Interview croisée : Christophe Héral et Rémi Gazel

Parfois, il y a d'heureux hasards dans la vie, ceux où l'on se dit qu'on était au bon endroit, au bon moment. Comme il y a deux semaines, alors que se tenait à Nîmes le salon Pix'n'Tech / Lord of the Geek, où j'étais en balade, histoire de voir des collègues entre autres, quand deux têtes connues montent ensemble sur scène, et jouent quelques morceaux de musique.

Ces deux personnes, ce sont ni plus ni moins que Christophe Héral, alternant habilement ukulélé, sax soprano et voix, et Rémi Gazel, au piano. D'un côté, le compositeur des musiques des Rayman Origins et Legends qu'on ne présente plus. De l'autre, celui, plus discret, de la bande originale du tout premier épisode de ce même Rayman, qui prépare un retour ambitieux avec un magnifique projet de "Rayman 1 Music Live".

Autrement dit, un bel évènement en soi... qui continue un peu sur le PoulpyBlog ! Puisque les deux collègues ont accepté de répondre ensemble à quelques questions, sur leurs projets et leur travail passé, pour mon plus grand plaisir et, je l'espère, pour le vôtre.

(Propos recueillis par e-mail.)

PoulpyBlast :  Bonjour messieurs, et merci d'avoir accepté de discuter un peu sur le PoulpyBlog ! Pour les lecteurs qui ne vous connaîtriez pas, comment vous présenteriez-vous ?

Christophe Héral : Je m'appelle Christophe Héral, et je suis compositeur de musique virgule de film, de jeu vidéo et de scène.
Rémi Gazel : Je me considère comme un "non-spécialiste", passionné de beaucoup de choses, compositeur, musicien de scène, mais aussi photographe, vidéaste...

Vous êtes, tous les deux, montés sur scène ensemble à Nîmes, à l'occasion du salon Pix'n Tech le 25 Mai dernier. Comment est née cette rencontre et cette collaboration ?

C.H : Nous avons juste commencé à concrétiser une envie de jouer ensemble nos musiques composées pour Rayman. Personnellement, je me rejouis de cette rencontre !
R.G : C'est quelque chose qui devait arriver, mais on ne le savait pas. Le genre de rencontres enrichissantes et bien marrantes.

Peut-on espérer d'autres apparitions communes ?
C.H : Mais bien sur, espérez, espérez ! :-)
R.G : Je le souhaite. J'adore les gens atypiques, et je suis servi avec Christophe !

On me demandait souvent si j'envisageais de rejouer les musiques de Rayman 1 en live. J'ai trouvé l'idée sympa. (Rémi Gazel)

Rémi Gazel, le monde du jeu vous connaît comme le compositeur des musiques du premier opus de Rayman, sorti en 1995. Vous en refaites parler puisque vingt ans après, vous montez actuellement un projet d'interprétation des musiques du jeu sur scène, "Rayman 1 Music Project". Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

R.G : Ce projet s'est imposé à moi à la suite des nombreux témoignages que je reçois régulièrement. On me demandait souvent si j'envisageais de rejouer les musiques de Rayman 1 en live. J'ai trouvé l'idée sympa. J'avais d'abord prévu de les rejouer "vite fait comme ça", au piano. Et puis, je me suis dit qu'il serait intéressant de prévoir quelque chose de plus "construit". J'ai soumis l'idée à plusieurs personnes, et l'unanimité des réponses m'a montré le chemin... Je n'avais plus le choix ! :)

Combien de musiciens vous accompagneront sur scène ?

Rien n'est encore figé, mais pour l'heure, je prévois deux formations. La première, la "base", sera constituée de sept ou huit musiciens, issus de divers milieux musicaux, plutôt orientés vers le jazz et les musiques latines, mais pas seulement. Des musiciens très ouverts (ils n'ont pas le choix ! :) ). Et je prévois d'adjoindre à ce groupe une deuxième formation, symphonique, pour pouvoir m'amuser encore plus au niveau des arrangements.

Sur le site internet du "Rayman 1 Music Project", on peut lire que vous ne feriez de la scène que si le projet studio est suffisamment soutenu...

"Ca, c'était avant", comme dit l'autre. Au fil de l'évolution du projet et des rencontres, je crois aujourd'hui que nous commencerons par la scène. Il est très important pour moi de sentir la réaction du public, de savoir si je ne me trompe pas dans mes choix musicaux... Soutenons donc, dans un premier temps, la partie "live" du projet !

Et donc idéalement, en mettant toute difficulté de côté, comment en voyez-vous l'aboutissement ? Une tournée française, mondiale, un album, un show de dingue à la Mylène Farmer ?

Tout ça, et plus encore !
Plus sérieusement, oui, une tournée bien sur. Mondiale pourquoi pas, mais restons raisonnables, et commençons par le pays qui nous entoure (NdPoulpy : la France, donc). Je suis ouvert à tout, je ne cerne pas bien les limites du projet aujourd'hui.

Pensez-vous à une petite apparition d'un morceau d'un autre épisode de Rayman que le premier dans ce projet live ?

C'est tout à fait possible, bien sur ! La "phase 1" du projet tournera autour de mes compositions, mais ensuite... no limit.

Je travaille avec une liberté incroyable avec [Ubisoft Montpellier], c'est assez rare pour le signaler (Christophe Héral)

Parlons un peu avec vous, Christophe Héral. De Beyond Good & Evil à Rayman Legends, votre nom est désormais totalement associé à Ubisoft Montpellier. Au fil du temps, comment évolue votre collaboration ? Vous laissent-ils plus de liberté qu'avant ?

C.H : J'ai l'impression de travailler davantage avec des directeurs artistiques qu'avec un studio en particulier. Bien sur qu'Ubisoft Montpellier est un lieu où nombre de gens sont talentueux, et si je dois signaler un truc très particulier, c'est que je travaille avec une liberté incroyable avec eux, c'est assez rare pour le signaler.

Si le jeu vidéo est votre "arme médiatique", vous avez essentiellement travaillé pour la télé pour enfants (NdP : le générique de Debout les Zouzous, c'est Christophe Héral !), les documentaires et les courts-métrages au cours de votre carrière. Travaillez-vous différemment d'un média à l'autre ?

Non, yé né pas changé, yé souis toujours le même ! :-)

Votre frère, Patrice, est un percussionniste particulièrement renommé dans la région montpelliéraine, et montre dans ses concerts un feeling très proche de celui qu'on vous connaît. Dans quelle mesure intervient-il dans votre processus de composition ?
Patrice est un musicien exceptionnel. Il joue avec les plus grands jazzmen européens. C'est un gars d'une grande générosité, on s'entend à merveille tous les deux. Je n'ai pas besoin d'expliquer longtemps les parties de percussions qui vont fabriquer l'ossature rythmique de tel ou tel morceau, il sait créer de très belles couleurs aux percussions du monde, qu'il maitrise d'une incroyable manière.
(NdP : on en parle peu, mais Patrice Héral est responsable de la quasi-totalité des percussions de l'oeuvre de son frère dans Rayman)

Christophe Héral qui compose pour un jeu vidéo non-Ubisoft, est-ce quelque chose d'envisageable ?

C'est très, très envisageable, et même envisagé !

Et donc, quels sont vos projets à court terme, avec ou sans le jeu vidéo ?

Question jeu vidéo, vous ne tirerez rien de moi ! Sinon, je travaille toujours en ce moment sur une série d'animation qui s'appelle Marcus Level, actuellement diffusée sur TF1, et puis sur des courts métrages... La routine, quoi ! :-)

Quant à vous, Rémi Gazel, parler de vos projets paraît incroyable puisqu'en l'espace d'une seule page de recherche Google, on peut vous découvrir chef de votre propre entreprise de formation, ainsi que photographe accompli et, donc, toujours musicien. Comment arrivez-vous à jongler entre toutes ces activités ?

R.G : Je jongle pas mal, en effet ! Il n'est pas dans ma nature de me focaliser sur une seule chose à la fois, étant donné le nombre de domaines qui m'attirent. Mais aujourd'hui, j'ai vraiment envie de me concentrer sur la musique et l'image, deux médias qui partagent d'ailleurs des sensations et un vocabulaire communs, et qui m'excitent beaucoup.

Et avec l'euphorie qu'a pu engendrer le succès de Rayman, n'avez-vous pas souhaité continuer à composer des musiques de jeu ?

Ca aurait pu se faire, mais déjà à cette époque, mes envies et mes passions étaient tentaculaires, et il s'est trouvé que j'ai continué sur d'autres types de projets : la composition et l'arrangement pour des chanteurs/ses, l'infographie, la photo,...

Ce n'est pas un style ou un artiste qui m'attire, mais plutôt un projet, un moment, une ambiance, une rencontre... (Rémi Gazel)

Venons-en un peu plus au coeur de vos oeuvres.
Rémi Gazel, stylistiquement, difficile de mettre la musique de Rayman 1 dans une case, entre world music, rock, jazz et votre formation de pianiste pour accompagner les morceaux qui restent...

Parfait ! J'ai horreur des cases !

... pourtant, j'ai toujours trouvé à l'ensemble un côté reggae (NdP : ressenti tout à fait personnel !). Y'avait-il une volonté de faire émerger un certain style dès le départ de la composition ?

Reggae ? Marrant... Pourquoi pas...
En tout cas, non, aucune volonté de privilégier un style ou autre. Ce n'est pas un style ou un artiste qui m'attire, mais plutôt un projet, un moment, une ambiance, une rencontre...

Quant à Rayman Legends, le gros point inoubliable du jeu est sans aucun doute les niveaux musicaux, et ses reprises délirantes de Ram Jam ou de Survivor entre autres (NdP : ce Castle Rock, j'en bave encore !). Christophe Héral, les morceaux sont de votre choix, ou de celui d'Ubisoft ? Et avez-vous eu votre mot à dire sur l'association du gameplay à votre musique ?

C.H : L'idée d'associer le gameplay à la musique date de Beyond Good and Evil (NdP : donc de près de 12 ans)... Le jeu est un domaine où il faut savoir être patient !
Le choix des reprises est plutôt venu de la core team de Rayman, Michel Ancel en tête. C'est Simon Choquet, très bon level designer à Ubisoft, qui s'est occupé de mettre en gameplay les bêtises sonores que je pouvais proposer, et il n'avait pas besoin d'aide ! :-)

La musique de Rayman Legends semble légèrement plus « mature » (si on peut vraiment utiliser ce mot ici !) que celle d'Origins, dans le sens où les thèmes principaux sonnent un peu plus orchestraux. D'après vous, qu'est-ce qui a évolué dans la musique de Rayman Origins pour qu'elle devienne celle de Rayman Legends ?
Les thèmes sont plus orchestraux car dans Legends, il y a un univers moyen âgeux et épique. Mais il y a toujours un kazoo et une vièle à roue qui traine avec l'orchestre, je ne peux pas m'en empêcher !

Nous sommes des hommes à thèmes comme d'autres sont des hommes à femmes (Christophe Héral)

Avec le recul, si vous ne deviez garder chacun qu'un seul morceau sur vos travaux dans Rayman, lequel serait-ce ?

R.G : Dans le cas de Rayman 1, le thème du magicien.
C.H: J'ai un petit faible pour les glouglous de Origins.

Et quel regard avez-vous chacun sur le travail de l'autre dans vos Rayman respectifs ?

C.H :  Quand Michel Ancel m'a demandé si je voulais bien composer la musique pour Rayman Origins, j'ai regardé et écouté tout ce qu'on peut trouver comme walkthrough sur Youtube. Je trouve que les thèmes de Rémi rentrent par une oreille, et... ne sortent pas par l'autre ! :-)
Nous sommes des hommes à thèmes comme d'autres sont des hommes à femmes.
R.G : Christophe est une sorte de savant fou, doté d'une créativité hors normes. Ses compositions font penser que tout est possible... et tout l'est !

Puisqu'on parle du travail des autres, suivez-vous un peu l'actualité vidéoludique ? Et celle des musiques de jeu ? Quelles sont vos oeuvres favorites dans ces domaines ?

C.H : Si on a le droit de citer Mario, alors Mario !
R.G : Je la suis surtout à travers le regard de mes enfants, n'ayant pas vraiment le temps de m'immerger dans un jeu. Mais musicalement, j'aime beaucoup les musiques de Masashi Hamauzu, notamment ses "piano works".
(NdP : Hamauzu est l'auteur de plusieurs compositions pour Final Fantasy 10, 13 et 13-2, Saga Frontier 2 ou encore Front Mission - Gun Hasard)

Et dernière petite question, pour terminer : avez-vous eu des contacts avec les compositeurs de Rayman 2 (Eric Chevalier) et Rayman 3 (Laurent Parisi, Fred Leonard et Plume Leonard) ?
C.H : Pour ma part, non, mais j'aimerais beaucoup en avoir.
R.G : Non, aucun, mais ça serait intéressant !

Voilà ! Merci à ces deux grands noms de la musique de jeux de m'avoir accordé l'honneur de cette interview !

Rappel : un site web existe, en cliquant ici