Je vais être tout à fait honnête, Final Fantasy X n'est pas mon épisode favori. À l'époque de sa sortie, je n'ai pas été séduit par ses couleurs criardes, son ambiance exotique, ses personnages pittoresques et son scénario pour le moins complexe.

Néanmoins, j'ai apprécié le coup de pied qu'il a porté à la fourmilière du jeu de rôle japonais. FF X, en effet, s'est avéré être une véritable révolution - et c'est peu de le dire, car il était impossible, lors de sa publication, ne serait-ce que de percevoir le frémissement des répercussions qu'allait engendrer ce dixième volet : il y a douze ans, il nous manquait tout simplement le recul nécessaire.

Avant toutefois de déconstruire la réalité pour en étudier les détails, revenons rapidement en mai 2002, date à laquelle en Europe le jeu a envahi les étalages de nos magasins. Le titre se voit alors très bien noté et un consensus quasi unanime le couronne comme l'une des meilleures productions de l'année. Pourtant, parmi les avis élogieux se sont glissés des reproches sévères. Sans ambages, Chronicart affirme ainsi :

Final Fantasy X n'est pas un très bon jeu, ça n'est surtout pas un très bon cru.

Gamekult, de son côté, emploie des termes tout aussi peu amènes :

On se rend compte très rapidement que le jeu est un peu au RPG ce que The Bouncer était au beat'em up : un long film, plutôt joli à regarder, entrecoupé de scènes où l'on contrôle les personnages

Même si le critique conclut son test par des mots plus doux : "C'est un très bon jeu, qui fait globalement honneur à la PS2." Enfin, s'inscrivant quant à lui de bout en bout dans le registre de l'amour, le magazine spécialisé Gameplay RPG ne tarit pas d'éloges sur le dernier FF en date :

Final Fantasy X est un chef-d'oeuvre vidéoludique.

Les quelques propos négatifs que nous venons de citer sont aujourd'hui très loin dans la mémoire des joueurs, presque totalement effacés. Autour de moi et sur la toile, je lis le plus souvent des souvenirs émus témoignant de la sortie de FF X.

Damien se remémore avec nous cet événement : "À titre personnel, l'attente du dixième épisode a été vécue comme celle des opus PSone. Une attente éprouvante, anxieuse, agréable, un micmac d'émotions contradictoires nourri par les les premières révélations relatives au développement, les premières previews, les premiers tests (dont le fameux test de seize pages dans Gameplay RPG, près de deux ans avant que je commence à écrire pour le magazine). Les informations semblaient délivrées au compte-gouttes, mais chaque nouvelle image venait titiller mon imaginaire. Je rêvais déjà avant de m'être plongé dans l'aventure. Lorsque le jour est enfin venu, inutile de préciser que, comme beaucoup de gens, j'ai été frappé par la délicatesse et la mélancolie du morceau au piano qui ouvre le jeu et par la beauté des visages, du décor, de cette Zanarkand en ruine illuminée par le coucher de soleil. Ce premier contact avec les personnages, l'univers, la musique : un instant mémorable dans la vie d'un joueur. J'étais encore jeune, et tous les débats sur cet épisode, mais aussi les précédents (que de batailles sur le VIII et le IX !) se sont volatilisés dans mon esprit lorsque j'ai commencé la partie. Seuls comptaient l'instant présent et cette aventure qui m'a, une fois de plus, transporté et ému."

Un renouveau

La responsabilité qui pesait sur Final Fantasy X était très lourde à assumer. À l'évidence, passer après les trois monuments de la PlayStation n'était pas chose aisée.

Pour autant, loin de se démonter, le nouvel épisode de la saga a dépoussiéré avec vigueur certains poncifs depuis trop longtemps répétés. C'est ainsi que l'on oublie les "points d'expérience", remplacés ici par les "points de compétence". Toujours glanés après les combats, ces derniers permettent aux personnages d'élever leur "niveau d'évolution" et par là d'assurer leur avancée au sein du tout nouveau système de Sphérier. Les combats subissent aussi un joli chambardement : aux oubliettes, l'ATB (Active Time Battle) en place depuis le quatrième volet de la série. C'est au stratège Toshirô Tsuchida que nous devons des rixes à la fois plus dynamiques et plus tactiques. S'il y a bien toutefois un changement qui a perturbé les fans, il s'agit de la nouvelle structuration du jeu, qui se voit doter d'une linéarité accentuée.

Nous observons ainsi que Final Fantasy X s'est vraiment échiné à bouleverser nos habitudes, avec pour enjeu, comme tout épisode de la série, de montrer la voie à suivre par les futurs JRPG. Pour Damien, ce chapitre constitue également un chaînon entre deux générations de console : "FF X s'inscrit à la fois comme l'épisode de la continuité et comme celui du changement. Continuité en ceci qu'il pousse plus loin certaines expérimentations des opus PSone, notamment dans le soin apporté à la création de l'univers, le souci du détail, la volonté toujours plus affirmée de proposer une histoire riche et émouvante."

Je rejoins mon camarade rôliste sur l'accointance plus affirmée du titre avec le septième art : "Final Fantasy X marque une consécration pour Yoshinari Kitase, qui a pu grâce aux capacités de la PS2 consolider sa vision d'un RPG "cinématographique", avec l'apport des voix et des cutscenes en 3D temps réel. En raison des éléments déjà cités, l'équilibre et la richesse propres aux épisodes PSone apparaissent dans Final Fantasy X plus fragiles et un peu bancals. Mais c'est aussi dans ses maladresses et sa direction générale qu'il rend compte de l'aventure humaine de son développement, de son importance pour la série et les RPG en général. »

Si l'on omet les considérations de game design proprement dit, ordonnant les différentes mécaniques de jeu et techniques, liées cette fois aux capacités de la machine, il est évident que FF X tire sa singularité de son univers et de son scénario. Damien abonde en ce sens : "En effet, il est difficile de nier la puissance de sa direction artistique et l'incroyable poésie qui se dégage de son histoire mélancolique et profonde. Ce qui somme toute reste ce que j'ai toujours recherché dans un RPG japonais, ce cocktail d'onirisme, d'émotion et de réflexion."

Une icône

Avec une précision mécanique, les neuf premiers Final Fantasy se sont pliés à une parution précise : trois épisodes canoniques par génération. J'exclus arbitrairement les suites telles que FF X‑2, Revenant Wings ou A Realm Reborn. FF I, II et III sont donc nés sur Nes, les chapitres IV, V et VI sur Super Nintendo ; ensuite, les volets VII, VIII et IX ont trouvé refuge sur PlayStation, brisant au passage l'alliance historique avec le consolier de Kyôto.

Chaque cycle de machines se trouve ainsi lié à un Final Fantasy emblématique, de sorte que chaque génération de joueur garde en son coeur un épisode en particulier. À l'image de la guerre des consoles, de nombreuses querelles voient s'affronter les fans afin de désigner le meilleur Final Fantasy. En nous efforçant de faire preuve d'objectivité ainsi que d'un brin d'honnêteté, nous pouvons désigner FF I, VI et VII comme les chapitres qui ont le plus marqué les esprits. À leur façon, chacun d'entre eux fait figure de porte-étendard pour une frange de joueurs. Bien que seules quelques années les séparent les uns des autres, ils défendent bec et ongles leur FF comme le plus mémorable, l'unique, l'indétrônable. Pour ma part, bien qu'ayant consumé mes vacances scolaires sur les premiers épisodes en import, j'étais trop jeune pour les apprécier, ou tout simplement les comprendre. Mon titre favori reste de loin Final Fantasy VII.

Sur PlayStation 2, l'engagement tacite de l'éditeur vis-à-vis du joueur de publier trois jeux par génération aura été renouvelé. Si cependant les trios précédents formaient chaque fois un ensemble logique, une sorte de triptyque cohérent rendant compte de l'évolution de la saga, cette fois, sur le monolithe noir de Sony, le groupe présenté se révèle complètement hétéroclite. À croire que plus personne ne tenait la barre du navire Square dans les années 2000.

En effet, aux côtés du dixième volet, FF XI se présenta comme le premier titre massivement multijoueur de la saga. De la même manière, Final Fantasy XII divisa réellement les communautés par son parti pris franc, mais pour le moins étonnant, de proposer une sorte de MMORPG hors ligne. L'ambition de ces jeux allait certes bien au-delà de cette banale description, il n'empêche : ce panaché reflète parfaitement la situation périlleuse dans laquelle se trouvaient l'éditeur et ses équipes durant cette période. Après cet état des lieux, vous comprendrez qu'il m'est inutile cette fois de me munir de pincettes pour affirmer que le Final Fantasy de la PlayStation 2 est à l'évidence le dix.

L'enthousiasme, voire l'ardeur des joueurs lors de la récente sortie de Final Fantasy X HD Remaster s'expliquent en partie ainsi. Les fans ayant découvert FFX à travers une expérience similaire à celle que d'autres parmi nous ont vécu avec FFI, VI ou VII voient leur jeu coup de coeur revenir aujourd'hui en héros, refaçonné en haute définition et prêt à conquérir les malheureux l'ayant raté en 2002.

Il n'en est pas moins certain que la soudaine manifestation de joie envers FFX s'est vu aussi alimenter par les fidèles de la saga considérée dans sa globalité. Ne pensez pas que je les ignore.

Un modèle

En plus d'incarner l'idéal d'une génération d'adeptes de JRPG, Final Fantasy X a représenté un nouveau point de départ pour la saga, et l'élan communiqué par cette nouvelle impulsion s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui.

Le recul des années dont je parlais en introduction nous permet à présent une analyse impossible en 2002. Le temps a passé, les épisodes de Final Fantasy se sont enchaînés. Douze ans après la sortie du dixième épisode, nous pouvons affirmer qu'il a posé des fondations et donné à la série une orientation qui en 2014 reste d'actualité. Si, depuis le deuxième volet, chaque jeu conserve des éléments du précédent, les remodèle en y apportant des nouveautés, il est cependant possible au sein de cette évolution de discriminer des "cycles d'inspiration". La trilogie de Lightning constitue l'un de ces cycles ; pourtant, seuls deux Final Fantasy canoniques ont été développés sur PlayStation 3. Nous sommes en droit de croire que ce manquement à la tradition fait partie de l'héritage de FF X, premier volet à avoir connu une suite directe. FF XIII perpétue en effet cette même logique d'univers étendus avec FF XIII‑2 et Ligthning Returns. En outre, le treizième chapitre de la série partage avec FF X des accointances en matière de système de combat, conçu par le même architecte, Toshirô Tsuchida. Enfin, il pousse la réflexion structurelle de la narration et de l'évolution des personnages bien plus loin que FF X tout en conservant comme terreau les mêmes fondements. Ce constat nous mène donc à la conclusion que Final Fantasy X a bel et bien été l'instigateur d'une nouvelle philosophie dans la série, dont il constitue en conséquence un épisode fondamental.

Si à mon sens FFX incarne un pivot pour le futur de cette série, pour Damien, le titre se présente tout autant comme une passerelle entre les anciens épisodes et les suivants. Écoutons son sentiment sur l'influence de FF X : "Il a effectivement ouvert la voie à une nouvelle direction pour la série, et si le XIII en est le successeur spirituel, c'est aussi parce qu'il est l'oeuvre des têtes pensantes et des créateurs qui ont pris du galon avec le dixième épisode : Tsuchida, donc, mais surtout Motomu Toriyama (réalisateur et auteur), Daisuke Watanabe (scénariste principal), Masashi Hamauzu (compositeur) et Isàmu Kamikokuryô (directeur artistique). Toutefois, il ne faut pas oublier que la série s'est toujours démarquée par sa capacité à proposer des oeuvres différentes - la présence des épisodes XI, XII et XIV est là pour le rappeler. L'importance de Final Fantasy X ne se mesure ainsi pas seulement à la lumière de la saga, mais du RPG japonais dans sa globalité. Il a, peut-être malgré lui, ouvert la voie aux "cinematic-RPG", qui ont sacrifié toute notion de liberté au profit de la narration, quitte à rompre avec l'équilibre qui faisait toute la saveur des grands jeux 16 bits et 32 bits. Pour autant, bien que dictée par des impératifs techniques, des productions de plus en plus coûteuses et des développements toujours plus longs, cette rupture a aussi entraîné une remise en question du genre, avec le succès grandissant des jeux en ligne et des RPG occidentaux, qui ont fini par inspirer les Japonais. Mais, en lui-même, par sa capacité à plonger le joueur dans un univers original et enchanteur, et à lui faire vivre une histoire dense, complexe et passionnante tout en étant à la pointe de la technologie, Final Fantasy X est on ne peut plus représentatif de l'âme de la saga telle qu'elle se déployait dans les années 1990 et au début des années 2000. En cela, il porte bien son chiffre romain : c'est la croix, la liaison entre deux époques."

Final Fantasy X représente un épisode vraiment particulier, qui se place au croisement des générations, qu'elles soient de consoles, de joueurs ou même de cycles propres à la saga. Par l'intermédiaire d'une compilation en haute définition, le retour de FF X nous rappelle à tous le rôle majeur que ce volet a joué dans l'identité de Final Fantasy. Garant de certaines valeurs du passé, ce jeu n'en a pas moins réussi à renouveler la série de Square en lui donnant un nouveau visage.