Je voudrais être très clair tout de suite : Deadly Premonition atteint cette amusante limite à partir de laquelle une réalisation à la ramasse est tellement à la ramasse qu'on a envie d'en rire. Il faut le savoir. Et il faut savoir aussi qu'il en va de même avec la jouabilité. C'est le deuxième effet Kiss Cool. Subir ce voyage dans le passé (on est honnêtement au niveau d'un jeu Dreamcast un peu bâclé, et encore ça dépend des moments), est parfois difficile, mais pour une raison que j'ignore, on a dès le départ le sentiment que la lumière finira par jaillir par petites touches dès qu'on aura suffisamment gratté cette rugueuse surface...

Bienvenue à Greenvale

Un terrible meurtre a eu lieu dans la petite bourgade de Greenvale, un coin paumé et copieusement boisé qui se réveille douloureusement suite à ce drame inhabituel. Le profiler du FBI que vous allez incarner, Francis York Morgan, est ainsi dépêché loin de ses bases pour aider la police locale dans cette enquête... et le ton est vite donné : suite à un accident de la route vous serez plongé dès votre arrivée dans une espèce de monde parallèle peuplé de zombies très Silent Hill, qu'il faudra cribler de balles pour progresser et vous retrouver à nouveau brusquement dans la réalité. Le gars est semble-t-il schizophrène, il clope à longueur de temps, balance des vannes à froid et semble traîner un lourd passé qui a du mal à se cacher derrière sa grande balafre, ses attitudes et ses déclarations étranges... Il intrigue immédiatement, et contribue largement au fait qu'on accroche tout de suite à l'univers de Deadly Premonition. Tout comme les autres figures que vous allez croiser progressivement à Greenvale d'ailleurs, à commencer par le shérif, costaud et taciturne, son adjoint plus qu'efféminé, mais aussi la mère de la victime qui pète un câble, le couple de la station service, les deux petits jumeaux qui ont découvert la victime, j'en passe et des tonnes. Et là, la mémoire de certains est forcément déjà titillée...

Shenmue, Silent Hill et GTA... à Twin Peaks

Les similitudes avec la série culte de David Lynch, j'ai nommé Twin Peaks, est tout de suite frappante. On navigue à vrai dire entre l'hommage et le plagiat. Pour ceux qui ont eu le bonheur de suivre cette série, sachez pour enfoncer le clou que le héros est fana de café, ou encore qu'une "femme au faitout" un peu dingue nous rappelle irrémédiablement une certaine "femme à la bûche"... les petits éléments de ce genre, qui vous sauteront aux yeux façon "déjà-vouuu", sont légion. Et si vous ne connaissez pas cet univers "lynchien", ça vous donnera probablement envie de le découvrir, tiens. Cette référence est donc omniprésente, et elle devient un élément extrêmement puissant lorsqu'on découvre le gameplay inspiré de GTA et de Shenmue...

Je suis un homme libre

Car cette enquête, vous allez littéralement plonger dedans, avec la liberté d'explorer la grande ville de Greenvale à pied ou en voiture, de vous arrêter poser des questions à toute l'immense galerie de personnages, qui vaquent à leurs occupations. Les gens vont au boulot, reviennent à la maison (vous pouvez même les épier par la fenêtre !), s'arrêtent chez des amis au passage, font des courses à la superette... Et à chaque fois que vous les interrogerez de manière impromptue, ici ou là, ils auront toujours quelque chose à vous dire. Bien sûr, le scénario avance réellement avec des missions bien spécifiques, mais ces séquences de dialogue libre, qui s'accompagnent de moult missions annexes débiles (mais qu'il est toujours utile de compléter) et de mini-jeux comme les fléchettes au bar (tiens...), s'intègrent parfaitement dans l'histoire globale. L'ensemble donne une impression de vie assez géniale. Ajoutez à cela tous les autres gimmicks shenmuesques (il faut se raser ou la barbe du héros pousse, changer de costume ou puer, collectionner des cartes...) et vous comprendrez cette envie d'errer de temps en temps entre les lignes du scénario, qui reste toujours présent en fil rouge. Ça n'a rien de fondamentalement révolutionnaire, c'est même parfois un calvaire à jouer (temps de chargement incessants, scènes en voiture horribles, carte inutilisable tant elle est mal pensée, graphismes qui piquent les yeux, mixage sonore ahurissant de médiocrité...), mais le sentiment de faire vivre l'enquête, de découvrir les dessous de personnages au background et à la personnalité travaillés, tout cela donne des ailes au joueur, le motivant à ne pas abandonner et même à creuser, envoûté qu'il est par la mise en scène, l'atmosphère, la narration, les musiques...

Les scènes d'action, elles, se limitent donc à ces fameux passages à la Silent Hill dans "l'autre monde", dans lesquels il faut shooter à gogo et progresser via des mécaniques simples entrecoupées de QTE et autres scènes de courses-poursuites avec le tueur. Elles souffrent elles aussi d'un gameplay et d'un game design d'une autre époque (York est un vrai tank !), mais restent bizarrement assez inquiétantes, et font découvrir de plus en plus de choses sur le héros et le tueur de Greenvale...

Moche, bizarre et... culte

Mal foutu et lourdingue, Deadly Premonition arrive tout de même à draguer le joueur avec sa formule unique et ses drôles de mélanges... Il a derrière ses atours peu avantageux quelques armes bien cachées, qui peuvent s'avérer charmantes. J'en suis personnellement tombé amoureux, petit à petit. Je retiens cette expérience comme un moment très marquant, comme un jeu bourré de principes et de scènes cultes qui restenteront gravés dans ma tête. Je me suis pris à rêver d'une espèce de remake avec une réalisation digne de celle d'un Alan Wake (les deux jeux ont a priori quelques points communs aussi), mais je me demande si ce côté série Z ne participe pas au charme lui aussi... je ne sais pas. Dans tous les cas, je me suis posé mille questions au moment de lui attribuer une note sur 5 étoiles. Techniquement, selon notre barème ultra chiadé, il devrait en afficher une de moins, mais je ne peux me résoudre à ne pas mettre en avant deux choses : d'abord on peut trouver un véritable petit trésor si l'on est assez courageux pour creuser, et ensuite le "risque" s'avère d'autant plus limité quand il implique un achat de... 25 euros environ. C'est ce que vous coûtera une désillusion douloureuse ou un grand moment, curieux, unique, mais grand, de jeu vidéo.