Si l'oeuvre de cet écrivain tourmenté vous a fait rater votre oral du bac de français, n'ayez crainte. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'est nullement nécessaire de connaître sur le bout des doigts la bibliographie de ce cher Franz pour se lancer dans cette curieuse aventure. A priori désireux de vendre leur jeu au-delà du cercles des poètes disparus des aficionados, les développeurs de gameletgame ont préféré s'inspirer des écrits plutôt que de les transposer littéralement. Pas folle la guêpe, comme dirait l'autre.

Franz, Olivier, Gilbert

Et pour mettre direct dans l'ambiance le joueur qui se demanderait encore où il vient de débarquer, The Franz Kafka Videogame ne fait pas dans la dentelle : à peine le générique façon Looney Tunes vous a-t-il pris par surprise que c'est Magritte via son célèbre "Fils de l'Homme" qui vous accueille. Kafkaïen dites-vous ? Surréaliste plutôt : le jeu emprunte presque plus aux représentations alambiquées du mouvement défini par André Breton qu'aux écrits de Kafka. En enchaînant des tableaux toujours savamment retors, l'écrivain va embarquer bien malgré lui dans un voyage fantasmagorique qui risque de ne laisser personne indifférent.

Démarrant son récit en 1924 (soit après le déménagement de l'auteur à Berlin), The Franz Kafka Videogame nous dépeint un jeune homme a priori plus concerné par la mise en application des théories freudiennes que par l'amour des belles lettres. Et c'est un Kafka plus flegmatique qu'un Welsh Guard qui va évoluer sans véritable lien entre des tableaux aux énigmes surprenantes. En effet, le jeu prend un plaisir quasi-sadique à jouer avec vos références d'être humain du XXIème siècle lambda : il faut ainsi apprendre à voir le monde autrement et surtout plus loin que le bout de son nez pour amener le pauvre Franz vers la tragique fin qui l'attend. Si d'apparence rien ne semble pouvoir faire évoluer la situation, The Franz Kafka Videogame vous empêche judicieusement de recourir trop vite aux indices disponibles à chaque niveau, ces derniers ne se débloquant qu'au fur et à mesure du temps qui s'écoule...

Dancing Mad

Il faut alors prendre son temps, "penser en dehors de la boîte" comme disent les anglais, et la solution viendra systématiquement à vous. Et si chaque nouvelle charade semble tout le temps hors d'atteinte, c'est pour mieux rendre hommage à la pensée iconoclaste de l'écrivain et de son époque. À l'image de Kafka, le jeu est traversé par une mélancolie lancinante qui reflète un mal-être palpable et touchant. On sera du coup d'autant plus étonné d'arpenter cet absurde enchaînement de situations via une esthétique chaleureuse et bon enfant : à l'opposée du fond, la forme de The Franz Kafka Videogame est un sublime hommage pictural à la patrie de l'auteur. Les personnages rondouillards et les teintes pastels interrogent autant qu'ils pourraient laisser perplexe.

Il ne faudra chercher aucune cohérence dans ce déroulé de scènes citant pèle-mêle les oeuvres de Lewis Caroll, Antoine de Saint-Exupéry ou Ed Boon (!) : jouant la carte du surréalisme jusqu'au bout, l'aventure ressemble à une perpétuelle fuite en avant où les acquis des écrans passés ne seront d'aucune utilité pour envisager les futurs.

Une métamorphose ?

Et si chaque énigme révèle toujours de sympathiques trouvailles, elles s'avèrent souvent trop limitées en termes d'interaction pour pleinement satisfaire le féru de point and click. Il en restera néanmoins une agréable balade sensiblement différente de ce que propose la scène vidéo-ludique, mais dont le dénouement vous prendra par surprise après une heure et demie de jeu...