Drakensang est donc une série de RPG se déroulant dans l'univers de l'Œil Noir, jeu de rôle allemand, dont seules les règles de la première édition furent publiées dans notre contrée en 1985. Le jeu est pour sa part basé sur la 4ème édition, qui est inconnue de la plupart d'entre nous, même si quelques irréductibles ont entreprit la lourde tache d'une traduction !

Drakensang : Am Fluss des Zeit, préquelle de Drakensang : The Dark Eye sorti en 2009, conte l'histoire du joueur et de ses compagnons, rencontrés lors d'un voyage sur la Grande Rivière - le principal fleuve du continent d'Aventurie - alors qu'il se dirigeait vers la ville de Nadoret. Notre héros a tout juste le temps de rencontrer ce groupe étrange (et, hum, original) composé d'un grand blond aristocratique, Ardo, d'un nain bourru, Forgrimm, qui est le narrateur de l'histoire, et d'un bellâtre beau parleur visiblement magouilleur, C(u)ano (qui a perdu son U à la frontière franco-allemande), avant que le campement ne subisse une attaque de pirates pendant la nuit. Un incident anodin qui s'avérera bien vite cacher beaucoup plus...

Faut-il voir dans le choix la condition de la liberté ?

Avant de commencer l'aventure, il faudra passer par la phase indispensable de création de personnage. On est un peu déçu quand on constate que visuellement, pas grand chose n'est possible, avec trois visages, trois corpulences et quelques coiffures par "archétype" de notre héros. Plus de possibilités à ce niveau la, et pour moi c'est plutôt un point fort du système, il n'y a pas de classes dans l'Œil noir, mais le fameux archétype, qui regroupe métier, race et sexe, et influe sur les compétences de base. Elfe, Humain, ou Nain, vous pourrez vous tourner suivant les cas vers les professions martiales, magiques ou encore vers la noble profession de monte-en-l'air.

Je vous le disais dans mes impressions, quiconque a touché une fois dans sa vie un RPG occidental ne sera absolument pas dépaysé par l'interface très traditionnelle du jeu. Tiens d'ailleurs voilà, c'est un terme qui somme toute décrit assez bien l'ensemble de Drakensang TROT : traditionnel. Au demeurant pratique, et assez immédiate d'accès, celle-ci n'a hélas pas été pensée pour tirer parti des affichages haute résolution de bourgeois, tel mon 27", ou même simplement d'un écran wide. Elle a donc un aspect assez pataud, surtout l'énorme fenêtre de log que vous n'afficherez probablement pas beaucoup, tant elle envahit l'écran. Autres griefs que je me dois de citer, la barre de raccourcis tout d'abord, qui bien que multiple, ne comportera toujours que dix cases par ligne : autant vous dire que vous devrez rapidement jongler pas mal pour le contrôle des sorts ! Ensuite, la mini-map / boussole d'aventure qui, bien qu'énorme, est assez peu informative car beaucoup trop zoomée, et spoile carrément certaines quêtes de recherche, vu qu'elle indique les objectifs à découvrir d'un gros "?" disgracieux.

Malgré tout, le système de jeu est très complet, et bien utilisé tout au long de l'aventure, même si c'est parfois de façon très ponctuelle. C'est donc avec plaisir qu'on verra l'intérêt de développer toutes les compétences, réparties entre les différents personnages : connaissance des plantes et des animaux pour la récolte de matières premières, qui seront utiles pour l'alchimie ou l'archerie, forge pour construire des armes mythiques, marchandage et autres talents sociaux bien utiles pour les dialogues, furtivité, "sens de nain"... J'aurai vraiment tout utilisé lors de ma partie, et le vrai plus du système de jeu, c'est l'absence de levelling par niveaux : on peut dépenser des points d'expérience à tout moment en améliorations, les niveaux n'étant essentiellement qu'un point de repère.

Pourquoi un dialogue peut-il échouer ?

Cette base nous permet donc d'évoluer agréablement dans l'univers et le scénario du jeu. Un univers heroic-fantasy des plus classiques, que certains iront jusqu'à qualifier de caricatural (ne niez pas je vous ai vus), mais au design assez réussi. Sans être transcendés par la réalisation technique, les environnements sont vastes, et agréables à explorer, que vous soyez partis en cueillette, ou bien à la recherche de quêtes secondaires (bien intégrées, et bien plus sympathiques que l'horrible "tableau de quêtes" d'un certain Dragon Age...)

Quant au scénario, il est rafraichissant, loin des "vous seul pouvez sauver le monde" habituels. Non, ici on est même assez second degré, il suffit de voir le design de certains personnages. Il rappelle même beaucoup les parties de JDR papier que j'ai pu faire : enquête, complot à déjouer, alliances improbables... En revanche, ce n'est pas du PEGI 18+, loin de là ! Pour l'univers sombre, mature et dépressif, vous repasserez, ici tout ce que vous obtiendrez d'une fille de joie, c'est un renseignement payant.

Là où le bât blesse, c'est au niveau de la version française. Déjà, il n'y a pas eu de doublage, ce sur quoi je ne peux que pousser un soupir de soulagement. On aura donc droit aux dialogues en anglais sous-titré, et dans l'ensemble les rôles principaux passent plutôt bien. En revanche, tous les textes du jeu ont été traduits à partir de la version anglaise, elle même traduite de l'allemand, donc déjà avec un niveau de perte ; mais qui plus est à l'emporte-pièce - je soupçonne même l'utilisation d'un programme automatique genre Babelfish tant par moment ça ne veut rien dire, avec du mot-à-mot depuis l'anglais, en contre-sens total plusieurs fois. Et pire que tout, cette VF fait planter le jeu ! Plusieurs crashs surviendront systématiquement lors de dialogues - certains obligatoires - pour cause d'erreurs dans la table de données, rendant la poursuite de la partie impossible !

En attendant un patch officiel, je me suis retrouvé les mains dans le cambouis un samedi à 2h du mat, à éditer les fichiers du jeu (fort heureusement dans un format standard), afin de pouvoir les corriger et poursuivre ma partie. Vous pouvez trouver un patch réalisé par un joueur et la discussion concernant le sujet sur le forum de dtp.

La volonté de puissance est-elle la forme suprême de la volonté ?

Hormis cette déconvenue de localisation, j'ai passé un agréable moment sur Aventuria. Evidemment, il y a quelques bugs qui font pester : les membres de votre groupe, totalement handicapés, se précipitent sur les pièges qu'ils ont découvert, ou gambadent allègrement devant les ennemis alors que vous tentez d'être discret. Surtout que vous ne pouvez pas obliger un perso à rester immobile. En l'absence presque totale de gestion de collisions, les ennemis, vraiment vicieux, ignorent totalement les tanks que vous envoyez en première ligne, les traversent et massacrent votre pauvre archère/magicienne que vous aviez planqué 10 mètres derrière... Cette absence de collisions fera aussi que parfois vous vous retrouverez submergés sous des dizaines de loups ou autres créatures, empilées les unes sur les autres comme des unités de Civilization.

Mais malgré tout, on passe globalement outre ces problèmes. Les combats sont découpés de base en tour par tour "actif", avec une pause sur la barre espace, mais vous pouvez également décider de pauser automatiquement le jeu à chaque tour, ce qui les rendra d'autant plus faciles. La possibilité d'empiler plusieurs actions, et la représentation claire du temps qu'elles prendront permettent bien de juger ce qui se passera, et quand. Certains moments du jeu seront cependant toujours ardus, et demanderont de réfléchir un peu : les boss par exemple, nécessiteront une préparation adéquate, et une stratégie particulière pour en venir à bout.

Le jeu étant résolument orienté histoire, on n'évolue que d'une zone à l'autre le long de la grande rivière, et la vie des différents personnages est très limitée. Il n'y a pas de monde totalement ouvert, pas de cycle jour/nuit, pas d'IA pour les non adversaires, dommage : j'ai fait mon traditionnel test, rentrer dans une zone fréquentée, poursuivi par des monstres, aucune réaction d'un côté comme de l'autre... Pourtant, on n'a pas ce sentiment d'univers étriqué comme dans Dragon Age, et il y a quand même un semblant de vie. J'ai beaucoup aimé par exemple la promenade du Baron dans Nadoret, ou bien la matrone qui poursuit son mari dans les rues armée d'un rouleau à pâtisserie. Plein de petits détails amusants qui fourmillent de partout.

Il y en aura pour tous les goûts, des missions de "facteur" parfois un peu rébarbatives, de l'infiltration, ou de l'attaque frontale, de l'exploration de "donj'" à l'ancienne, des énigmes à résoudre, et vous aurez à de nombreuses reprises le choix entre plusieurs stratégies, avec des répercussions plus ou moins importantes plus tard dans l'histoire. Au final, le jeu est assez long, même si j'ai à plusieurs reprises regretté un allongement artificiel de la durée de vie avec des obligations d'aller-retours nombreux d'un point à un autre. Heureusement, des portails rapides vous éviteront de devoir courir pendant des heures dans les hautes herbes.

Drakensang : The River of Time n'est pas un titre majeur, mais il possède un charme indéniable. Ce n'est pas du très grand spectacle, ce n'est pas très original, il a ses problèmes techniques, et en plus le passage en France a ajouté une localisation médiocre, mais malgré tout il mérite qu'on y jette un œil. Pour son système de jeu méconnu, pour son côté humain, peut-être aussi parce que je suis un vieux grincheux et que j'aime bien ce qui est "à l'ancienne"... Allez, ami rôliste, tu as bien quelques heures devant toi ? Relis la citation de Nietzsche dans le titre, et tu sais ce qu'il te reste à faire !