2010 : La crucifixion


Lost in Translation

La communication, encore un point sur lequel les équipes de Square Enix n'étaient pas à la hauteur. Le producteur du jeu, Hiromichi Tanaka, n'en était pourtant pas à son premier coup d'essai. Game Designer depuis les débuts de la série sur Final Fantasy, Final Fantasy II et Final Fantasy III, il était ensuite en charge de la production pour l'épisode XI, qui fut le premier succès dans l'univers du jeu en ligne pour Square Enix.

Ce n'est pas un homme particulièrement loquace, qui n'accorde que très peu d'interviews. Les informations concernant Final Fantasy XIV sont rares et il n'y a personne pour porter le projet auprès de la communauté de joueurs, ce qui rend la communication difficile entre ces derniers et les équipes de Tanaka.

Le seul point de contact entre joueurs et développeurs était les forums officiels déployés en même temps que la première phase d'Alpha test. Malheureusement, ces forums ont généré aussi de nombreux problèmes pour les équipes de Final Fantasy XIV.

En effet, les news concernant les mises à jour des phases de test étaient d'abord rédigées en japonais puis traduites dans les diverses langues supportées par le titre. On ne sait pas si Square Enix s'est alloué les services d'un prestataire externe ou a fait traduire ses news en interne, mais le contenu des traductions était souvent erroné, rendant d'autant plus difficile les échanges avec la communauté.

Les problématiques liées à Final Fantasy XIV sont encore nombreuses : le système de mandats censé révolutionner le MMORPG était un échec, l'économie du jeu était complètement compromise à cause de l'absence d'un hôtel des ventes digne de ce nom. L'artisanat et la récolte étaient buggés et inintéressants au possible, et le scénario n'était pas à la hauteur des standards auxquels la saga Final Fantasy nous avait habitués. La version PC n'était clairement pas prête pour une sortie à travers le monde, encore moins pour un lancement sept mois plus tard avec un portage PS3 dans les cartons à préparer.

Et effectivement, en sept mois les équipes de Tanaka se sont penchées sur les problèmes techniques les plus contraignants mais n'ont apporté aucune solution concrète à tous les défauts cités précédemment. Le coup de massue final allait s'abattre sur ce Final Fantasy XIV, et c'est la presse vidéoludique qui s'est chargée de faire le sale boulot.

Shame, Shame, Shame !

Le 30 septembre 2010, Final Fantasy XIV est enfin disponible à travers le monde. Malgré des phases de test chaotiques et de nombreux problèmes techniques, Square Enix fera tout de même le choix de lancer son titre à la date initialement prévu.

L'excitation et la sortie d'un nouvel épisode numéroté font toujours leur effet, ce qui permet au titre de se hisser à la seconde place des charts japonais dès sa première semaine de commercialisation. En revanche, le public occidental est plus réticent et Final Fantasy XIV arrive à peine à atteindre les tops 10 européens.

Et en effet, peu après le lancement, presse spécialisée et joueurs de tous horizons sont unanimes : le jeu n'aurait jamais dû sortir dans son état actuel. Final Fantasy XIV est le pire Final Fantasy "canonique" jamais noté sur Metacritic, avec le score de 49 sur 100. Seul Final Fantasy All The Bravest le détrônera trois ans plus tard avec un score de 25 sur 100.

Les critiques dures, mais méritées, s'enchaînent tel un omnislash incessant de Cloud sur les équipes de Tanaka.

PCGamer a décrit Final Fantasy XIV comme un MMO sans profondeur et lent, gangréné par une interface horrible et des limitations insensées. Gamespot parle d'un titre qui manque de personnalité, de cohésion et d'âme. Pour couronner le tout, Gamespy le comparera à une "punition cosmique".

"Partir, c'est mourir un peu"

Deux mois plus tard, en novembre 2010, les problèmes techniques liés aux serveurs et à l'architecture branlante du jeu se multiplient sans qu'aucune solution concrète ne semble proposée par Square Enix. De plus, alors que la population de joueurs continue de rétrécir jour après jour, les équipes en charge de Final Fantasy XIV restent incroyablement silencieuses concernant les problèmes du jeu et continuent d'alimenter leurs pages officielles en news sans jamais prendre en considération les cris de secours des joueurs.

Seul geste de la compagnie japonaise envers sa communauté : l'abonnement mensuel est retiré et le jeu devient jouable gratuitement afin de faire patienter les joueurs dans les "meilleures" conditions.

Le 10 décembre 2010, un communiqué annonce que la version PS3 de Final Fantasy XIV sera repoussée pour une durée indéterminée. Mais ce sera surtout le second communiqué paru le même jour qui marquera un réel tournant dans l'avenir de Final Fantasy XIV : Hiromichi Tanaka annonce officiellement sa démission de son poste de Producteur, ainsi que celle de Nobuaki Komoto du poste de Directeur. Il explique porter l'entière responsabilité de cet échec et s'excuse de n'avoir pu satisfaire les attentes des joueurs sur ce projet.

Un seul homme sera choisi afin de remplacer messieurs Komoto et Tanaka, son nom est Naoki Yoshida. Accompagné d'une équipe remaniée pour l'occasion, Naoki Yoshida aura non seulement la lourde tâche de réparer les nombreuses erreurs du passé, mais surtout de faire de Final Fantasy XIV un épisode digne de porter le titre de cette saga emblématique.


2011 : La rédemption


Naoki Yoshida, le Messie

Vous vous demandez sûrement qui est ce Naoki Yoshida. Il a rejoint Square Enix en 2004 sur la licence Dragon Quest. Il est surtout un grand amateur de jeux massivement multijoueur en ligne. EverQuest, Dark Age of Camelot ou encore World of Warcraft sont autant de jeux qui nourrissent sa passion pour les MMORPG. C'est notamment son expertise dans l'univers des jeux en ligne qui pousse le président de Square Enix de l'époque, Yoichi Wada, à lui attribuer le double poste de Producteur/Directeur de Final Fantasy XIV.

Que ce soit au sein des équipes de Final Fantasy XIV ou auprès des fans de la série Final Fantasy, personne ne connaissait réellement le personnage de Naoki Yoshida. Ce dernier décide donc de se lancer dans une importante quête de reconnaissance aussi bien en interne qu'avec son public, afin de gagner la confiance de tous et leur proposer le Final Fantasy XIV qu'ils méritent.

De l'importance de la communication

Cette quête débuta d'abord au sein de ses propres équipes. Avant de se lancer dans de grands changements pour la série, Naoki Yoshida réalisa avant tout un état des lieux exhaustif de Final Fantasy XIV en rencontrant une à une toutes les personnes impliquées dans la réalisation du projet. Ces entrevues lui ont permis de récolter les nombreuses idées qu'avaient ses équipes pour améliorer le jeu, mais surtout de légitimer sa place de leader auprès de ces dernières.

En parallèle, Naoki Yoshida travaille également d'arrache-pied pour regagner la confiance des fans de Final Fantasy. Il explique d'ailleurs son raisonnement dans une interview accordée au magazine Polygon :

Nous avons perdu la confiance des joueurs avec les graines que nous avons nous-mêmes semées. [...] On ne peut pas regagner leur confiance en une nuit, et ce n'est pas quelque chose que l'on peut racheter également. On ne peut que leur prouver notre bonne foi en leur montrant que nous avons changé avec des actes et en maintenant ces actions sur la durée.

La première action de Yoshida dans ce sens est le lancement de forums officiels pour Final Fantasy XIV en février 2011. Parce que oui, suite aux fiascos des traductions lors des phases de test, Tanaka avait préféré ne pas créer de plateforme d'échanges pour les joueurs. Ces forums n'amélioreraient certainement pas la qualité du jeu, mais c'était un premier message fort de main tendue vers les joueurs.

Avec l'aide de ses équipes, Yoshida, montre enfin aux fans de la série qu'il est à leur écoute et prêt à discuter avec eux. Il s'implique énormément sur ces forums, où il prend le temps de répondre à un maximum de requêtes de joueurs. Un premier lien se crée, mais la route est encore longue pour retrouver la confiance perdue des fans.

Pardonne-nous nos offenses

Ce sera le 7 octobre 2011 que Naoki Yoshida fera un grand pas vers ces derniers en lançant la Lettre du Producteur LIVE. Lors d'une session de questions/réponses, Naoki Yoshida répond pendant une heure et en direct à toutes les questions posées par les joueurs du monde entier via le hashtag #XIVLive. Que ce soit sur l'avancement de patchs, les mécaniques du titre ou sur la résolution de bugs, Yoshida joue le jeu et répond à toutes les questions de la communauté sans langue de bois.

Il faut parler de la mise en scène de cette Lettre du Producteur. Celle-ci se déroule dans une petite salle peu éclairée, très modeste qui ressemble à une salle de réunion. Des horloges sont accrochées au mur derrière Yoshida et un grand tableau rempli des notes d'un meeting précédent prend la totalité de l'écran. Entre ce tableau et Yoshida se trouve une télévision sur laquelle est écrit : "posez vos questions via le tag #XIVLive" en plusieurs langues. Le micro utilisé apparaît grossièrement dans le champ et la qualité sonore du tout n'est pas parfaite.

Cependant, il y a quelque chose de touchant dans cette démarche de Yoshida, on ne peut s'empêcher de penser à un amant qui tente de reconquérir sa bien-aimée à deux heures du matin sous la pluie et une rose à la main. Certes, nous ne sommes pas devant un live de haute qualité, mais le coeur et la passion y sont. L'envie de renouer avec les joueurs se fait ressentir pour la première fois depuis l'annonce de Final Fantasy XIV, deux ans auparavant. Mieux vaut tard que jamais.

Ces Lettres du Producteur LIVE sont un succès et deviennent un rendez-vous récurrent entre Naoki Yoshida et les joueurs. D'une heure, ces interventions passent à deux, voire plus lors de sessions organisées en direct avec les fans. Différents membres de l'équipe de développement se joindront également à Yoshida lors de ces lives, afin que les joueurs puissent mettre un visage sur les nombreux hommes et femmes qui donnent vie à Final Fantasy XIV.

Les efforts de Yoshida en communication, aussi bien interne qu'externe, portent leurs fruits et lui permettent de renouer avec ses fans au fur et à mesure de ses nombreuses interviews et interventions ponctuelles sur Internet. Cette confiance lui permettra d'appliquer des modifications radicales à Final Fantasy XIV.

Il faut sauver le soldat FF

Final Fantasy XIV est un réel problème pour Square Enix. À chaque patch mis en ligne pour solutionner un problème, un nouveau bug apparaît. Le titre coûte une fortune à la société japonaise, qui doit vite trouver une solution avant de se retrouver dans une situation économique critique.

Après de nombreuses réunions avec ses équipes sur l'état de Final Fantasy XIV, Naoki Yoshida fera une proposition folle au président de Square Enix : créer un nouveau Final Fantasy XIV. En effet, les serveurs étaient déjà à leur capacité maximale, le moteur graphique utilisé inadapté pour un univers en ligne et l'architecture générale du titre était à revoir. La proposition était de développer une toute nouvelle version de Final Fantasy XIV, la version 2.0, tout en continuant d'apporter des patchs correctifs à la version actuelle du jeu, la version 1.0. Les dépenses liées à un tel projet allaient être colossales pour Square Enix, mais l'absence d'action pourrait lui être encore plus fatale. Yoichi Wada, président de Square Enix, accepte, et le développement de Final Fantasy XIV 2.0 est officiellement lancé. Le développement de la version 2.0 se déroule dans l'ombre alors que, petit à petit, de nombreux changements sont apportés à la première version.

Ces premières modifications arrivent en février 2011, avec le déploiement de plusieurs correctifs graphiques dans le but de diminuer les bugs d'affichage. À ces ajustements graphiques s'ajoutent un remaniement des quêtes secondaires, notamment celles liées à l'artisanat, afin de rendre ces instants moins fastidieux. L'interface de jeu commence également à être plus développée, avec un ajout d'informations bienvenues à l'écran lors des phases de combat. La taille des équipes lors de ces combats a vu son nombre diminuer et passer de seize à huit joueurs, toujours dans un souci de fluidité de l'action.

Naoki Yoshida ne s'arrête pas en si bon chemin et ajoute à Final Fantasy XIV 1.0, entre autres, des attaques automatiques non-régies par une jauge d'action lors des phases de combat, des personnages non-joueurs qui proposent des quêtes secondaires hors des villes, des donjons instanciés, des chocobos à monter, ainsi que la fin du système de "fatigue" ! Final Fantasy XIV 1.0 était encore loin d'être un excellent jeu en ligne, mais il devenait lentement mais sûrement une expérience suffisamment divertissante pour fidéliser une petite communauté de joueurs en attendant son successeur.

Pour ressusciter, il faut d'abord mourir

En octobre 2011, Naoki Yoshida annonce aux joueurs le développement de Final Fantasy XIV 2.0 en diffusant un screenshot de cette nouvelle mouture. L'interface a complètement était remaniée, le moteur graphique est complètement différent, et un réel sentiment d'impact et de puissance émane de cette seule image. Le compte à rebours a commencé et la communauté ne saurait patienter encore plus. L'engouement est de retour, cela faisait longtemps que les joueurs n'avait pas ressenti une telle excitation suite à une annonce liée à Final Fantasy XIV.

En même temps, la fin de Final Fantasy XIV 1.0 se précise en interne. Naoki Yoshida échange avec les équipes scénaristiques pour trouver un moyen de détruire l'univers de Final Fantasy XIV 1.0 afin de permettre à la version 2.0 de naître de la plus belle manière possible. Il sera décidé de faire s'écraser Dalamud, une lune rouge en orbite autour du monde Final Fantasy XIV, sur sa surface afin de donner une fin épique et dramatique à la version 1.0.

Ainsi, alors que les jours et les mois passaient, la lune rouge Dalamud s'approchait de manière inquiétante de la surface. Les joueurs ne pouvaient plus la manquer, personne ne comprenait le sens de ces événements. Était-ce une comète, une planète, un nouveau boss de fin de niveau ? Les théories se multipliaient sur les réseaux sociaux, mais personne ne réussissait à percer ce mystère.

Lors de l'édition 2012 de l'E3, Naoki Yoshida annonce que Final Fantasy XIV 2.0 sera intitulé A Realm Reborn et que le titre sera disponible pour une sortie en 2013. Les dés sont jetés et Final Fantasy XIV aura enfin droit à sa seconde chance. Mais avant de renaître, Final Fantasy XIV doit mourir. Deux mois plus tard, Yoshida annonce que la version 1.0 sera définitivement arrêtée en novembre de la même année.

C'est un instant historique dans la vie de Final Fantasy XIV, Dalamud s'apprête à s'écraser sur la surface de la terre. Le ciel est noir, teinté d'une couleur rouge sang. Dans le fond, on peut à peine entendre le thème de Final Fantasy XIV, Answer, chanté dans une version altérée qui rappelle avec brio le passé sombre et douloureux de Final Fantasy XIV. Comme si le jeu vidéo lui-même suffoquait, haletait, les déconnexions se multiplient, les ralentissements se font encore plus nombreux. On assiste aux derniers souffles numériques d'un titre qui restera, malgré tout, à jamais dans les souvenirs des fans de la saga.

Enfin, dans l'une des cinématiques les plus poignantes que l'industrie du jeu vidéo ait jamais vue, les joueurs subissent l'assaut de Bahamut descendu sur Terre par le biais de Dalamud. Afin de protéger ces derniers d'une fin atroce, un sage se sacrifie pour tous les sauver. On ne peut s'empêcher de penser à Tanaka qui, dans un ultime acte de désespoir, porte seul le fardeau de cet échec dans le but d'offrir un futur meilleur aux joueurs, et pourquoi pas, les retrouver dans un nouveau royaume. L'heure de la résurrection approche...