J'aurais préféré commencer ce test avec une bonne vieille anecdote d'enfance. Raconter comment la saga m'a accompagné comme beaucoup d'autres tout au long de mon chemin de joueur PC, par exemple. Mais n'allons pas nous voiler la face : depuis trois jours, des milliers de gourmands sont attablés dans un resto où la bouffe est payable d'avance et où bon nombre d'entre eux n'ont toujours pas vu la pointe d'une asperge. Pire : parfois un serveur vient vous poser une belle plâtrée sous le nez puis vous la reprend 15 minutes plus tard avant de disparaître en cuisines en ricanant. En Europe comme ailleurs, le lancement de SimCity et son DRM à connexion permanente est un désastre technique tel qu'Electronic Arts vient lui-même de stopper la promotion du titre, en attendant que les choses rentrent dans l'ordre. Mais commençons par parler du jeu en faisant comme si. Comme si mes 20 heures de jeu cumulées perdues dans la nature n'avaient pas d'importance ou comme si le lanceur ne plantait pas régulièrement. Oublions le temps d'un instant que dans un patch express, EA et Maxis viennent de suspendre bon nombre de fonctions soi-disant "non critiques" dont le très critique troisième mode de vitesse, divisant ainsi le rythme du jeu par deux ou trois. Si l'on fait abstraction de cette débâcle, SimCity est-il la suite qu'on était en droit d'attendre ?

Croissance aux amendes

Les premiers pas sur un bout de terrain vierge restent relativement les mêmes que par le passé. Des routes - qui embarquent maintenant câbles et canalisations - des zones Résidentielles, Commerciales et Industrielles à tracer sur la carte, de quoi s'alimenter en eau, en électricité et voilà que mes premiers pigeons rappliquent déjà avec leurs cartons de déménagement. Aux zones dont on définissait manuellement l'intensité des épisodes précédents, SimCity préfère un système basé sur le trafic routier : les RCI sont désormais gratuites à zoner et évolueront selon le type de voies dont elles sont riveraines. D'un seul clic et moyennant finances, on améliore une bande de bitume, on fluidifie la circulation et on ouvre des nouvelles possibilités d'évolution pour nos quartiers. Pratique et relativement imparable... tout du moins dans les premiers temps (on y reviendra). Viennent ensuite les sacro-saintes problématiques de sécurité, de santé ou d'éducation qu'on résout toujours en implantant des infrastructures municipales. Dans cette nouvelle mouture, ces dernières ne fonctionnent d'ailleurs plus par aires d'effet mais selon une série de rapports entre votre réseau routier et les ambulances disponibles, la contenance de vos salles de classe et la répartition de vos arrêts de bus, etc. Chaque bâtiment met ainsi à disposition des options d'améliorations avec un prix d'achat ainsi qu'un coût d'entretien par heures qu'il faudra compter dans votre budget. Jusqu'ici, ma foi, tout va bien. Et dans les premières heures d'une ville, tout va même un peu trop bien, puisqu'il vous suffira de zoner un nouveau bloc résidentiel pour pas un rond et d'encaisser les nouveaux impôts pour rentrer dans vos frais sans vous faire de bile. Et même avec trois prêts sur le dos. Tenez, c'est tellement facile que j'ai déjà atteint les jolis petits pointillés qui délimitent ma ville. Ouch... c'est vraiment petit, 2 kilomètres carrés. Vilains, vilains pointillés.

Courte Échelle

Tout est allé très vite. Trois, quatre heures à tout casser et me voilà obligé de faire mes premiers sacrifices d'espace pour ajouter à ma cité l'attrait et les services qui la feront croître verticalement, à défaut d'horizontalement. Si encore je pouvais dégainer ce bon vieux terraforming pour te bulldozer cette foutue falaise, mais non, c'est fini ce temps-là. On entre alors dans la boucle semi-passive suivante : améliorer l'attrait d'un quartier, admirer l'évolution des bâtiments, ajouter une voiture de police, un arrêt de tram ou une nouvelle éolienne pour éponger les nouveaux besoins des Sims, passer le jeu en vitesse max (enfin, quand on pourra à nouveau l'utiliser, haha... ha) et rebelotte jusqu'à plafonner autour d'un maigre 200k habitants en moyenne. Ce n'est vraiment pas bezef, comparé aux opus précédents, mais c'est la résultante logique des fantaisies d'échelle de Maxis, qui a imaginé des bâtiments haut-de-gamme (infrastructures, spécialisations pour les villes comme les casinos ou les puits de pétrole) aux proportions parfois démesurées, qui empêchent le joueur de tirer partie de l'espace déjà tristement réduit dont il dispose.

La complainte du Caterpillar

Et bonne chance s'il vous prenait l'envie farfelue de vous éclater à optimiser ou à réaménager votre lopin de terre, les choix de design qui régissent les constructions dans SimCity rendant ces exercices aussi intuitifs et agréables que de terminer un rubik's cube avec des moufles en groseilles. Voyez plutôt : pour des raisons de largeur, on ne peut pas faire évoluer automatiquement les simples rues en avenues doubles. Il faudra détruire l'ancien tracé pour en bâtir un nouveau. Mais raser une route pulvérise obligatoirement les bâtiments adjacents. Si si. Sans option payante du genre "Déplacer" ou autre mode d'édition malin, je me trouve contraint et forcé de raser ma centrale à 140 000 Simflouzes si je désire améliorer les routes qui la desservent. Puis d'en repayer une neuve, plein pot, que j'installerai exactement au même endroit. La première fois, on hurle. Les fois suivantes aussi. En désespoir de cause, on finira par abandonner son fief pour aller s'établir ailleurs, où l'on commencera par faire un prêt pour financer le réseau routier avant tout le reste. Les villes de SimCity sont jetables et quelque part, c'est d'une tristesse folle.

Ca raque au nord

En étendard chez Maxis pour justifier ces villes lilliputiennes par lesquelles la routine et la frustration arrivent : la gourmandise du fameux moteur de simulation Glassbox. La bestiole est en effet sensée brasser des kilotonnes de chiffres mais aussi générer des comportements routiers et piétons crédibles pour chaque petit Sim qui fout un pied dehors. Et si dans un domaine comme dans l'autre le taf est plutôt pas mal fait, il reste çà et là quelques questions qui se posent, à la défaveur d'un réseau routier un peu atypique par exemple. Des questions comme "pourquoi tous mes camions-poubelles s'engouffrent-ils à la queue-leu-leu dans cette artère bondée alors que j'ai tracé des itinéraires alternatifs leur permettant de se répartir le travail ?", "comment ça, une pénurie d'eau alors que ça fait trois minutes (IRL) que ma nouvelle station de pompage tourne à plein régime ?" ou encore "le mec qui parcourt la 34ème rue dans un sens puis dans l'autre toute la journée sur son scooter en faisant de joli demi-tours aux carrefours est-il un crétin artificiel ?". Un ou deux bâtiments aux raccordements capricieux et quelques poignées de glitches graphiques viennent confirmer le bilan de mes experts en finition : c'est pas super bien fini.

L'instant Olivier Chiabodo

Mais je parle, je parle et je vous ferais presque croire à la possibilité de se la couler pépère en solo. Ha ! Naïfs que vous êtes. Non mais franchement : secouez-vous, on est en 2013, c'est le temps du "tout connecté" et des interactions sociales forcées à coups de pompes. Bref. A peine sa ville fraîchement connectée au reste de la région, le joueur désireux de se défaire des contraintes liées à l'énergie, l'alimentation en eau et son évacuation pourra aller taper dans le surplus de ses voisins. L'achat est réglé d'un clic mais ne lie aucunement les villes par un contrat chiffré : le mec d'en face est prioritaire sur son rab d'électricité et s'il en fait usage, vous êtes marrons. Le partage des services motorisés (ambulances, pompiers, police, éboueurs) reste en revanche à la discrétion de vos voisins, qui pourront décider de vous allouer un nombre arrêté de véhicules pour lesquels vous serez débités en cas d'intervention de leur part. Pour le coup, les bases du partage multi ont été pensées pour empêcher les dérives du genre "voisin taxeur" et c'est pour le mieux. Dommage qu'il n'en soit pas de même pour les divers flux migratoires simulés par le moteur : je n'ai pas créé une seule ville qui n'ait pas vu son système scolaire saturé par les écoliers d'une cité voisine ou ses commerces mis à sac par la criminalité non combattue d'un autre maire, par exemple. De manière générale et malgré un côté réaliste indéniable (la bataille de sens interdits entre Clichy et Levallois en est un triste exemple réel), l'influence d'une région pré-existante sur le développement de ma cité m'a trop souvent privé d'une part de liberté.

We Are Region

Commencer une partie et voir le compteur RCI hurler aux besoins en quartiers commerçants et rien d'autre, c'est pas banal. Pour un peu que vous vous soyez établi entre un magnat du pétrole et un type qui empile les tours résidentielles, il faudra faire preuve d'adaptation. Et si J.R. Ewing décide subitement de fermer boutique ou de faire table rase des usines qui faisaient bosser vos citoyens les moins lettrés, vous vous retrouvez avec une génération de manutentionnaires à sauver du chômage sur vos deux kilomètres carrés. Ça monsieur Maxis, ça s'appelle le Nord et ce n'est pas drôle tous les jours. La meilleure manière de profiter au mieux de l'interconnexion des villes reste en fait de se dégoter des potes et de jouer sur un serveur privé, où l'on commencera par établir une stratégie de groupe avant de couler la moindre dalle de béton. Les grands chantiers régionaux proposés par SimCity demanderont en effet une coordination parfaite des organes de recherche, de production et de stockage, ainsi qu'une circulation des marchandises la plus fluide possible, qu'il s'agisse de voies routières, ferroviaires ou maritimes. Et le challenge est loin d'être inintéressant. Dommage alors que le fameux "Mur de Région" soit si sommaire (un bête chat in game sans possibilité de messages persos ou de "whispers") et que les fameuses régions à 16 joueurs soient le plus souvent constituées de groupes de 3 ou 4 villes non connectés les uns aux autres mais rassemblés pour faire plaisir au marketing.

Les jouets Jean-Michel

Ayé, il a bien déversé sa bile sur les valeurs perdues de la licence, le garçon. Mais n'empêche qu'il y joue encore - quand les serveurs veulent bien - qu'il y jouera demain et pourquoi pas la semaine prochaine, si les serveurs veulent bien. Parce que même si l'on est plus en présence d'un SimTiékar que d'un véritable SimCity, le jeu reste agréable à jouer, à regarder tourner et à triturer, quand les serveurs veulent bien. C'est mignon, sonorisé avec soin - mention spéciale à la bande originale, probablement l'une des plus entêtantes des fameuses BO "à la Maxis" - et la vingtaine de couches de données à appliquer à même sa ville est un véritable fantasme pour les amateurs d'infographies et data lovers (en plus de nous rappeler combien un second Mirror's Edge manque à cette planète). Bref, tant qu'une cité n'a pas atteint le fameux volume à partir duquel elle périclite et devient jetable, je m'amuse assez pour la mener à l'abattoir avant de recommencer. Si les serveurs veulent bien.

Entre le moment où EA et Maxis ont décidé d'accorder sa retraite à SimCity 4 en lui donnant un héritier et la sortie de ce nouvel opus, il y a un mystère. Comment compresser un héritage aussi exigent que celui-ci au point d'obtenir une formule si imparfaite, aussi vite assimilée que vite oubliée ? SimCity ne fera pas dix ans. Il n'en fera pas même cinq. Une fois les ennuis techniques mis de côté - ça devrait finir par arriver - le titre aura de quoi passionner pendant cinq heures, amuser pendant quinze et vous faire tenir jusqu'à la trentaine, si l'idée des chantiers régionaux à plusieurs pique votre goût du challenge. Pour ceux qui s'échinent déjà à y jouer malgré les reboots serveur incessants et les pertes de progression, ça sera très probablement too little, too late. La tuile.