Il était la première vedette internationale de son sport. Un athlète hors du commun. Une légende qui a fait basculer sa discipline et ses codes dans une autre dimension. Un type fascinant habité par son art. Jonah Lomu a laissé le rugby orphelin de son plus emblématique ambassadeur en novembre dernier. Et, avec lui, c'est un pan de fidèles ne jurant que par ses chevauchées dévastatrices, qui a pleuré sur son triste sort. Certains, d'ailleurs, se plaisaient à les reproduire sur les terrains virtuels. Car Jonah Lomu Rugby, sorti en 1997 sur la première PlayStation, est toujours considéré comme le Graal par les aficionados du ballon ovale. Il a marqué les mémoires de tous ceux qui s'y sont essayés, certains ressortant lors de troisième mi-temps arrosées les répliques cultes de ses commentateurs. Ses cadets ont toujours souffert de la comparaison depuis, comme raffûtés par la puissance brute d'un titre sorti de nulle part mais qui a aussitôt fait "boum" dans les coeurs des passionnés.

Après deux épisodes mi-prune mi-marron, le studio Tru Blu Entertainment a hérité du beau bébé pour enfin transformer l'essai. Encore fallait-il recevoir la gonfle en bonne position, ce qui n'a pas vraiment été le cas étant donné la sortie approximative d'un opus au coeur d'un été très sportif (Euro de football, Wimbledon, Tour de France et Jeux Olympiques) mais vierge de tout rugby. Une distribution aussi brouillonne (il a été maintes fois repoussé) que le style de ce Jonah Lomu Rugby Challenge 3, qui cautionne les défauts de ses prédécesseurs sans y apporter sa patte technique. Car autant, le gap entre les deux premières versions avait la dimension physique d'un deuxième-ligne, autant la marge avec son aîné a plutôt la silhouette fluette d'un demi de mêlée.

Solide sur ses appuis

Pas totalement fous, les développeurs ont pris le pli de leurs confrères en proposant un mode carrière immersif, le "Deviens Pro", dans lequel vous incarnez un joueur lambda et le façonnez pour l'emmener au sommet. Un incontournable dans toutes les séries sportives, maintenant. Si l'on atteint pas l'excellence d'un NBA 2K16 ou d'un FIFA 16, reconnaissons au moins la qualité intrinsèque de cette "belle aventure humaine" qui offre une vision plus individuelle du rugby. En axant le champ d'action sur son seul avatar, vos possibilités seront multipliées puisque vous aurez enfin le temps d'affiner votre placement et vos choix offensifs pour percer les lignes de défense adverses. Le manuel du parfait rugbyman, joueur et puissant, comme la Nouvelle-Zélande aime en former, est respecté à la lettre avec une propension à enchaîner les passes après contact et les cadrages-débordement au détriment du jeu au pied, clairement sous-estimé. Un rugby joli à l'oeil, fluide à l'écran et sympa manette en main. En revanche, les phases de regroupement paraissent beaucoup plus laborieuses, avec un système de déblayage trop sommaire et donc approximatif (gratter le ballon dans le bon timing et/ou ajouter des renforts) pour les amateurs de rucks corsés. Mais les avants ne sont pas délaissés pour autant et pourront se rattraper sur les séquences de lancement (mêlée, touche), retranscrites à l'aide de QTE bien fignolés, pour faire valoir leurs droits.

Si le premier venu pourrait se laisser prendre au jeu, les plus avertis renverront ce nouvel opus dans leurs 22 mètres d'un coup de pied de mammouth. Car, beaucoup de bugs (carton jaune sur touche pas droite, règle de l'avantage, drop qui vaut deux points...) et défauts des anciens épisodes n'ont pas été corrigés. Par exemple, le demi de mêlée paraît toujours aussi peu investi lorsque le ballon doit être éjecté des mauls alors que le manque d'impact des plaquages reste le talon d'Achille de la série. Des sensations de déjà-vu dommageables car l'intelligence artificielle parait, elle, plus cohérente avec un équilibre entre phases offensives et défensives bien tenu. Au lieu de s'attarder sur ces imperfections, nos amis australiens ont préféré rénover le système pour taper les transformations et pénalités. Une intention louable mais pas récompensée, la nouvelle jauge de puissance étant moins aboutie que l'ancienne circulaire, qui gérait à la fois la vitesse et la précision en aller-retour du curseur. Celle-ci ne prend pas en compte la position sur le terrain. C'est ce qui s'appelle manquer de "French Flair"...

A l'aile, la vie n'est pas vraiment belle

Pour attraper le chaland à la cuillère, les éditeurs rivalisent d'ingéniosité et de gros billets pour dégoter des accords avec les clubs pros et les fédérations des pays. En jeu, la récupération de licences et de petits bonus qui font plaisir aux fans et justifient chaque année l'acte d'achat. Si JLRC 3 nous garantit un tour du monde complet au coeur de l'Ovalie (19 compétitions, 28 sélections nationales), avec une escorte plus importante dans l'Hémisphère Sud, il n'en oublie pas moins "le meilleur championnat du monde", dixit les pontes du rugby français : le Top 14, et donc les noms officiels des équipes et des joueurs. On attend donc les patchs des moddeurs pour remédier à cette perte de droits assez inexplicable. Parce que voir le Racing-Métro (ou plutôt Colombes) sans ses traditionnelles couleurs ciel et blanches relève du péché originel. Pour rattraper cette faute de goût, Tru Blu Entertainment, à l'écoute des tendances du moment, a ajouté le rugby à 7 dans son cahier des charges pour varier les plaisirs et faire découvrir une autre façon de pratiquer ce sport. Une bonne pioche au vu de l'engouement suscité par cette discipline, inscrite aux Jeux Olympiques de Rio.

Tant qu'à porter le ballon sur les nouvelles consoles, on était également en droit de s'attendre à des améliorations graphiques. Mais faute de budget ou de maîtrise, nous voilà bloqués dans le ventre très mou du championnat puisque rien n'a bougé par rapport au précédent exercice. Les animations sortent tout droit d'une époque où Pierre Albaladejo commentait encore les rencontres du XV de France, les bugs de collision dépassent l'entendement et les textures sont aussi fades que le visage de Philippe Saint-André un soir de déroute. «"A'men'donné", il faut se dire la vérité et ce qui était pardonnable au tout début de la série ne l'est plus du tout à l'heure du photo-réalisme. Et encore, pour rester poli, puisque l'on est entre gentlemen, je ne m'attarderai pas sur le visage uniforme et simpliste (simplet ?) des protagonistes ainsi que sur l'ambiance sonore, impersonnelle et peu inspirée. De ce côté-là, Jonah Lomu Rugby Challenge 3 se plante en beauté et rate un essai offert sur un plateau.

Pourtant, même avec ses tares graphiques et ses problèmes de gameplay, Jonah Lomu Rugby Challenge 3 reste la meilleure option pour assouvir virtuellement sa passion pour le rugby. Sans avoir l'envergure des modes carrières de FIFA ou de NBA 2K, le "Deviens Pro" fait agréablement sa part de travail et nous garantit des heures de plaisir à avaler du terrain, découper des adversaires et s'en aller, casque au vent, en terre promise. A condition, bien sûr, de choisir un bon poste puisque les attributs et compétences sont distribués en fonction des objectifs. On progresse donc par les statistiques et non pas par la qualité de jeu produite, ce qui dénature un peu l'esprit de ce sport. Mais avec les simulations de rugby, aussi subtiles qu'une charge de Sébastien Chabal, on n'est plus vraiment à un détail près et on se contentera de ce que le studio veut bien nous donner.