La journée avait bien commencé. Vous et votre moitié vous prépariez à assister au banquet des vétérans de l'armée. Un réveil en douceur, dans le calme de votre petite zone résidentielle du Massachusetts. Codsworth, votre robot domestique, comme tous les jours, vous préparait votre café et s'occupait du petit Shaun. Un employé de Vault-Tec était passé vous parler d'un abri antiatomique proche, sur lequel vous risquiez de devoir compter rapidement - les tensions entre américains et chinois sont plus vives que jamais en cette année 2077. Soudain, la panique gagne les rues. Le journal télévisé fait état de plusieurs villes rasées. La guerre est là. Vous courez vous réfugier dans l'abri 111. Vous et votre famille échappez par miracle au souffle de la bombe qui vient de frapper au sud-ouest et vous retrouvez, à votre insu, cryogénisés dans le complexe souterrain. Vous ouvrez les yeux en 2287. Tout a changé.

Gueule de bois nucléaire

Ce monde en ruines, c'est celui que la série Fallout dépeint depuis ses tout débuts en 1997. Une uchronie post-apocalyptique où la monstruosité des univers de Mad Max et de Ken le survivant entre en collision avec l'atmosphère de Happy Days. Une architecture type années 50 sale, dévastée, faite de récupération, dans laquelle se rafistolent des semblants de civilisation qui ont du mal à trouver sérénité, nourriture et eau potable. La violence est partout. Des décennies de radioactivité ont amené des mutations irréversibles aussi bien côté humains qu'animaux - les goules, humains un peu fondus, et super mutants côtoient rataupes, brahmines (vaches à deux têtes), cafards, crabes et scorpions géants ainsi que d'autres bestioles effroyables comme les écorcheurs. Bref, à l'instar du reste des USA, la région de Boston, le Commonwealth, est désormais un endroit dans lequel survivre relève de la gageure, quand bien même plusieurs factions veillent au grain. Un terrain de jeu somme toute familier qui, par sa mythologie solide, son ambiance unique et sa population aussi dense que variée, ne tarde pas à nous happer. Tant mieux, car il faut se mettre au travail. Outre un être cher évanoui dans la nature, des tas de gens vont compter sur nous. Ou attendent notre courroux.

The Fallout Scrolls

Les adorateurs de la recette RPG de Bethesda n'ont pas à craindre le moindre bouleversement indésirable. La proposition est exactement la même qu'avec Skyrim, Fallout 3 ou encore New Vegas : un monde ouvert gigantesque à explorer, blindé de lieux atypiques et de personnages à rencontrer, aider ou envoyer ad patres - le tout pour se faire de l'XP et amasser de quoi se payer un meilleur équipement pour la survie. Et s'il y a bien une quête principale à suivre, qui ne manquera pas de surprises et s'orientera en fonction de certains choix importants (nous y reviendrons plus bas), c'est la profusion de missions annexes qui fait le sel d'une expérience qu'on peut qualifier d'effrayante. Oui, effrayante par son ampleur. Car la sensation d'être déboussolé survient rapidement. Vous acceptez une mission, une autre vient s'intercaler parce que vous avez taillé le bout de gras avec quelqu'un et, tout à coup, une autre personne qui passait par là a aussi du boulot à vous confier avant que vous n'interceptiez un signal de détresse sur votre radio. Des tiroirs qui s'ouvrent dans d'autres tiroirs. Des dizaines et des dizaines de missions, à base de nettoyage de zones et d'intrigues parfois très drôles et impliquant un peu de réflexion, dont on vous gave à l'entonnoir. Qui rappellent beaucoup, au niveau look et déroulé, les épisodes antérieurs. Sans qu'on ait d'objection à formuler.

Il est content RobCo

Proposant toujours de choisir entre vue subjective et troisième personne, ce nouvel épisode s'appuie encore sur l'emploi du Pip-Boy. Ce bracelet informatique à tout faire -y compris des mini-jeux type Apple II- s'emploie pour la navigation et la gestion complète de votre protagoniste, homme ou femme, à votre convenance. Le contact avec cette interface mettant en scène un souriant blondinet - et qui peut passer par une appli mobile - est un peu rugueux. Volontairement old school, elle permet néanmoins de s'y retrouver sans trop de problème au niveau des différentes tâches, de l'inventaire (avec des raccourcis à assigner pour répondre aux urgences), de la situation géographique, de la santé et de la répartition des points d'expérience. Une fois encore, du total de points assignés à la Force, la Perception, l'Endurance, le Charisme, l'Intelligence, l'Agilité et la Chance dépendront nombre de caractéristiques physiques ou sociales. Les 70 compétences évolutives conférant divers bonus et aptitudes seront à choisir avec parcimonie, quand bien même il n'est pas censé y avoir de level cap, les niveaux ne grimpent guère à une vitesse folle. Votre perso se façonnera en fonction du style que vous souhaitez lui imprimer au cours de votre escapade. Et il y en a un paquet.

SVAV The Last Dance

Je vous parlais d'expérience effrayante. C'est aussi en partie dû au fait que la moindre rencontre peut mal tourner. Les Terres Désolées ne sont pas celles des zombies, mais ce que l'on y vit se rapproche assez de ce que peut connaître un survivant de The Walking Dead. La curiosité de la découverte laisse place, après quelques escarmouches inattendues ou rencontres avec un piège ayant entraîné la mort, à la paranoïa. On ne s'aventure plus derrière une butte ou à l'intérieur d'un nouveau bâtiment de la même façon. On ne se dit plus qu'il serait opportun d'aller en direction de ce bruit louche ou de chercher quelque butin derrière une porte fermée. Surtout si c'est la nuit ou qu'un orage radioactif, brouillant la distance d'affichage, éclate. On cherche la sécurité et les sauvegardes rapides à chaque temps mort. La furtivité est une voie possible. La force, en misant sur la solidité physique et la précision des coups portés, aussi. Les combats s'appréhendent toujours de deux manières différentes, qui conviendront à ceux qui veulent de l'action soutenue autant qu'un peu de stratégie. Vous pouvez la tenter en temps réel et faire parler le skill face à des adversaires très agressifs, durs sur l'homme, mais pas forcément futés. Ou bien user du mode SVAV (Système de Visée Assistée Vault-Tec) qui ralentit le temps et vous permet de viser les membres des antagonistes avec plus d'assurance et plus ou moins de réussite suivant la distance ou encore la taille de ce que vous ciblez. Dans le cas où vous passez par ce bullet-time tactique, le nombre d'actions consécutives est limité par une jauge qui, par ailleurs, s'épuise aussi lorsque vous courez - oui, ceci est désormais possible. Il faut donc faire attention lorsque l'on en vient à se coltiner des meutes ou des colosses. Et ne pas hésiter à flinguer le bras armé ou les jambes pour handicaper un assaillant trop nerveux. Dans tous les cas, des attaques bien portées (avec possibilité d'appliquer un critique de temps à autre) donneront souvent lieu à des résultats gores à souhait. Mais pour voir des têtes ou des jambes qui volent en slow-motion, il faudra aussi ménager son matos.

De trique et de troc

Votre équipement et votre tenue, qui peut aller très loin en termes de n'importe quoi, dépendront d'abord de vos trouvailles. En termes de loot, on peut dire qu'il y a du choix. Sur les cadavres croisés ou dans certains containers quelque fois accessibles par les mêmes mini-jeux de crochetage et de piratage que dans Fallout 3, vous pourrez ramasser un arsenal varié allant du simple pistolet 10mm au Fat Man (lanceur de bombes nucléaires "de poche") en passant par des fusils avec baïonnette ou encore des mitraillettes rafistolées, récupérer des fringues et pièces d'armures couvrant tête, bras, torse et jambes, grenades, mines. Et si vous avez terrassé un ennemi légendaire, vous mettrez généralement la main sur des raretés qui, si elles ne conviennent pas, pourront toujours se voir troquées avec des marchands. La quête du mieux ne s'arrête jamais. Mais il faudra aussi prendre soin de ne pas gaspiller ses munitions. Ça coûte cher en capsules, ces conneries. Et tout comme les soins, on n'en trouve pas en abondance sous le pas d'un cheval. En même temps, il n'y a plus de chevaux. Bref. Dans la famille des protections qu'on acquiert assez vite et dont on ne peut plus se passer, on trouve les armures assistées. Modifiant l'habillage général, elles permettent de se sentir plus à l'aise face à l'adversité, aux chutes, aux radiations, et de porter bien plus de choses. Mais il faudra les entretenir et les alimenter en réacteurs à fusion pour qu'elles ne vous lâchent pas au mauvais moment. Dans un monde où l'énergie est si rare, où l'eau sale est presque un luxe, où l'on mange de la viande et des céréales à faire péter un compteur Geiger, vous vous attendiez à quoi ?

Crafting Racing

Attendez, parce que comme s'il n'y avait pas assez à faire par le biais d'échanges et de cueillette, vous aurez aussi la possibilité de vous laisser aller à de l'artisanat pour améliorer tout ce dont vous disposez. Les jeux de Bethesda ont souvent été décriés pour nous laisser ramasser des objets inutiles, jusqu'à la surcharge, dans le simple but de revendre en masse. Mais là, vos fourchettes, vos cendriers, vos rouleaux de scotch, vos jouets en bois et j'en passe, vous allez les aimer et hésiter à les amener à un margoulin. Vous en aurez fondamentalement besoin pour créer des armes plus efficaces, des cuirasses plus solides, des armures assistées plus mastoc et bénéficiant d'aménagements high-tech, ou encore vos propres plats et solutions de soin et drogues - attention à l'addiction - à travers des ateliers disposés dans les zones civilisées. Et comme ça ne s'arrête jamais, un autre genre d'atelier est inauguré pour qu'à aucun moment vous ne songiez à vous éloigner de l'écran.

Rien ne se perd

Durant votre aventure, vous allez vous voir confier la tâche de rebâtir pour fédérer. Cela commence par Sanctuary Hills, la ville où vous viviez avant la guerre, pour s'étendre à travers toute les zones libérées et habitables sur la map. Le bric-à-brac couplé à un recyclage sauvage d'éléments massifs tels que des pneus, des baignoires, des décombres, des voitures et autres va vous amener à vous plonger dans une sorte de Sim City post-apo où chaque matériau compte. Car vous voudrez plus d'habitants dans les bleds libérés des goules et des pillards. Vous voudrez leur confort et leur bonheur en leur procurant bouffe, flotte, électricité, toits, lits douillets, décorations et boutiques pour générer un semblant de commerce. Vous voudrez qu'ils se sentent à l'abri en leur plaçant des systèmes d'alerte et de défense face aux éventuels agresseurs venus de l'extérieur. Vous vous sentirez comme responsable de votre troupeau en agissant de la sorte. Et surtout, vous tomberez dans une activité sans grande complication et des plus chronophages. Si le bien du Commonwealth vous préoccupe, bien entendu.

I can't get no (satis)faction

Vous l'avez compris, vous allez voir du pays et rencontrer du monde. Des gens sympas, d'autres pas trop. Une galerie gigantesque de personnages tantôt fantasques, racistes, découragés, inquiétants, idéalistes, cachant de lourds secrets, mutants voire robotiques, qui exigeront de vous toutes sortes de choses plus ou moins importantes, futiles ou délirantes, avec placement de clins d'oeil appuyés à la série, à la pop culture et quelques répliques maccarthistes du plus bel effet. Pas mal de missions demanderont simplement d'aller à un endroit, de le repeindre avec du sang ennemi et revenir récupérer votre récompense. D'autres fois, vous aurez des décisions difficiles à prendre en cas de doute, avec des options supplémentaires à faire valoir si vous avez privilégié le charisme. Votre alignement rôlistique, dépendant de votre agressivité générale et du quatuor de réponses proposées durant les dialogues, restera à votre appréciation. De la Miss France au pire des cyniques, tout les profils ont l'air permis. Et au milieu de tout cela, vous aurez aussi la liberté de suivre la voie d'une des factions cherchant à pacifier la zone. Leurs intentions sont les mêmes : rendre le monde meilleur. Les méthodes, la vision et les moyens varient ostensiblement et amènent parfois à s'interroger. Les Miliciens veulent venir en aide à tous et faire régner le bonheur chez tous les habitants. La très emblématique Confrérie de l'Acier, qui dispose d'une technologie avancée et d'une force de frappe inégalée, a une vision très stricte et pas très miséricordieuse vis-à-vis des synthétiques, des robots à l'apparence humaine assez présents dans cette région du monde. Tout le contraire d'un autre groupuscule qui refuse leur oppression. Sans parler d'une étrange organisation scientifique dont tout le monde se méfie comme de la peste et qui use de méthodes plus que discutables. A vous de déterminer celle qui vous siéra le plus lorsque cela sera requis, sachant que les inimitiés les plus féroces se finiront sûrement dans le sang. La campagne principale en sera affectée et, par conséquent, son dénouement - qui ne marque en aucun cas la fin du jeu à proprement parler.

En bonne compagnie

Vos rencontres vous amèneront à recruter des soutiens permanents. Une douzaine de personnages, pas tous simples à dénicher, pourront vous accompagner partout, de Canigou, le toutou obligatoire à chaque volet, à une journaliste qui n'a pas froid aux yeux en passant par votre robot domestique, qui vous aura attendu 200 ans, ou encore un Super Mutant brut de décoffrage mais sympa dans le fond et un synthétique devenu détective façon Humphrey Bogart dans Le Faucon Maltais. Vous pourrez leur leur assigner des ordres, pas super pratique dans le feu de l'action, puisqu'il faut leur cliquer dessus et désigner le lieu ou l'interaction souhaitée. Des liens se tisseront avec ceux que vous enrôlerez en fonction de vos agissements et de vos habitudes. Vous pourrez même flirter, accomplir des tâches plus personnelles pour eux et connaître leur histoire, souvent touchante et bien amenée, avec des petites ambiances aménagées. Un vrai plus au niveau attachement du joueur. Mais leur efficacité au cours de vos pérégrinations est, malheureusement, trop souvent remise en question. Le pathfinding complètement erratique qui peut vous faire perdre un temps précieux, les placements idiots en combat, lorsqu'il ne s'agit pas de rester planté sans bouger... Comme ses prédécesseurs parus en 2008 et 2010, Fallout 4 n'est pas parfait. Et l'intelligence artificielle des compagnons humanoïdes, très discutable, n'est qu'un exemple parmi une foule de problèmes capables de faire tiquer mêmes les plus acharnés des "Falloutcrates".

Terres de contrastes

Le monde ouvert de Fallout 4, baigné par une bande-son sublime, est assez énorme, d'une richesse incroyable et très "vivant". Il se compose d'une variété certaine de lieux, à base de plaines désolées, de zones résidentielles et industrielles plus ou moins touchées, de tours et souterrains que l'on peut visiter, d'une côte presque charmante et de zones désertiques noyées sous la radioactivité. Boston, elle-même fragmentée, avec notamment une communauté installée dans le stade de baseball, grouille de vie et est très reconnaissable. Et c'est plutôt agréable à regarder. Direction artistique et effets de lumière ou météorologiques aident à encaisser des modélisations pas toujours heureuses, des animations parfois risibles, une tendance au gris envahissante sur certaines zones - enfin bon, c'est pas la joie non plus après un cataclysme - et l'absence d'un semblant de moteur physique qui aurait évité de pouffer à la vue d'une vitre ou d'une porte en bois délabrée qui résiste à l'impact d'un tir de missile ou à la déflagration d'une grenade.

A l'instar d'une foule d'open worlds, et comme un héritage des précédentes itérations, pas mal d'aspects demeurent indomptables. Comprenez qu'on est (et je parle de mon expérience sur PS4) plus que de raison victime de bugs gênants qui cassent un peu le plaisir. Je me suis retrouvé à ne plus pouvoir bouger, téléporté à quelques mètres en plein combat sans raison apparente, incapable de placer des éléments d'atelier qui restaient suspendus à deux mètres du sol, en attente d'un PNJ qui refusait d'avancer, à devoir patienter à cause de chutes de frame rate vertigineuses figeant littéralement la partie... Surtout, j'ai eu droit à ce qu'un objet indispensable de la quête principale se situant en bas d'une liste défilante n'apparaisse pas et ne soit accessible qu'au prix d'une manipulation illogique (aller en bas du listing, remonter un seul coup puis redescendre)... De quoi me laisser en plan un petit moment. Et me dégoûter du jeu ? Impossible d'aller jusque là, car même si l'on peut exposer plus d'un grief à l'encontre de sa finition, on est forcé de reconnaître qu'à chaque défaut répond un motif de satisfaction. On attendait un RPG dans la veine de ses ancêtres, avec un contenu qui tient au corps et qui respecte l'univers si particulier de la série ; Fallout 4 donne exactement ce qu'on espérait de lui. Et la formule, qui a déjà fait ses preuves, fonctionne toujours à merveille. Elle est irrésistible, addictive. Avec un challenge bien calibré quelle que soit la difficulté choisie et une longévité qui frise la folie - 70 heures de jeu au compteur, bien remplies, et j'ai l'impression de n'avoir qu'effleuré la surface. On peut toujours lutter. Reste qu'il s'avère impossible d'en décrocher une fois qu'on y a touché. Bon courage à celles et ceux qui comptent le compléter à 100%... Ainsi qu'à leurs proches.