d'agilité dans le premier volet. Par des enchaînements de pressions plus ou moins longues et ajustées sur les boutons de tranches servant à sauter ou se baisser, on vit la chose à fond. Parce que le design global de la ville, devenue ouverte et plutôt vaste, avec un peu plus d'une dizaine de quartiers, l'autorise. Et que les commandes répondent idéalement, avec un timing néanmoins rigoureux, pour ne pas relâcher son attention. L'adrénaline et la tension, qui répondent bien à l'appel, font qu'on se surprend souvent à accompagner physiquement les bonds les plus dangereux, les rattrapages les plus miraculeux. Et quand elle chute - uniquement par notre faute, les problèmes d'intolérance de caméra pour s'agripper à un tuyau ou une corniche ayant été gommés - on chute avec elle, notre respiration presque synchronisée à la sienne.

Cours vite

Équipée d'une lentille de réalité augmentée qui permet de faire rougeoyer les chemins à emprunter et éléments avec lesquels interagir (un sens urbain désactivable partiellement ou totalement pour les plus confiants), Faith débute avec une palette de cabrioles suffisante pour aller dans les premiers districts en toute liberté et échapper à d'éventuels poursuivants. Mais elle va pouvoir, l'expérience acquise au fil des différentes missions aidant, se doter de nouvelles capacités et gadgets fort utiles pour varier les plaisirs, gagner en célérité, et accéder à de nouveaux endroits. Trois arbres de compétences se présentent sur sa fiche de personnage. Ils concernent le déplacement, le combat et la tenue.

Avec le premier, vous serez amené à débloquer des roulades permettant de ne plus perdre une seconde à réception, des glissades plus longues ou des demi-tours - tout ça pour gagner un temps toujours précieux. Le deuxième vous aidera à connaître les points faibles des différents ennemis (tous des gardes de sécurité de Kruger, aux talents variés), à vous renforcer ou améliorer votre Concentration, jauge qui se remplit en restant en mouvement et vous offre une sorte de bouclier face aux agressions. Le dernier vous donnera accès, entre autres, au CORDEMAG, un grappin fiché dans le gant droit qui aura son utilité pour se balancer, se faire tracter ou tirer à soi des éléments de décor, mais aussi au Perturbateur, destiné à désorienter les antagonistes humains comme mécaniques (drones ou tourelles). La progression se ressent et qu'on apprécie chaque nouvelle option à sa juste valeur.

L'ennemi mine

Le combat, parlons-en. On ne peut qu'accueillir avec bienveillance la décision de coller au concept du personnage principal, résolument contre les armes et plutôt déterminé à prendre ses jambes à son cou pour se réfugier dans une planque (ce qui a pour effet de faire cesser les recherches magiquement). Faith, c'est la course et, s'il le faut, les poings et les pieds. Assommer à la retombée d'un bond propulsé, c'est classe. Et dans l'idée, passer dans le dos de quelqu'un ou orienter ses coups de savate pour provoquer un téléscopage. Mais il y a un os. Les combats se font contre des adversaires cons comme des meules. Surpris par le moindre décalage, il réagissent à nos coups de manière grotesque avec des animations incongrues.

Il suffit de voir un vigile passer par-dessus une rambarde sans aucun élan ou constater que l'on en a mis deux K.O. avec une pichenette pour comprendre qu'il y a eu un manque de polish flagrant de ce côté. Ou alors que les développeurs ont motion-capturé les pires cascadeurs du monde. Certes, les affrontements statiques ne représentent pas l'essentiel de l'expérience, mais on aurait eu envie de s'en passer, surtout que les barres de vie des plus coriaces sont bien longues. Remarquez, ces rencontres inamicales, que l'on peut fuir la plupart du temps, ont au moins un mérite : celui de peupler les toits de Glasse de manière un peu cohérente.

Up and down

En optant pour le monde ouvert, Mirror's Edge Catalyst fait le bon choix au niveau de la durée de vie. Les hauteurs de Glass sont belles (même si la version Xbox One souffre de dérapages sur des reflets, absents, et que quelques lumières et textures oublient de se charger par moments) et bien construites. Et l'on y trouve de quoi occuper ses gambettes virtuelles. Des livraisons, parfois fragiles, des parcours balisés (mais sans indication du chemin parfait), des éléments de narration, des Gridnodes - zones d'escalades qui rappellent Far Cry 3 et qui vous laissent ensuite profiter des voyages rapides vers les planques locales - et autres collectibles donnent de quoi manger aux fadas de complétion et de leaderboards. Sans oublier l'aspect social qui permet de créer ses propres contre-la-montre et de les partager ainsi que de marquer un endroit difficile d'accès pour signifier qu'on est surpuissant.

Du sympatoche pour celles et ceux qui se concentreront sur l'excellence du parkour et feront abstraction des défauts cités plus haut... ou maintenant. Car la liste n'est pas finie. D'autres choses ne manqueront pas de faire tiquer. A commencer par ce besoin qu'a Faith de donner des coups d'épaules dans les portes, y compris à l'arrêt, de pulvériser le plus petit interrupteur du poing ou de faire cesser le même ventilo plusieurs fois à quelques minutes d'intervalle. Et puis il y a l'absence de vie. Certes, on est sur les toits et on passe par des chemins peu académiques, mais les rares êtres humains que l'on croise ont l'air avoir été placés là comme des plantes vertes. Inertes, insensibles au fait que vous leur portiez un coup, et au même endroit de jour comme de nuit. On ne demandait pas autant d'animations que dans les zones habitées de The Witcher III : Wild Hunt, mais un minimum pour les pauvres PNJ, devenus PLV, n'aurait pas été du luxe...