Deux ans après avoir quitté Basswood, ville minière de Virginie Occidentale, Samuel Higgs, journaliste de son état, y retourne afin d'assister aux obsèques de son meilleur ami, Nick. Tandis qu'il mène l'enquête sur les circonstances qui ont conduit à sa mort, Sam est confronté aux erreurs de son passé.

Sam, je suis Sam

La thématique du retour aux sources est prégnante dans nombre d'oeuvres narratives de Dontnod : la première saison de Life is Strange, Tell Me Why et maintenant Twin Mirror. Plus encore que sur les deux titres précités, le jeu s'attache à nous en exposer le cadre, ici la petite ville de Basswood. Les premières heures de Twin Mirror permettent ainsi au joueur de s'immerger dans ce contexte particulier, lié à l'histoire tumultueuse de la ville et de ses habitants. Nous faisons la connaissance de ces derniers à travers les liens qui les unissent à Sam : Anna, son ex ; Joan, sa filleule et fille de Nick ; Walter, son ex-patron au journal Basswood Jungle...

L'une des premières scènes du jeu voit justement notre Sam échanger avec la petite Joan, qui lui reproche d'avoir quitté subitement la ville deux ans plus tôt. Doutant du caractère accidentel de la mort de son père, Joan lui demande d'enquêter sur cet évènement. Le jeu se fige alors puis survient le Double, personnage créé de toutes pièces par la conscience de Sam et qui lui sert de soutien psychologique pour résoudre certains dilemmes auxquels il fait face. Concrètement, Sam et le Double échangent leurs différents points de vue, à la suite de quoi le joueur doit faire un choix : ici, impliquer Joan dans l'enquête ou ne pas la mêler à ça pour lui éviter des ennuis.

Ces choix ont une conséquence directe sur les relations qu'entretiennent les autres personnages avec Sam mais surtout sur le déroulé de certains scènes postérieures. Ainsi, selon notre propension à écouter Joan ou au contraire à ne pas lui faire suffisamment confiance, celle-ci pourra se braquer et agir en conséquence (sans spoiler). Les choix ayant un impact direct sur l'aventure ne sont pas si nombreux mais permettent néanmoins au jeu de bénéficier d'une bonne rejouabilité. Une fois celui-ci terminé, il est d'ailleurs possible de reprendre la partie à partie d'un chapitre en particulier de l'aventure afin de constater les conséquences de certains choix.

Mon beau miroir

L'intrigue tournant autour de la mort de Nick et des mystères de Basswood se révèle assez décevante et convenue : aucune révélation tonitruante ou séquence particulièrement forte en émotion ne vient émailler le fil de l'aventure. Le joueur comprend bien vite que c'est la façon dont notre reporter appréhende ces évènements qui constitue le coeur du jeu. Sam est un personnage solitaire, renfermé sur lui-même et qui a du mal à montrer ses émotions aux autres. D'où l'existence de ce Double qui lui tient compagnie dans les moments de doutes, mais également du fameux Palais Mental dans lequel il tend à se réfugier parfois. Petit monde à lui, le Palais Mental lui permet de se remémorer des souvenirs liés à des objets ou à des endroits en particulier qu'il redécouvre en parcourant Basswood : un jukebox, une gravure sur un arbre, une photo encadrée...

Si l'intrigue principale s'écarte effectivement du genre fantastique par rapport aux autres titres narratifs de Dontnod, les séquences dans le Palais Mental permettent d'apporter une touche d'onirisme à Twin Mirror. L'esprit de Sam vagabonde dans un monde cristallin et immaculé, rassurant pour lui. Sur le plan visuel en général d'ailleurs, cette production se montre bien plus convaincant que lors de sa première présentation en 2018. Sans atteindre les performances visuelles des derniers AAA, Twin Mirror tend vers un certain photoréalisme et s'impose comme le plus beau titre du studio. Certains visages et animations feront tiquer le joueur mais l'ensemble est tout de même très propre et on se surprendra à s'arrêter quelques secondes pour admirer les paysages forestiers traversés par Sam.

Musicalement, le jeu navigue entre bluegrass et folk pour les morceaux diégétiques (entendus par les personnages), propices au cadre proposé par le jeu. Le reste de la bande-son fait le job également, se chargeant de mystère lorsque le scénario progresse ou lorsque Sam se réfugie dans son Palais Mental. Le doublage (anglais) s'avère correct mais on notera malgré tout quelques bugs ou errances techniques : dialogues entrecoupés et volume des voix mal équilibré notamment.

Crash Investigation

À plusieurs moments dans le jeu, notre reporter est amené à recouper certaines informations afin de pouvoir progresser dans son enquête. Ces séquences d'investigation l'amèneront par exemple à revenir sur les lieux de l'accident de Nick (voir les premières impressions du jeu) ou à trouver le meilleur moyen de détourner l'attention d'autres personnages en provoquant un incendie sans être vu. Dans la séquence où Sam se la joue pyromane, le joueur doit d'abord trouver sur place tous les éléments susceptibles de l'aider dans son plan : différentes cachettes possibles, tuyau d'arrosage à trafiquer... Une fois tous ces éléments retrouvés, le petit icône en haut à droite de l'écran vire au bleu.

Sam peut alors se plonger dans son Palais Mental et commencer à élaborer des hypothèses ou préparer son plan. Pour ce faire, le joueur doit essayer plusieurs combinaisons (se cacher dans le placard ou derrière le rideau, trafiquer le tuyau d'arrosage ou cacher les clefs permettant d'accéder à un extincteur...), sachant que les conséquences de ces actions se matérialisent dans son esprit. Ainsi, il conviendra au joueur de choisir la combinaison d'actions/d'indices adéquate afin de pouvoir progresser dans l'enquête.

Malheureusement, passée la première phase d'investigation, celles-ci finissent par toutes se ressembler et ne présenter que peu d'intérêt sur le plan ludique. Grosso modo, le joueur doit farfouiller un peu partout dans la zone pour retrouver des indices dont il ne connaît pas encore l'utilité, certains étant assez pénibles à dénicher ; puis, une fois que le jeu l'a décidé, se projeter sur les trois-quatre combinaisons d'actions possibles. Des séquences assez classiques sur la forme en fin de compte, qui ont tendance à plomber le rythme de l'aventure.

Retrouver ses esprits

La principale faiblesse du titre tient à sa durée de vie : six petites heures, et sans se presser - on comprend au passage pourquoi le format épisodique a été abandonné. C'est bien trop peu pour s'immerger pleinement dans le background du jeu. Au final, une bonne moitié des personnages rencontrés n'ont qu'un rôle accessoire alors même qu'ils disposent (comme tous les autres) d'une fiche dans le menu du jeu, qui revient sur les liens qui les unissent à Sam ou sur leur rôle à Basswood. Pour certains d'entre eux, le joueur peut dégoter des objets qui leur sont liés d'une façon ou d'une autre : une BD de Joan, l'insigne de Declan l'un des policiers de la ville... Mais cela tient davantage d'un détail de background que d'un réel étoffement de l'intrigue.

Encore une fois, c'est dans les (trop rares) séquences liées aux moments d'égarement de Sam que Twin Mirror tire son épingle du jeu. Le personnage perd ses moyens et son esprit s'égare dans une version bien plus sombre et inquiétante du Palais Mental. Il doit alors littéralement retrouver ses esprits ("find my own mind") ou fuir les pensées qui l'assaillent. Ces séquences tranchent radicalement avec le ton plus terre-à-terre du reste du jeu et n'ont rien à envier aux scènes d'horreur psychologique des titres de Bloober Team (Layers of Fear, Observer). C'est au cours de l'une de ces phases que le jeu prendra un tournant décisif, à la suite d'un choix cornélien auquel sera confronté Sam. Malheureusement, cette séquence étant située vers la fin du jeu, le joueur ne pourra profiter que brièvement des conséquences de sa décision.