Dans l'oeil du cyclone

Pour une réaction orgueilleuse d'un dev pratiquant le bras d'honneur numérique, combien de gens vraiment meurtris ? Après Dong Nguyen, c'est au tour du co-auteur du jeu indé sur PC/Mac The Stanley Parable d'accuser le coup.

Le problème de Davey Wreden ? Peut-être quelque chose proche du baby blues, la dépression post natale que traversent parfois les femmes et qu'a sans doute vécu sans l'identifier le pourtant combatif Phil Fish penché pendant cinq années sur Fez. Après quatre ans de développement, Davey Wreden, 25 ans seulement, avoue s'être senti dépossédé de son jeu The Stanley Parable une fois entre les mains du public et des commentateurs. Embarrassé lui-même d'un trouble inexplicable rationnellement alors que son jeu est bien accueilli partout, Wreden a fini par se confier sous la forme d'un texte volontairement candide puis, en artiste cherchant à saisir ce qu'il lui arrive, sous la forme d'un petit poème introspectif en BD.

À chaque fois que The Stanley Parable reçoit une nomination ou une récompense de jeu de l'année (GOTY), mon égo reçoit une surdose de Red Bull.

... avoue-t-il en toute sincérité en sachant qu'il sera moqué. "Recevoir un award pour son travail c'est comme si on vous offrait le soleil" dit-il joliment pour expliquer l'engrenage qui le pousse ensuite à guetter sans arrêt sur le web la moindre nomination ou récompense qui enverra une nouvelle dose de satisfaction à son égo. "Tel un alcoolique errant d'un bar à l'autre". Une ivresse infernale du succès que personne ne voit venir et qui, visiblement, peut devenir un piège psychique. Bravant le ridicule et les réactions de jalousies, Davey Wreden a livré publiquement ses anxiétés pour "essayer de se les rendre plus visibles à lui-même" et qu'elles arrêtent "de le consommer". Un appel au secours en même temps qu'un geste de lucidité.

Rançon du succès

Lors d'un entretien détendu donné à la récente GDC, Wreden finit par énumérer toutes les sollicitations que le succès de The Stanley Parable a tout à coup fait arriver dans sa boite email qu'il n'avait évidemment pas imaginé devoir faire sous-traiter. Et la liste est longue des demandes d'interviews de la presse, des appels à l'aide technique, des propositions de business, des confidences des fans sur le jeu ou leurs vies personnelles, des plaintes et réclamations diverses.

Un véritable tsunami que rien ne prépare à assumer, et à gérer concrètement et psychologiquement. Davey Wreden commence à aller mieux cependant. Son séjour à la GDC 2014 lui a permis de rencontrer des vrais gens et collègues et de sortir du cercle vicieux virtuel et, comme il le glisse dans un tweet récent, l'attention mondiale soudaine pas forcément appréciée lui a au moins apporté plus de moyens qu'il n'avait de besoins pour vivre.

J'ai maintenant de nombreuses années devant moi à pouvoir me concentrer à mon art.

Auto apprentissage

Bridés ou lâchés, les jeunes développeurs de jeu ont visiblement besoin de se durcir la couenne, d'apprendre la diplomatie ou à se taire. À moins que des parrains ou des arbitres n'interviennent. Presque jamais langue de bois, fort de 19 années chez Epic Games, le jeune brisquard Cliff Bleszinski n'hésite pas à se mêler aux débats et à prendre partie, d'abord sur Twitter puis en longueur sur son blog. Dans une lettre ouverte adressée à Phil Fish, il lui demande de ne pas s'arrêter à cause de l'incontrôlable brouhaha Internet en lui rappelant la chance, au fond, d'être sorti de l'anonymat et de se retrouver au top du buzz Internet mondial du moment. Bleszinski partage à cette occasion les mésaventures personnelles de ses débuts sur Internet.

"Je me suis fait brûler sur un BBS dès l'âge de 15 ans" révèle-t-il, quand, à la mort de son père, quelqu'un publie l'odieux message "ton père mort aurait pu coder un truc mieux" que l'économiseur d'écran qu'il venait de poster. S'en suit des menaces de mort, un coup de fil du site Internet aux parents du jeune Cliff. Sa peau a alors "commencé à s'épaissir" explique-t-il, comme son désir de "faire quelque chose de sa vie". Dans la même veine de rectificateur de réputation, CliffyB vient de défendre à son tour Palmer Luckey contre la tornade déclenchée par l'acquisition de son projet Oculus Rift par Facebook.

Les vétérans à la peau dure

Comment les plus anciens résistent au tapage des réseaux sociaux ? Ont-ils le pouvoir surnaturel de contrôler le bruissement permanent qui arrive à leurs oreilles tel Daredevil ou le jeune Clark Kent ? Pour la légende John Carmack qui, malgré tout le respect des joueurs, vient d'essuyer coup sur coup deux volées de bois vert numérique d'abord en lâchant IdSoftware pour Oculus Rift puis en se retrouvant, en théorie, "employé de Facebook", Twitter n'est qu'un log où il poste occasionnellement des réflexions techniques obscures au commun des mortels.

En surface il ne participe pas aux mêlées. Présent presque chaque heure sur Twitter Ken - Bioshock - Levine confirme un esprit fort et sans peur. Il répond et retweet à une majorité de gens par des remarques le plus souvent pleines d'esprit ou d'ironies.

Les mises en boite de ses followers aux questions plus ou moins idiotes passent comme des lettres à la poste bien lubrifiées tellement Levine jongle habilement avec les mots. Son cas est assez unique.

Plus économe mais fidèle à sa posture d'intellectuel du jeu vidéo indé, Jonathan Blow (Braid, The Witness) lâche, comme Carmack, des données techniques qui le préoccupe mais n'hésite pas à épingler ouvertement les défauts de tel ou tel logiciel ou programme qu'il utilise. Il participe brièvement à des discussions polémiques en gardant toujours une distance, pour ne pas dire une hauteur qui, apparemment, l'empêche d'être affecté.