Les choix dans inFAMOUS étaient très binaires...

Nous avons bien sûr entendu et lu toutes les critiques du jeu. Une qui est revenue souvent : "pourquoi ces choix sont-ils si noir et blanc ?" - certes c'est une bonne critique. Comment y répondre ? Alors on brainstorme, on essaie des prototypes de trucs, on les montre à des joueurs qui les ont tous détestés comme s'il s'agissait de poison. Et ce dont on s'est aperçu, c'est que les joueurs, ou en tout cas ceux avec lesquels nous avons conduit nos playtests, ont un besoin très profond de comprendre les implications d'une action avant de l'entreprendre. Il ne faut pas les confronter à un choix mystérieux, ils doivent le comprendre. Nous avons isolé les trois choses qui fonctionnent : en tant que "bon" je vais faire ça, car je sais que c'est "bon", en tant que "mauvais" je vais faire ça parce que je sais que c'est "mauvais", ou je passe. Ces trois choses, tout le monde les comprend. Le gros changement pour nous, c'est donc de vous confronter à des choix auxquels vous allez décider ou non d'adhérer. Par exemple, quelqu'un appelle à l'aide. Allez-vous l'aider ? Si vous êtes bon, vous allez peut-être y aller. Si vous êtes mauvais, peut-être passerez-vous, mais c'est plus doux. Ça n'est plus obligatoire, on ne vous confronte pas de force à un choix. Ce sont des opportunités que l'on vous donne de vous détourner. C'est ça qui est pour moi génial dans un jeu à environnement ouvert : que votre partie soit totalement différente de la mienne, sans l'intervention d'un designer qui aura déterminé, à un moment, "oh, à cet instant, je vais tous vous confronter à ce choix", ça arrive, partout dans le jeu, à chaque endroit de la ville. Il peut y avoir des gens en bas, manifestant contre vous. Est-ce que ça vous énerve assez pour que vous vous y confrontiez ? Les tabassiez avec votre Amp ? Peut-être, peut-être pas. Si vous êtes mauvais, peut-être que vous vous contenterez de balancer une grenade dans le tas et de poursuivre votre chemin. C'est cette espèce de composante organique que nous essayons d'obtenir avec le jeu, nous voulons vraiment que les joueurs aient la sensation d'être propriétaires de leur propre expérience. Est-ce que c'est un choix conscient de le faire binaire ? Oui, dans le sens où en ayant essayé tout le reste, nous n'avons toujours rien trouvé de mieux.

C'est donc ce que préfèrent les joueurs ?

Ce qui est intéressant avec les jeux, c'est que beaucoup de personnes explorent ce genre de choses. Je crois qu'on s'inspire tous les uns les autres et on s'échange des histoires aux conférences, on essaie d'apprendre à faire des jeux qui ont plus de sens pour les joueurs. Le sens vient des choix, de l'habileté avec laquelle on présente ces choix, de la crédibilité des personnages... tout cela contribue à votre sensation d'être propriétaire de votre expérience de jeu, et je crois que ce sont tous des aspects importants. Tiens, un autre exemple : dans une première version de inFAMOUS 2, les joueurs pouvaient, à la fin, renverser leur parcours. Vous aviez ainsi pu jouer "Bon" pendant tout le jeu, et à la fin, avoir la possibilité de s'orienter vers la fin des "Mauvais" en forçant un peu. Les joueurs trouvaient que cela diminuait la valeur globale de l'expérience, et paradoxalement, ils demandaient *moins* de choix. "A ce moment du jeu,", expliquaient-ils, "les dés devraient être jetés". C'est une importante leçon pour nous. Vous savez on a toujours l'impression qu'on devrait toujours offrir des choix profonds, avec de la substance et du sens, et il y a un moment où ils disent "cette offre ne m'intéresse pas, le sort devrait en être jeté à présent".

Les gens choisissent majoritairement d'être bons, pourtant, non ?

C'est incroyablement, indubitablement, massivement le cas, quand ils jouent à inFAMOUS. On a observé les données des trophées et plus de 85% des premières parties qui obtiennent le trophée d'or sont jouées en "Bon". C'est très intéressant. Nous pensions que les gens changeraient d'avis plus souvent. Donc nous avons eu deux révélations : d'une part, quelle que soit la direction que les gens s'étaient choisie au début du jeu, ils s'y tiennent jusqu'à la fin (d'où le travail sur les "tentations" dont je parlais tout à l'heure), et la seconde que 85 à 86% des trophées gold débloqués en première partie l'étaient du côté "Bon". Nous nous attendions à ce que les gens favorisent le côté bon, mais pas à ce point. Et je crois que c'est aussi intéressant parce que cela va tellement à l'encontre de cette fausse perception que les jeux et les joueurs se focalisent sur la destruction, et des comportement moralement répréhensibles. Les chiffres montrent le contraire. Et ce n'est pas comme si on était partis pour prouver quoi que ce soit, on a juste fait un jeu qui offrait des choix et les gens sont tous allés sur la voie du "bon".

Ce n'est pas frustrant de concevoir des choses que moins d'1/4 des gens verront ?

Il est certain que ça a un fort impact, par exemple, de savoir que beaucoup de pouvoirs ne seront pas vus par les joueurs. Mais dans ce jeu, nous avons presque exagéré cela, parce que même si dans le premier il y avait des différences entre le côté bon et le côté mauvais, les différences sont encore plus présentes dans cette suite, il y a 25% des missions que vous ne verrez même pas. Et nous sommes encore plus prudents avec ça parce que les joueurs nous ont bien dit qu'ils veulent que ces choix aient encore plus de sens. Et une partie de ce sens c'est vouloir une expérience différente. Mais d'un autre côté ils nous donnent leurs euros pour être divertis, et l'idée qu'on puisse les empêcher de voir une partie du contenu que nous avons créé, ça nous place dans une situation très étrange dans laquelle on veut vraiment que le jeu réagisse de manière intéressante à ce qu'ils font, mais nous voulons aussi leur donner de la valeur pour ce qu'ils paient. Et une expression de cette volonté de leur en donner pour leur argent s'est exprimée au travers de cette fonctionnalité de contenu créé par la communauté. De manière à ce que si vous jouez "bon" et que vous ne voulez pas jouer "mauvais", il y a toujours une tonne de contenu en plus. On y pense beaucoup, mais ces personnes nous donnent de l'argent, pourquoi voudrait-on qu'ils ne voient pas tout ce qu'on a construit ? C'est un équilibre difficile à trouver.