Après Sekiro, Nioh 2 ou un énième épisode de Dynasty Warriors, vous reprendrez bien un petit jeu de ninja/samouraï ? Enfin petit, le mot est trompeur. L'expérience proposée par Ghost of Tsushima, le dernier-né des studios Sucker Punch (InFAMOUS, Sly...) sur lequel les dev's bossent depuis presque 6 ans et la sortie de leur dernier jeu - durant les débuts de la PS4 - est un bon gros projet dit "AAA des familles" avec un cahier des charges long comme le bras d'un ministre. Le dernier de notre fidèle PS4. De quoi faire ses adieux en beauté ? C'est ce que nous allons voir !

Le Samouraï fantôme

Dans Ghost of Tsushima, vous êtes Jin Sakai, un samouraï. Laissé pour mort lors de la bataille du débarquement des mongols sur la petite île de Tsushima, première barrière entre la grande île et la Corée su sud, il va se remettre de ses blessures afin de devenir le fantôme qui va libérer son peuple de l'invasion des barbares venus du continent. Le tout dans une histoire bien évidemment fictive où l'on croisera tout de même des ersatz très convaincants de Kahn mongols ou de Jito samouraï. L'histoire globale se montrera même bien plus palpitante et épique que ce qui s'est déroulé dans la réalité, avec une progression en épisodes, pas mal de rebondissements, des personnages secondaires attachants et plus ou moins complexes, et un choix constant à faire entre l'honneur du samouraï et son absence dans la voie du Ninja, deux philosophies du combat radicalement opposées.

L'histoire fait des bonds en avant en fonction de notre propension à suivre la quête principale, on en apprendra beaucoup sur la vie et les origines de Jin via des flash-back qui vont aussi servir de tutoriel, quelques choix de dialogues rapides sont de la partie et le tout est soutenu par une version française de très bonne qualité, même si quelques PNJ souffrent parfois d'un doublage un poil surjoué. La version originale japonaise est elle aussi du voyage, et les nombreuses cinématiques sont mises en scène de façon plutôt classique mais somme toute très efficace. Franchement, même si ça reste très sobre si l'on est un adepte de film de samouraï, on prend plaisir à suivre les pérégrinations de Jin dans un univers aussi beau qu'impitoyable.

Une estampe animée

Wow ! Haaa ! Hooo ! Ces interjections ont bien dû fuser dans le salon une bonne centaine de fois durant notre session de TEST. Le bouton "Share" de la DualShock 4 à lui aussi bien chauffé, et le tri pour ne garder que 20 captures : un supplice. Ghost of Tsushima est splendide, magnifique, et même sublime. Je ne vais pas vous faire le tour de tous les superlatifs du dictionnaire des synonymes, mais sincèrement, le jeu en vaudrait presque la peine juste pour sa beauté. Dès nos premiers pas dans le monde ouvert, on se rend compte de sa richesse et que les trailers n'avaient pas menti. Vous vous souvenez de la colline aux herbes blanches, ondulant sous la caresse du Zéphyr, éclairée par la lumière de la lune, dans Sekiro ? Et bien là c'est quasiment tout le jeu qui va être de cette trempe en termes de beauté apparente. Le Japon Féodal est un formidable terrain et les équipes de Sucker Punch s'en sont donné à coeur joie. La topographie des lieux est très variée, enchaînant vallée, collines, champs, villages, fermes, bases, rizières, le tout avec une végétation luxuriante et très variée. À chaque zone ses préceptes.

Balayées par le vent, les herbes bougent de façon plus vraie que nature. Elles peuvent prendre feu, mais cela ne se propagera pas comme dans le dernier Zelda. Dans les forêts, ce sont les feuilles mortes qui volent au vent et recouvrent le sol. Les couleurs utilisées sont souvent très fortes et tranchées, et avec la gestion des lumières, c'est un délice. L'île de Tsushima est régie par un cycle jour/nuit qui fait changer du tout au tout un lieu entre l'aube et le crépuscule. Et aussi en fonction de la météo, contrôlable via une flûte, comme dans Zelda cette fois-ci : l'orage n'amène pas les mêmes teintes qu'un plein soleil. Dans la pénombre, des lucioles et autres reflets de lune viennent rendre l'ensemble encore plus enchanteur. Sur l'eau, les reflets sont là encore sublimes, et un rayon de soleil levant qui perce à travers les arbres d'une forêt reste et restera toujours un moment éblouissant. On n'est jamais très loin de l'expressionnisme, d'une estampe qui aurait pris vie sous nos yeux. Les couleurs utilisées sont toujours de plus en plus folles, le jeu reste surprenant jusqu'à la fin, chaque coin de l'île de Tsushima est digne d'une carte postale, et même le plus infâme des marais est d'une élégance à couper le souffle. On ne se lasse pas de voir évoluer ces paysages sous nos yeux. Ghost of Tsushima est une véritable claque visuelle en ce qui concerne son aire de jeu, qu'on se le dise.

Artistiquement technique

Le seul reproche que l'on pourrait éventuellement faire à Ghost of Tsushima d'un point de vue visuel, c'est qu'il apparaît un peu sombre à l'intérieur des bâtiments et la nuit. On a dû fermer les rideaux la journée, et parfois ajuster la luminosité dans les options. Sinon, le reste est de la même trempe que les décors. À commencer par les visages des protagonistes principaux, très détaillées, réalistes et convaincants. Le HUD est quasiment inexistant, mais les titres qui ponctuent le début et la fin de chaque mission sont toujours d'agréables moments. Un mode Kurosawa est également disponible, et il ajoute un grain et un filtre noir et blanc à l'ensemble, pour ressembler à un vieux film de samouraï, en hommage à ce grand cinéaste. Là encore, tout colle, et l'ambiance est tout simplement démentielle. Un mot sur les musiques au passage : au poil évidemment, elles savent aussi briller par leur absence.

Et si les esthètes pourront passer du temps avec le mode photo, les technophiles pourront quant à eux constater que le jeu tourne parfaitement et exploite le plein potentiel de la PS4 Pro. Cette dernière propose de choisir entre résolution plus élevée ou plus d'images par seconde - nous avons choisi la seconde option, comme toujours - et a quelques très rares moments, deux ou trois dans tout le jeu, on a bien senti que cette dernière crachait toutes ses tripes, mais sans jamais faiblir ni subir de chute de framerate, ni aucun popping, clipping ou tout autre anglicisme barbare. La profondeur de champ se révèle assez hallucinante, ce qui sera un vrai plus pour observer les magnifiques décors. Le tout reste plutôt net même en cas de mouvement brusque de la caméra. Les mouvements de la cape du héros, portée par le vent, sont hyper-réalistes. Pris indépendamment, les brins d'herbes ne sont pas grand-chose, mais ensemble, c'est dément. Et si on pourra un peu tiquer devant l'animation sommaire de certains PNJ, parfois couplée à un pathfinding tout sauf naturel, l'ennemi à éliminer qui est resté coincé à l'autre bout de cette vaste arène, ou encore les capacités de téléportation de notre cheval après l'escalade d'une falaise, clairement, techniquement parlant, le jeu a les moyens de ses ambitions visuelles.

Tsuchima Zero Dawn

Niveau gameplay, la formule s'avère là encore très solide, mais un peu moins originale que du côté artistique. Tsushima est un monde ouvert plutôt bien rempli, avec des activités tous les 200 mètres, et de courts déplacements contemplatifs entre deux. On choisit sa destination sur la carte du menu, puis sans HUD, il faudra suivre le vent qui soufflera dans les hauts-parleurs de la manette, une fonction bien frivole de notre chère PS4. On pourra bien évidemment voyager rapidement d'un lieu à un autre, avec des temps de chargement très rapides. Et si c'est l'aventure, la navigation à vue se passe plutôt bien, et même si une montagne se trouve sur notre chemin, on a vite fait de la contourner ou de l'escalader, tout simplement. En plus du scénario, plutôt long, les activités seront assez variées : enquêtes à la Witcher où l'on va suivre des pistes, territoires à conquérir, villages à libérer du joug Mongol, sauvetage d'otages, composition de haïkus, renard à suivre vers des temples, sanctuaires à escalader avec son grappin en mode Tomb Raider, et des centaines d'objets à collectionner, plutôt faciles à repérer avec le vent. On pourra aussi suivre quelques missions secondaires plus scénarisées, basées sur le destin particulier de certains PNJ, ou liées à d'ancestrales reliques ou légendes du Japon. Il y a à boire et à manger dans Ghost of Tsushima, et s'il faudra tout de même quelques dizaines d'heures pour en voir le bout, le 100 % devrait vous tenir occupés un bon petit moment.

C'est solide, ça fonctionne, mais ça reste peut-être l'aspect le plus basique du jeu. Les affrontements, à l'épée uniquement, se font à l'aide de deux forces d'attaque, d'une esquive et d'une parade. À partir de là, il s'agit d'un gigantesque "pierre-feuille-ciseau" où il faut utiliser la bonne technique contre la bonne arme. Des postures font leur apparition un peu plus tard, mais là encore, ce sera juste la bonne posture contre le bon ennemi : ne comptez pas sur un système aussi poussé que celui de Nioh ! Au final, les combats sont très binaires, un peu comme dans un Batman Arkham, mais la décision est ultra-rapide dans les deux sens, tranchante comme une lame. Du moins au début, car si vous vous endurcissez, les ennemis aussi. Les exécutions sont bien violentes, sans pitié, se déclenchent seules, et Ghost of Tsushima mérite bien son PEGI "18+". On pourra achever les ennemis déjà condamnés pour regagner de la détermination et se soigner, ou encore utiliser tout un tas d'armes Ninja dévastatrices telles que des Kunai, des bombes, ou des flèches enflammées. Le set de gadget de Jin va s'enrichir tout au long de l'aventure et de la montée en puissance de la légende du fantôme. Malgré tout, impossible de ne pas pester devant l'absence de lock qui rend les déplacements du héros souvent patauds, mais aussi face à la caméra qui se coince parfois dans un élément du décor. Le tout est au final un poil brouillon et basique, notamment dans les quelques très grandes batailles plutôt épiques mettant aux prises des dizaines de combattants réunis au même endroit, mais on y prend tout de même un certain plaisir. Notez que le tout est une promenade de santé en mode facile, plutôt strict en mode normal, et carrément exigeant en mode difficile. Il y en aura pour tout le monde.

Faux Roleplay

Tout comme le héros, on sera tenté de suivre la voie du Samouraï et de s'annoncer à l'entrée d'un camp Mongol pour engager le combat avec honneur. Ou de la jouer Ninja sans pitié, assassinant à tour de bras. Après un court repérage avant la bataille, on pourra sortir la carte de l'infiltration, tant il est plus facile de rester discret. Cela peut permettre de sauver des otages sans les mettre en danger et devoir tout recommencer. Déplacements sur les toits, sous les fondations des maisons, dans les herbes, tout est bon pour ne pas se faire repérer. Le jeu va même l'imposer à de nombreuses reprises dans le scénario, vous n'aurez pas vraiment le choix et devrez briser le code. Pour nous aider, une supra-vision pour voir à travers les murs comme dans The Last of Us, et c'est les ennemis qui tremblent devant les actions du fantôme. Quelques compétences pourront aussi vous prêter main forte, avec des combos supplémentaires, l'amélioration de l'existant avec du craft, de nouvelles techniques de ninja, de quoi faciliter exploration... L'aspect RPG de Ghost of Tsushima est sommaire mais il a le mérite d'exister et de complexifier un peu la chose.

Clairement, au vu de tout ce que vous venez de lire, on peut aisément dire que le cahier des charges est rempli, et de la bonne manière. Ghost of Tsushima est non seulement un jeu sublime, dont vous devrez vous rappeler longtemps, mais il est aussi très complet en termes purement ludiques, même si là, on rentre un peu plus dans le rang.