Dès le lancement, Europa Universalis 5 affiche ses ambitions. L’aventure débute en 1337 et non plus en 1444 comme avant, à une époque charnière où le Moyen Âge touche à sa fin et où la Renaissance se prépare encore dans l’ombre. L’Europe panse ses plaies après les Croisades, les royaumes d’Asie s’étendent, et les routes commerciales du monde changent peu à peu d’équilibre. Ce choix d’époque permet à Paradox d’explorer une période rarement traitée, pleine d’incertitudes.

Mais ce fragile équilibre est bientôt brisé par la peste noire. Quelques décennies après le début de la partie, l’épidémie se propage comme une onde de choc. Les provinces se vident, les récoltes s’effondrent et les revenus disparaissent. L’événement ne se contente pas d’illustrer l’histoire, il bouleverse réellement la partie. Une mauvaise gestion peut ruiner un royaume entier, forçant le joueur à revoir ses priorités, à isoler ses villes ou à solliciter ses nobles pour survivre.

Cette entrée en matière change complètement la dynamique de la série. Là où Europa Universalis 4 plongeait directement dans la construction des empires modernes, ce nouvel opus impose d’abord de résister, de s’adapter, de reconstruire. Une introduction rude mais passionnante, qui rappelle à quel point la grandeur d’un empire tient parfois à peu de choses.

Le choix du roi

Avant même d’affronter la peste ou de songer à la conquête, il faut d’abord choisir qui l’on veut être. Ce premier écran, simple en apparence, conditionne tout le reste. Europa Universalis 5 propose des dizaines de nations jouables, des puissances établies comme la France ou l’Angleterre jusqu’aux petits royaumes d’Asie ou d’Afrique qui luttent pour exister.

Ce choix définit votre rapport au monde. Incarner le Portugal, c’est apprendre à survivre à l’ombre de Castille tout en rêvant d’horizons lointains. Prendre les Ottomans, c’est unifier l’Anatolie et gérer un empire multiculturel en plein essor. Chaque pays impose un rythme, des priorités, une manière d’aborder la partie. Dès les premières minutes, le ton est donné. Rien n’est figé, tout dépend de vos décisions et de votre capacité à comprendre ce monde vivant. On ne se contente pas d’observer l’histoire, on la réécrit à chaque clic. Pour le bien du test on a commencé avec Castille, un choix judicieux (et recommandé par le jeu lui-même).

Une nouvelle et magnifique map

Une fois la nation choisie, Europa Universalis 5 déploie sa plus grande réussite, une carte d’une richesse impressionnante. Le monde s’y dévoile comme un organisme en mouvement, aussi vaste que détaillé. Chaque région possède son relief, son climat, ses ressources et sa place dans l’économie globale. On sent le travail titanesque accompli par Paradox pour redonner à chaque province une véritable identité, qu’il s’agisse d’un port méditerranéen, d’une cité d’Asie ou d’un désert africain.

Ce qui frappe surtout, c’est la manière dont tout semble connecté. Les routes commerciales serpentent naturellement entre les villes, les récoltes varient selon les saisons, et les zones frontalières deviennent le théâtre de tensions constantes. Rien n’est figé, le monde évolue avec le temps, au gré des découvertes, des guerres et des progrès techniques.

Malgré une charge technique parfois lourde sur les configurations moyennes, le résultat reste fascinant. On a réellement le sentiment d’observer un monde qui vit et respire, où chaque décision du joueur, une guerre, un traité, une construction, laisse une empreinte durable.

Gouverner une société avant un empire

Mais la vraie révolution d’Europa Universalis 5 ne se lit pas seulement sur la carte, elle se joue à l’intérieur des frontières. Chaque province n’est plus une simple case colorée, mais une société à part entière, peuplée de groupes sociaux distincts, avec leurs cultures, leurs croyances et leurs attentes.

Aux commandes de la Castille, cette mécanique prend une dimension fascinante. Le pays repose sur un équilibre fragile : des paysans qui nourrissent la population, des marchands qui alimentent les coffres, un clergé omniprésent et une noblesse jalouse de ses privilèges. Soutenir l’un, c’est souvent s’aliéner un autre. Chaque décision économique ou religieuse a des répercussions visibles, transformant la gestion interne en véritable jeu d’équilibriste.

Paradox a aussi abandonné les anciennes ressources abstraites de EU4. Ici, la croissance dépend du travail de vos sujets, de leur éducation et de leur loyauté. Impossible d’étendre son empire sans main-d’œuvre suffisante ou sans cadres capables d’en assurer la stabilité. Le système de contrôle territorial renforce encore cette logique : plus une province est éloignée de votre capitale, plus il devient coûteux de l’administrer. Une idée simple, mais diablement efficace, qui pousse à déléguer le pouvoir plutôt qu’à tout centraliser.

Ces changements donnent à chaque partie une saveur unique. On ne se contente plus d’accumuler les conquêtes, on apprend à faire vivre un peuple, avec ses faiblesses et ses ambitions. C’est sans doute là qu’Europa Universalis 5 trouve sa plus grande force.

La puissance économique au service du pouvoir

Faire vivre un peuple, c’est aussi nourrir son économie. Europa Universalis 5 ne se contente pas de simuler des classes sociales, il leur donne un rôle concret dans la production des richesses. Chaque province dispose désormais de ses ressources propres, extraites par la population locale selon le climat, la géographie et le niveau de développement.

En Castille, les plaines fertiles génèrent du blé et de l’huile d’olive, tandis que les montagnes recèlent du fer et du cuivre. Ces matières premières constituent la base de toute l’économie, et leur exploitation dépend d’un nouveau système appelé R.G.O. (Resource Gathering Operation). Plus vos infrastructures sont développées et plus vos travailleurs sont nombreux et instruits, plus la production augmente. À l’inverse, les guerres, les famines ou les épidémies peuvent ruiner une région entière, rappelant à quel point la stabilité sociale reste le moteur de la prospérité.

Paradox pousse aussi la logique plus loin avec un système de bâtiments entièrement repensé. Chaque structure, ferme, mine, atelier ou port,  a une fonction précise et interagit avec les ressources locales. Les moulins améliorent les récoltes, les fonderies transforment les minerais en outils, et les bibliothèques participent à l’essor de la littératie. Le joueur doit donc penser chaque construction comme une pièce d’un réseau économique global, où tout se transforme, se consomme et se revend.

Cette nouvelle approche donne au développement intérieur une importance inédite. Il ne s’agit plus seulement d’agrandir ses frontières, mais de faire croître un système vivant et cohérent. La moindre route ou le moindre marché peut changer l’équilibre d’une région, voire d’un continent. Une vision d’ensemble vertigineuse, mais d’une cohérence remarquable.

Un commerce en perpétuel mouvement

Une économie florissante ne vaut rien sans échanges, et Europa Universalis 5 l’a bien compris. Après avoir posé les bases de la production, le jeu fait vivre ces richesses à travers un système commercial entièrement repensé. Tout ce qui est produit dans vos provinces doit trouver preneur, que ce soit sur vos marchés ou à l’étranger.

Chaque région du monde fait désormais partie d’un marché, centré autour d’une grande cité ou d’un port majeur. Ces marchés évoluent en permanence, s’étendent ou se rétractent selon la puissance économique de leurs propriétaires. Le résultat, c’est un réseau mondial où les marchandises circulent librement, mais où chaque nation tente d’imposer sa domination.

Dans notre partie castillane, cette mécanique s’est rapidement révélée cruciale. Les richesses de la péninsule attirent les convoitises, et sécuriser un port comme Séville devient une priorité. Contrôler un centre de marché, c’est influencer le prix des biens, taxer les échanges et renforcer sa position face aux voisins. Mais la compétition est rude. Les puissances maritimes comme l’Angleterre, Venise ou Gênes n’hésitent pas à étendre leur influence commerciale jusqu’à nos côtes, forçant à négocier des accords ou à préparer la guerre.

Le jeu repose sur un principe simple, mais redoutable : l’offre et la demande. Les prix fluctuent selon les besoins et la rareté des ressources. Le fer ou les armes voient leur valeur grimper en période de guerre, tandis que les produits de luxe s’effondrent quand la misère s’installe. Ce dynamisme donne au monde une impression de vie permanente, où chaque crise locale peut avoir des répercussions globales.

Paradox a aussi ajouté une dimension stratégique nouvelle. Plus une province est éloignée de son centre de marché, moins elle profite de ses richesses. Construire des routes, développer des ports ou fonder un nouveau marché devient alors essentiel pour éviter l’isolement économique. Là encore, la logique de distance et de logistique s’impose, renforçant le réalisme du jeu.

Cette refonte du commerce transforme Europa Universalis 5 en une simulation économique d’une ampleur inédite. On ne gère plus seulement un empire, mais un réseau vivant où chaque échange peut faire pencher le monde d’un côté ou de l’autre. On doit vous avouer qu’il faut quand même plusieurs heures avant de pouvoir gérer convenablement tout ça. Il va falloir du temps, c’est dit.

Guerre et Paix

Quand l’économie s’emballe et que les marchés s’entremêlent, la diplomatie devient votre meilleure arme. Dans Europa Universalis 5, elle gagne en profondeur et en crédibilité par rapport à EU 4. Chaque décision, chaque alliance ou trahison, repose sur un équilibre délicat entre intérêts politiques, culturels et économiques.

Les relations internationales s’appuient désormais sur plusieurs leviers. L’influence religieuse reste essentielle, tout comme les rivalités historiques ou les mariages dynastiques. Mais la nouveauté, c’est que tout ce que vous faites à l’intérieur de vos frontières a un impact à l’extérieur. Un pays prospère attire les convoitises, un royaume instable suscite la méfiance, et une expansion trop rapide peut unir vos ennemis les plus improbables.

Avec la Castille, ces mécaniques se font sentir dès les premières années. La proximité avec la France, l’Aragon et les puissances musulmanes d’Afrique du Nord crée une tension permanente. Chaque traité signé, chaque garantie de paix accordée ou refusée peut redessiner la carte de la péninsule. Et comme toujours chez Paradox, la diplomatie n’est pas qu’une question d’intentions, elle est aussi un jeu de patience et de calcul.

Mais lorsque les mots ne suffisent plus, la guerre reprend ses droits. Et c’est là que Paradox signe l’un de ses choix les plus applaudis par les fans. Après les critiques adressées à Victoria 3 et à son système de guerre abstrait, Europa Universalis 5 renoue avec des affrontements visibles, concrets et incarnés. Les armées sont de retour sur la carte, avec leurs mouvements, leurs sièges et leurs batailles. Ce retour visuel redonne au jeu une dimension stratégique immédiate et beaucoup plus lisible.

La guerre reste toutefois bien plus complexe qu’avant. Chaque campagne demande une planification minutieuse. Ravitaillement, moral, lignes de front et attrition redeviennent centraux. Envoyer des troupes trop loin sans préparation, c’est risquer de tout perdre avant même le combat. Loin de glorifier la conquête, le jeu rappelle que la logistique et la diplomatie vont de pair, et que la victoire se construit autant à la table des négociations qu’au cœur du champ de bataille.

Ce nouvel équilibre entre réalisme et spectacle fait de chaque guerre un moment fort, tendu et souvent mémorable. Europa Universalis 5 retrouve ainsi ce qui faisait la grandeur de la série, un monde crédible, où la puissance se mesure autant en armées qu’en patience.

L’expansion du monde et la course aux empires

Quand les canons se taisent, un autre front s’ouvre sur l’océan. Après les négociations et les campagnes militaires, Europa Universalis 5 pousse naturellement vers l’exploration puis la colonisation. Le monde ne se gagne pas seulement par les traités et les sièges, il se découvre, se cartographie, se peuple.

Explorer demande préparation et sang-froid. On finance une expédition, on arme des navires, on choisit un capitaine, puis on attend le retour des cartes. La réussite dépend de la distance, du relief et des avancées nautiques. Une flotte mal préparée se perd facilement quand une bonne logistique ouvre des voies entières.

Vient ensuite la colonisation, pensée comme un investissement de long terme. On lance un mandat sur une province, on choisit d’où partiront les colons, et l’on voit la population s’installer lentement. Ces colons ne sortent pas de nulle part, ils quittent vos campagnes et vos villes. Envoyer trop de monde affaiblit la métropole, mais les terres nouvelles finissent par payer, surtout quand elles regorgent de cacao, d’or, de sucre ou d’épices.

La compétition est réelle. Plusieurs nations peuvent viser la même région et c’est la plus rapide à y envoyer des habitants qui l’emporte. Dans certaines parties, l’arbitrage papal fait surface sous la forme d’un traité qui redessine les zones d’influence entre puissances catholiques. Rien n’est figé, le partage dépend des acteurs présents et du rapport de force du moment.

Reste la question du statut. Intégrer directement une colonie alourdit l’administration et souffre de l’éloignement. Créer un sujet colonial offre plus de souplesse et des retours réguliers en impôts, en hommes et en capacité commerciale. Dans notre campagne castillane, fonder un pouvoir local en Amérique a fluidifié le commerce atlantique tout en sécurisant nos ports de la péninsule.

Tout cela se répercute sur les marchés. Les biens exotiques font grimper la demande, les routes changent, les prix bougent. Un port bien placé peut transformer une région entière. À l’inverse, une mauvaise accessibilité étouffe les échanges. Routes, docks et centres de marché deviennent alors des priorités stratégiques autant que des symboles de puissance.

L’expansion maritime d’Europa Universalis 5 n’est ni un bonus gratuit ni un simple rôle décoratif. C’est une seconde partie d’échecs, patiente et risquée, qui s’imbrique avec la diplomatie, l’économie et la guerre. Et c’est souvent là que se joue la différence entre un royaume prospère et un empire.

Le poids du temps et la grandeur des nations

C’est au fil des siècles qu’Europa Universalis 5 déploie toute sa profondeur. Chaque ère apporte son lot d’innovations, de bouleversements et de défis à long terme. Les progrès technologiques ne dépendent plus d’une simple dépense de points abstraits, mais du niveau d’éducation, de stabilité et de prospérité de votre peuple. Plus vos populations sont lettrées, plus vos artisans, ingénieurs et érudits sont nombreux, plus votre civilisation avance.

Cette évolution s’appuie sur un vaste arbre de réformes et d’“advances” qui couvrent aussi bien l’économie que la société ou la guerre. Découvrir la métallurgie fine, par exemple, améliore la production de fer, tandis que la généralisation de l’imprimerie accélère la diffusion des idées et des lois. Certaines avancées déclenchent même des changements structurels dans l’État, comme la création d’un cabinet ministériel, la professionnalisation de l’armée ou la centralisation administrative.

La progression est lente et intimidante, mais gratifiante. On ressent réellement le passage des âges, de la féodalité au monde moderne. Le rythme de ces découvertes s’aligne sur la réalité de votre pays, une nation appauvrie ou ravagée par la guerre stagne, tandis qu’un royaume prospère et lettré avance plus vite. Et ce décalage entre puissances crée des écarts technologiques visibles sur le terrain.

Dans notre campagne castillane, l’écart entre l’Europe et les puissances d’Europe de l’Est s’est creusé dès le XVe siècle, avant de se réduire avec l’essor du commerce. Les nations en retard peuvent en effet rattraper leur voisinage par la diplomatie, l’espionnage ou l’ouverture au monde. Le jeu met ainsi en scène, de façon naturelle, le grand mouvement de diffusion des idées. C’est vraiment jouissif à observer.

Ces progrès influencent directement la carte et l’économie. Une nouvelle méthode agricole accroît les récoltes, la découverte des moulins à eau booste la production de farine, et la navigation avancée ouvre des routes maritimes jusque-là inaccessibles. Chaque avancée a une conséquence visible et concrète, souvent mesurable en quelques mois de jeu.

Le sentiment de progression est constant, mais jamais artificiel. On ne monte pas en “niveau”, on se modernise. Et cette modernisation s’accompagne de tensions sociales, la noblesse perd de l’influence, la bourgeoisie monte en puissance, la religion se fissure. Europa Universalis 5 parvient ainsi à transformer ce qui aurait pu n’être qu’un arbre de technologies en une fresque vivante de l’évolution des sociétés humaines.

À mesure que le temps passe (les parties peuvent être extrêmement longues), la Castille devient Espagne, les capitales s’agrandissent, les routes s’animent et la diplomatie prend une ampleur mondiale. Le monde médiéval s’efface lentement, laissant place à la modernité, avec ses révolutions et ses contradictions. Et lorsque la fin de partie approche, on ne contemple pas seulement un empire, mais une civilisation forgée siècle après siècle.