Les boucles temporelles, on commence à connaître : faute d'avoir pu vivre par nous-mêmes l'expérience, les (més)aventures cinématographiques de Bill Murray ou le récent 12 Minutes n'auront pas manqué de décliner une ficelle narrative périlleuse, à manipuler avec précaution. C'est sur cette même mécanique de boucle que Deathloop construit son récit et son action, en faisant du pauvre Colt Vahn le prisonnier d'un jour sans fin, où même la mort n'offre pas le repos tant mérité. À croire que tout se perd...

Good Day Sunshine

Sale journée pour notre fine gâchette : l'histoire ne dit pas (encore) s'il s'agit d'un lendemain de beuverie, mais Colt se réveille la tête en vrac pour poser les yeux sur une plage au lever du soleil. L'heure n'est pas à la contemplation, puisqu'il découvre une fois les idées à peu près en place d'étranges messages, spectraux, au ton bien familier : rapidement, il comprend que l'émetteur et le receveur sont une seule et même personne. Lui-même, donc. Pour l'heure, l'île de Blackreef conserve tous ses mystères, et Colt n'a d'autre choix que de se laisser guider par la (très) moqueuse Julianna, au moins aussi acerbe que lui est déboussolé. C'est dire.

Voila notre héros mené par le bout du nez à travers le haut-parleur d'un talkie-walkie à tout faire, faute de savoir de quoi il en retourne. Mais un brutal décès plus tard, les masques tombent : Colt est bien la victime d'une bien curieuse comédie, condamné à revivre encore et encore cette même fichue journée. Mais à l'instar de sa Némésis, il garde en mémoire les événements des boucles passées, et compte bien profiter de cet avantage pour casser des bouches, puis ce fichu cycle. Dans cet ordre. Pour espérer voir un autre soleil se lever, il va falloir dérouiller un octuor de personnages hauts en couleurs, les Visionnaires, et lever le voile sur cet endroit étrange, où tout semble possible.

C'est tous les jours le printemps

Deathloop base donc la plupart de ses mécaniques sur ce principe de répétition : chaque jour décomposé en quatre phases (matin, midi, après-midi et soir) sonne comme autant d'occasions de parcourir à différents moments de la journée les quatre secteurs de Blackreef, et accumuler les connaissances pour espérer prendre de vitesse un casting singulier. En bon héritier de Dishonored, le nouveau jeu d'Arkane Lyon prend des airs de FPS pour mieux se focaliser sur l'exploration d'un vaste environnement : seul contre tous, Colt doit faire face à des troupes de fanatiques eux aussi bien coloré et privilégier, au moins dans un premier temps, l'approche furtive.

L'I.A. n'est pas des plus finaudes, loin s'en faut, et notre héros possède heureusement la faculté de tordre le cou à ses ennemis, pour les voir disparaître instantanément. Contrairement à Dishonored, Deathloop embarque de facto bien des outils, même si la montée en puissance fait immanquablement partie de l'aventure : à chaque fin de boucle, Colt peut choisir de conserver moyennant finance ses meilleures armes et capacités dérobées à l'ennemi, et l'on peut ainsi rapidement compléter sa palette d'un double-saut bien pratique ou d'une téléportation calquée sur celle du sieur Attano. Pratique pour gagner rapidement les hauteurs, et s'éviter ainsi bien des gunfights. Ces capacités souvent empruntées aux anciens jeux d'Arkane, et le nombre restreint s'accorde plutôt bien avec les trois slots proposés. Plutôt que de tirer dans le tas, on peut ainsi relier les ennemis entre eux et faire plusieurs victimes avec une seule balle, ou choisir de disparaître et briser des nuques sans se faire voir. C'est au choix. Les affrontements à proprement parler s'avèrent plaisants, sans pour autant atteindre des sommets : ici, les dégâts sont réalistes d'un côté comme de l'autre, et ils ne faut pas longtemps pour tuer ou être tué. Avec trois armes portées à bout de bras, il faudra trouver un arsenal adapté à votre style de jeu, même si la variété de sensations annoncée n'est pas forcément convaincante : du bout des doigts, la DualSense peine de facto à différencier leurs retours haptiques. Qu'importe, puisque son haut-parleur servira toujours de vecteur de diffusion aux échanges fleuris entre Colt et Julianna. À chaque fin de cycle, Colt peut dépenser la ressource locale pour renforcer armes et compétences, et l'on finit ainsi par attaquer de nouvelles runs avec un arsenal conséquent.

Y a le bon et le mauvais run

Chaque run de Deathloop - une fois passée une première heure de jeu bien dirigiste - se révèle donc à exploiter selon vos envies : la traque des huit Visionnaires demande de mener une enquête tentaculaire sur leurs personnalités, leurs motivations et leurs plannings, afin de maximiser le rendement. Au détour d'une conversation de rue, ou d'un document traînant négligemment sur un coin de table, Colt se familiarise avec ce groupe qu'il (re)découvre en même temps que le joueur. À l'instar de Bioshock premier du nom, Arkane propose une galerie de personnages très travaillés, aux caractères bien trempés et aux motivations aussi solides que mystérieuses. Leur traque conduira parfois Colt à s'aventurer dans des espaces fermés, qui sont comme dans le jeu culte d'Irrational autant d'occasion de découvrir un peu plus ces huit personnalités, et de comprendre ce qui les unit. Ces quelques environnements que nous vous laisserons découvrir sont également l'occasion de mettre en avant une bande-son souvent discrète, qui participe joliment à planter le décor : le jazz syncopé habille à merveille une soirée chic triée sur le volet, la balade rock d'un animateur de radio rappelle son glorieux passé, et une étrange attraction fait un usage amusé du thérémine et des cuivres si brillant qu'il ferait presque penser aux compositions de Shunsuke Kikuchi. On en redemande.

Chacun vaque à ses occupations selon un planning réglé comme du papier à musique, qu'il suffira de perturber pour changer le cours des événements selon notre bon vouloir, histoire de réunir plusieurs cibles en un seul et même lieu. Avec une écriture percutante et un jeu d'acteur très soigné, c'est un plaisir de traquer ces cibles mouvantes en s'appropriant les lieux. Si l'intrigue est empreinte de science-fiction bien dans l'époque qui l'inspire - les années 1970 -, les Visionnaires restent loin des super-méchants un rien clichés du jeu vidéo : ils ont tous leur routine et les plus distraits pourront être dégondés comme un vulgaire PNJ, pour peu que l'on fasse preuve de doigté. Rien d'infaisable sur le papier, mais défaire huit cibles en seulement une journée est loin d'être une chose aisée, voyez-vous.

Le polychrome de Blackman

Il faut donc profiter de chaque boucle pour remplir un journal de quête tentaculaire, qui oblige à multiplier les aller-retours, une occasion de looter à tout va pour renforcer toujours plus l'arsenal de Colt. Chaque Visionnaire possède en plus son propre pouvoir, et l'on passe progressivement du statut de bête traqué à celui de véritable tueur en série : les ennemis un peu naïfs qui faisaient des ravages une fois regroupés deviennent au fur et à mesure de l'avancée des cibles de plus en plus faciles à abattre. Si l'on prend la peine de marquer rapidement chaque adversaire dans les zones piégées, Deathloop devient au fil des heures un titre plus bourrin, une évolution sans doute rendue nécessaire par la mécanique des boucles : pour accumuler les indices et les pouvoirs, il faut inlassablement visiter des zones qui se transforment certes du matin au soir, mais dont l'architecture finit inlassablement par se répéter.

Et pourtant, c'est peu dire que Deathloop profite d'une direction artistique à faire péter la cornée : en puisant dans une décennie propice aux expérimentations visuelles singulières, Arkane Lyon offre à sa nouvelle licence une plastique à toute épreuve, qui n'a de cesse de faire des merveilles du début à la fin de l'aventure. Avec une esthétique qui emprunte aux anciens James Bond leurs villas démesurées, l'aventure regorge de trouvailles visuelles renversantes, et les aplats de couleurs vives n'ont de cesse de porter le joueur dans sa progression. En plus d'attirer l'attention sur de nombreux éléments de narration environnementale, ce déluge de couleur évolue en fonction de la course du soleil, et contribue à offrir un peu de renouveau. Les ennemis tout aussi bigarrés achèvent de conférer à cet univers une ambiance délicieuse surréaliste, et les level designers s'amusent à tromper leur monde en parsemant de mannequins et autres fausses pistes les environnements. C'est bien simple : il y a toujours un élément pour attirer l'œil, et forcer au passage le respect.

Chacun sa boucle, chacun son chemin

Deathloop est donc une aventure à la carte, et libre à chacun de ne pas lâcher une proie avant de connaître chacun de ses faits et gestes, ou de multiplier les runs safe, histoire de faire grimper son arsenal et son personnage grâce aux breloques récoltées en cours de partie. L'interface multiplie certes les menus, mais prend soin de toujours garder le fil d'une piste pour chacun des huit Visionnaires : à tout moment, on peut choisir de changer son fusil d'épaule, et creuser un autre sillon. Les enquêtes d'abord rendues assez faciles grâce à des icônes très précises laisse heureusement place à un peu plus de réflexion dans la seconde partie de l'aventure : plutôt que de suivre bêtement le HUD, il faut alors faire preuve d'un peu (plus) de jugeotte, quitte à parfois tourner en rond avant de trouver un nouvel indice. Ah, et une de ces fichues batteries pour passer une porte. Si les amateurs d'immersion profiteront de l'ambiance et d'un background bien ficelé pour dévorer les documents écrits et sonores qui révèlent peu à peu ce qui se trame dans cette curieuse boucle, les plus pressés pourront compter sur l'interface, qui résume automatiquement les découvertes essentielles. Ce serait se couper de bien nombreux échanges savoureux.

Heureusement, Deathloop laisse parfois le choix dans la méthode, et s'il sera évidemment plaisant de comprendre en profondeur le cours des événements grâce aux plannings des Visionnaires, l'approche plus directe et sanglante fonctionne tout aussi bien une fois les emplois du temps coordonnés. En grand seigneur, Arkane récompense même le pif, puisque l'on pourra parfois tenter de briser certaines sécurités... et y arriver ! Après tout, la chance fait aussi partie du jeu, et il y a toujours plus d'une façon de se débarrasser de sa cible grâce aux combinaison ô combien variées d'armes et de capacités à équiper. Ainsi paré, les gunfights deviennent un jeu d'enfant, et les ennemis tombent comme des mouches, et l'aventure perd forcément un peu de sa singularité. En même temps, il fallait sans doute bien en passer par-là : à force d'être un peu partout comme à la maison, la redondance s'invite immanquablement, et l'on prend moins le temps de planifier minutieusement ses actions. Le residuum récolté en cours de partie permet d'ailleurs d'équiper toujours plus de buffs et autres fonctionnalité secondaires, et l'on finit malgré quelques errements dans les phases d'enquête libres à profiter de ce statut de protagoniste décidément bien informé. C'est qu'il va falloir être sacrément bien armé pour enfin mettre ce diabolique plan à exécution...

Plus on est de fous

"Eh, oh, il ne manquerait pas un truc là dans votre test ?" Rien ne vous échappe, pas vrai ? Effectivement, nous n'avons pas pris le temps d'aborder le mode multijoueur tout aussi singulier de Deathloop, et pour cause : changer de perspective en incarnant Julianna et partir en chasse du pauvre Colt avait tout pour plaire, mais la mise à jour tardive du jeu ne nous aura pas permis de trouver avant la publication de ce test un partenaire de jeu. En attendant de voir les joueurs rejoindre les serveurs de Bethesda, il nous faudra malheureusement reporter notre jugement sur cet aspect pourtant alléchant de l'aventure.