C’est ce que viennent de déposer sur la table investisseurs et spéculateurs japonais une semaine après l’annonce d’un tandem improbable entre Nintendo et DeNA. A la bourse de Tokyo, leur action respective a été valorisée de 49% pour le spécialiste des jeux sur mobile intelligent et de l’ordre de 32% en faveur du géant des consoles. Bien qu’il s’en défend arguant d’une mauvaise compréhension de ses interventions médiatiques, le fléchissement du président Satoru Iwata sur cette épineuse question est salué par toutes les principales places boursières de la planète. Cette euphorie financière sonne aussi comme une sanction de la stratégie produit mis en oeuvre par la tête pensante du fabricant.
 
Plus que jamais sur la défensive, le haut responsable blâme l’environnement monétaire défavorable (surévaluation du yen, un boulet pour les valeurs dîtes exportatrices comme Nintendo ou encore Sony) plutôt que le positionnement marketing raté du couple WiiU/3DS pour expliquer leur contreperformance commerciale. Le gameplay asymétrique par écran délégué ainsi que la 3D volumétrique ne sont plus mis en avant explicitement dans les publicités vantant les avantages compétitifs des deux plates-formes. Seule compte désormais leur interopérabilité avec les Amiibo, multiplicateurs de synergies.
 
C’est donc ce croisement entre deux (ou plusieurs) loisirs contre nature (jouet et jeux vidéo pour le moment) qui caractérise la stratégie de Nintendo de demain. Iwata a déclaré récemment s’être lancé dans un examen stratégique des activités de Nintendo avec pour intention de les décloisonner (il prétend paraphraser le dirigeant historique Hiroshi Yamauchi pour légitimer sa nouvelle politique de développement fondée sur les loisirs au sens large). Son mariage de raison avec DeNA renforcé par une prise de participation croisée cadre avec ce positionnement fait de contraire assimilable. Bien qu’’il est difficile d’identifier le périmètre d’action de la future NX, son nom de code offre une piste de réflexion. Le “X” signifie cross en anglais, symbolisant l’embranchement entre deux domaines (ici secteur d’activité), « une tête de pont » selon les propres termes du dirigeant japonais.
 
Toutefois, rien n’indique que Nintendo cède à cet environnement anxiogène dominé par des sociétés monoproduits dont les jeux déstructurés ruinent la notion de valeur ludique – d’expérience interactive - caractéristique des jeux consoles. Cette NX exposera le plus petit dénominateur commun entre ces deux segments de marché. Iwata est fermement opposé à assimiler le modèle économique (reposant notamment sur le free to play et toute la difficulté de sa monétisation) pour l’ériger en norme. C’est même pour lui l’occasion de réaffirmer la vocation première de Nintendo, le concept “en bloc” (dédié) des consoles de la société.
 
Mais toutes ces considérations fondamentales définissant l’identité du fabricant depuis plus de trente ans, la bulle spéculative n’en a cure. La dynamique s’inscrit dans la recherche de profit à court terme, quand bien même la santé financière de DeNA est défaillante (baisse de 55% du bénéfice d’exploitation par rapport à l’année dernière dans un marché japonais en forte hausse). Comment ignorer sa culture d’entreprise aux antipodes de celle de Nintendo. Elle repose sur une monétisation exacerbée (une réputation qui l’a précède) des contenus additionnels affectés à des titres au gameplay simpliste et uniforme. Ce qui n’effraie en rien la communauté financière, encore moins le PDG de DeNA : « Nous étions déterminés à travailler avec Nintendo, nos échanges ont commencé en 2010. Ils sont enfin prêts, nous le sommes depuis toujours » glisse-t-il dans les colonnes de Venturebeat.com.
 
Ce dernier se félicite de son approche graduelle obéissant davantage à un mariage de raison qu’à une alliance ponctuelle. Nintendo est monté à hauteur de 10% dans le capital du géant au pied d’argile des jeux sur dispositifs intelligents, « notre second gros actionnaire derrière Namba », se réjouit le PDG. Avant qu’Iwata ne douche ces déclarations optimistes quelques jours après : « Rien ne nous interdit de reconsidérer notre accord ».
 
A ce jeu de poker menteur, les fans risquent d’être désorientés.