Le petit studio indépendant Fallen Tree Games est sous le feu des projecteurs depuis la révélation de leur nouveau jeu, The Precinct, annoncé durant le Futur Game Show 2023. Si les développeurs ont réussi à capter autant l’attention, c’est en raison de la nature de ce titre sorti de nulle part. En effet, la ressemblance avec les premiers GTA entrevue dès le premier trailer de gameplay a permis de faire beaucoup parler du jeu, à moindre coût, et de créer un vrai engouement chez certains. Après avoir été repoussé plusieurs fois, ce GTA-like est enfin disponible sur PS5, Xbox Series X|S et PC. Est-ce l’une des pépites indés de 2025 ou au contraire l’une des déceptions de l’année ?
Si GTA 6 promet d’en mettre plein la vue, et que le deuxième trailer a d’ailleurs déjà décroché des millions de mâchoires, la licence de Rockstar Games était bien différente à ses débuts en 1997 sur PC et PS1 avec des ambitions bien moindres qu’aujourd’hui. C’était l’époque de la vue isométrique et des gros pixels, qui ont ensuite été abandonnés dès le premier épisode de la trilogie PS2. C’est cette saveur d’antan que Fallen Tree Games a souhaité retrouver et offrir avec The Precinct, mais malheureusement, on va voir que le résultat n’est pas à la hauteur de la chouette promesse.
D'American Fugitive à The Precinct
Ce n’est pas la première fois que Fallen Tree Games essaye de capturer l’esprit des anciens GTA. En 2019, le studio a déjà sorti American Fugitive sur consoles et PC, qui se déroule d’ailleurs dans le même univers que The Precinct. Un jeu en vue isométrique, où l’on incarne un détenu qui s’est évadé de prison après avoir été accusé et enfermé à tort pour le meutre de son père. Le joueur était par conséquent du « mauvais » côté de la loi comme dans Grand Theft Auto. Mais avec The Precinct, c’est l’exact opposé puisqu’on enfile l’uniforme du jeune agent Nick Cordell Jr qui va devoir remettre de l’ordre dans la ville d’Averno, tout en se servant de sa nouvelle position pour faire la lumière sur la mort de son père - un ancien policier assassiné durant son service. Un pitch qui témoigne tout de suite de la volonté du studio de rendre hommage au cinéma policier des années 80. Ce qui, sur le papier, aurait dû beaucoup nous plaire.

Or, pour moi, tout l’aspect narratif constitue malheureusement le premier gros défaut du jeu. Le scénario est simple, oui, mais ce n’est jamais vraiment problématique au regard du genre exploré. En revanche, la manière d’articuler le récit et ses événements majeurs l’est réellement. Le studio s’embourbe hélas rapidement dans cette histoire qui va parfois trop vite, ou à contrario, trop lentement. On ne s’attache pas aux protagonistes, à l'histoire personnelle de Nick Cordell et à son développement au sein de la police parfois trop brusque, ou même aux gangs qu’on nous demande de stopper au cours de l’aventure. Ça arrive qu'on saute du coq à l'âne avec des transitions à la hache.
C’est dommage, car il y a tout de même un travail pour enrober le tout. On a ainsi le droit à des cinématiques façon BD avec un style cartoonesque, similaire aux rendus des artworks de GTA. Et elles sont en prime entièrement doublées, mais uniquement en anglais avec des sous-titres français. Certaines répliques manquent de naturel, avec une sensation de mots qui sont juste lus au lieu d’être interprétés, et ne fonctionnent pas toujours avec l’apparence du personnage qui parle. Mais au moins, on a des doublages. Si la narration m'a posé des problèmes, la structure du jeu et sa répétitivité extrême n’ont pas arrangé les choses. Cela vient même renforcer cet ennui général que j'ai pu éprouver jusqu’au générique, même lors du twist que tout le monde pourra voir venir à des kilomètres.

Vis ma vie de flic
The Precinct est à la croisée de la simulation policière et du jeu d’action traditionnel à la GTA, sauf que contrairement à la saga culte de Rockstar Games, on est du bon côté de la loi et l’on doit faire régner l’ordre. Hors de question de semer le chaos en tirant sur tout ce qui bouge et ou de provoquer des explosions à ne plus savoir qu’en faire pour empiler les étoiles de recherche. Non, ici, on va devoir patrouiller à pied, en voiture ou à bord d’un hélicoptère à travers la ville d’Averno pour enrayer les délits et les crimes ainsi que la violence des gangs en réalisant les tâches d’un vrai policier.
Chaque sortie dans les rues d’Averno prend la forme d’un quart de police, qu’on accepte au commissariat avant de débuter notre service, nous emmenant dans les différents secteurs de la ville qui se débloquent progressivement. On doit par exemple lutter contre la vente de stupéfiants, contrôler le trafic d’armes ou, moins dangereux, s’en prendre à celles et ceux qui n’auraient pas envie de respecter les règles de stationnement. Dans ce cas précis, on peut s’approcher des véhicules garés et décider de mettre une prune si une infraction est constatée (expiration du parcmètre, voiture sur un trottoir ou devant une bouche d’incendie etc.). Et il faut faire attention à ne pas faire preuve d’excès de zèle sous peine de recevoir des pénalités qui font baisser les points d’expérience attribués pour chaque action.

Néanmoins, pas de panique, le système est extrêmement clément pour que l’on puisse commettre des erreurs, volontaires ou non, sans craindre de lourdes conséquences puisqu’on nous force quoiqu’il advienne à rester dans les clous. Enfreindre la loi de quelque manière que ce soit ne va aucunement influer négativement sur l’aventure et c'est d’ailleurs l’une des limites qui peut rendre l’expérience globale finalement assez fade. Il y a bien un choix qui peut nous faire pencher du mauvais côté, mais rien qui ne pimente les choses de façon importante.
Notre mission première sera donc de constater toutes les infractions possibles sur le tas durant une patrouille ou lorsque le central nous appelle pour un évènement précis. Les violations de la loi peuvent être variées allant du simple jet de détritus sur la voie publique, à l’excès de vitesse qui cache souvent un taux d’alcoolémie trop élevé, à l’accident avec délit de fuite etc. Et on ne sait jamais ce qui va nous attendre sur le moment puisque les événements sont créés grâce à la génération procédurale. Pour le coup, c’est très difficile de prendre en défaut The Precinct là-dessus et c'est même son gros point fort. Les développeurs ont réellement bossé leur sujet et leurs mécaniques pour qu’on ait l’illusion d’incarner un policier. Une fois qu’une infraction est enregistrée, il faut trancher sur la manière d’agir, en sachant que chaque crime répond à un niveau de force différent, et sur l’issue à donner suite aux divers forfaits. Par exemple, il est inutile de sortir une arme à feu pour un tag innocent sur un mur, tandis qu’on sera autorisé à le faire si l’on tombe sur un gang.

Chaque situation est donc propre, mais le cheminement est identique. Avant de savoir quoi faire et de statuer sur la punition, il faut déjà mettre la main sur le suspect. Parfois ce dernier va accepter de discuter sans bouger quand, à d’autres moments, il tentera de prendre la fuite à pied ou en véhicule. On pourra alors émettre des sommations orales pour l’inviter à se rendre et s'il s’en fiche, le courser, le plaquer au sol et le menotter s’il ne veut pas entendre raison, ou bien jouer de la sirène et des gyrophares pour signaler notre présence lors d’interpellations motorisées. Lors d’arrestations, plusieurs interactions s'offrent à nous avec le contrôle d’identité pour savoir si la personne incriminée a un casier, la fouille et le test d’alcoolémie.
Tout ce qu’on trouve pendant cette phase sert à déterminer les infractions et les sanctions. On a le choix de tout faire nous-même ou de déléguer des tâches à notre partenaire de façon automatique pour nous soulager. Lorsqu’on a tous les éléments en main, c’est là qu’on juge s’il faut dresser une amende, relâcher le suspect ou bien l’arrêter en le mettant dans notre voiture de police ou en appelant une patrouille qui le conduira au commissariat. À mesure que l’on réussit nos missions, on gagne des « Jetons d’améliorations » pour accéder à différentes compétences déblocables à travers quatre arbres distincts (physique, combat, maintien de l’ordre, véhicule). On pourra augmenter notre santé, être en mesure de perquisitionner n’importe bolide, recouvrir de l’endurance en sprintant etc. Ce qu’on vous explique là est le cœur de The Precinct… qui est l’une de ses plus grosses faiblesses.
Un GTA-like à l'ancienne qui tient vraiment la route ?
Le jeu a beau avoir une gestion procédurale des délits et crimes, des quarts de police qui se déverrouillent au fil de la progression - qui peuvent être d’ailleurs personnalisés par le joueur en fonction de différents critères (durée, moment de la journée, nature de l’activité…) pour renouveler l’expérience au fur et à mesure -, c’est tout le temps, TOUT le temps la même chose et cette boucle de gameplay montre ses limites dès les premières heures. Il n’y a quasiment aucune diversité - excepté lors de deux courts passages avec un appareil d’écoute pour espionner une conversation et l’interrogatoire du voisinage afin d’avancer dans une affaire. Tout le processus d'identification, d’arrestation et d’enquête du suspect demeure identique du début à la toute fin. Et si vous prêtez attention aux PNJ, vous verrez qu’il y a également beaucoup de répétitions à ce niveau.

De ce fait, le concept qui pouvait être rafraîchissant et agréable s'essouffle très rapidement et l’ensemble tire trop en longueur alors que The Precinct a une durée de vie de 8 à 10 heures pour voir le bout de l’histoire. Forcément, devant ce constat, on peine à avoir envie d’aller jusqu’au dénouement. Le contenu annexe très inspiré de GTA comme les emplacements pour réaliser des cascades, les courses de rue ou contre-la-montre avec des checkpoints, ne permettent pas de gommer ce sentiment de répétitivité extrême. La promesse de courses-poursuites « intenses » n’est pas non plus au rendez-vous alors que, là encore, il y a de bonnes idées qui vont plaire à la fois aux fans de GTA et de Need For Speed. Lorsqu’on prend en chasse quelqu’un, et qu’on le suit de près, on emmagasine des « Jetons d’assistance » pour appeler des renforts. Ça peut être un hélicoptère pour avoir une information précise sur la localisation du suspect, une voiture de police, un fourgon antiémeute, un barrage routier ou encore une herse.
Si ces options sont très cools en soi, la conduite, peu importe le véhicule, est souvent mollassonne et effectuer un virage serré pourra vite être laborieux. La maniabilité aurait gagné à être plus souple et plus arcade. Entre deux arrestations et relevés d’infractions ou courses-poursuites à pied ou en véhicule, The Precinct propose des gunfights eux aussi très perfectibles et oubliables. Pour voir complètement rouge durant ces phases, on vous conseille vivement la visée automatique comme dans GTA. Quant aux combats au corps à corps… on dira simplement de les éviter le plus possible tant la finition est malheureusement catastrophique. L’autre point qui a peut-être provoqué l’apparition de cheveux blancs, c’est la fréquence des temps de chargement. C’est trop, beaucoup trop, et ça faisait bien longtemps que je n'avais pas eu à subir cela… Dommage, car en soi, la technique tient la route pour un titre de cet acabit.

Entendons-nous bien, il y a des lacunes au niveau du framerate par exemple, sur PS5 ou PS5 Pro, mais ça aurait pu être bien pire. Par moments, The Precinct essaye d’en faire trop sans être armé pour cela. Comme avec cet effet de pluie ambitieux, mais raté, qui peut engendrer des soucis de lisibilité. Cet excès de confiance tranche d'ailleurs avec l’approche choisie pour la carte du jeu. The Precinct ne prétend pas avoir le budget d’un GTA 6 et n’a même pas tenté d’avoir un monde ouvert. À la place, on a une map à échelle humaine avec deux îles et plusieurs quartiers bien différents, dont Chinatown. La ville est sympathique à parcourir, d’autant plus avec le cycle jour/nuit, bien qu’elle manque parfois de vie à certains endroits. La patte plus cartoonesque appliquée aux environnements, pour un rendu qui s’apparente plus à du cel-shading, fonctionne bien. Cela permet d’avoir une identité tout en contournant les limites de budget. Par contre, on reste sur notre faim quant à l’ambiance générale de film policier / années 80. Bien qu’il y ait une atmosphère parfois un peu cradingue, c’est trop propre. De même, les musiques, quand elles ne se répètent pas, déçoivent alors que certaines sont suffisamment catchy pour nous faire bouger la tête.