Entre 70 et 80 heures de jeu. Des milliers d'hectares couverts sur le monde virtuel immense érigé par les équipes de Rockstar. Des dizaines, voire peut-être des centaines, de tâches diverses accomplies. Et pourtant, la sensation de n'avoir qu'effleuré la surface de Red Dead Redemption II. Tout dire sur ce jeu d'action-aventure en monde ouvert hors-normes, qui mériterait presque qu'on invente le statut de AAAA par son envergure, paraît impossible. Beaucoup de choses m'ont échappé, c'est certain. Il va être compliqué, ici, de tenir une comptabilité exacte de toute la richesse d'un jeu dont certains détails pourraient bien n'être découverts que dans des mois, voire des années. De toute manière, nous n'avons pas de temps à perdre et il vaudrait mieux que cette critique de RDR II ne se transforme pas en TL;DR II. Enfin, rappelons l'essentiel : le plaisir de la découverte doit appartenir à ceux qui poseront les mains dessus. Ce qui ne m'empêchera pas de tenter, humblement, de vous expliquer pourquoi vous devez me croire sur parole lorsque j'écris que Red Dead Redemption II, c'est la claque américaine.

À l'est dégaine

Commençons par le contexte. Nous sommes en 1899. Le gang de Dutch Van Der Linde fait partie des derniers groupes de hors-la-loi encore très actifs. Il compte parmi les plus recherchés d'une Amérique qui n'a pas encore totalement pansé les plaies de la Guerre de Sécession et a fait le choix du grand nettoyage pour se structurer. Et laisser les dirigeants et autres banquiers pratiquer l'escroquerie à une échelle plus vaste, couverte et officielle. Le groupe est très complet : une vingtaine d'âmes dans laquelle on trouve des as de la gâchette, du braquage, de la collecte de fonds virile, mais aussi des prostituées, un révérend, un comptable, un cuisinier... Tous, quel que soit leur âge, connaissent leur place aux côtés de Dutch, leader charismatique, éloquent et idéaliste.

Voler aux riches pour subvenir aux besoins des pauvres constitue pour lui la meilleure preuve d'une existence libre. Et ils le croient. Le soutiennent. Son autorité est indiscutable. Reste que le dernier casse a tourné au fiasco. Il a fallu fuir Blackwater en urgence, les Pinkerton aux fesses. Direction l'est des États-Unis pour se refaire une santé, oublier les pertes humaines et financières avant, peut-être, de trouver un havre de paix loin de tout ça. C'est après un début de crise dans un cadre qui ramène volontiers au The Hateful Eight de Quentin Tarantino, que le joueur intervient. Manette en mains, il va commencer à se prendre pour un véritable cow-boy dans un voyage crépusculaire et mouvementé, fait de questionnements sur les notions d'honneur, d'amitié, de loyauté et de priorités pour des personnes dont le mode de vie est voué à disparaître.

Arthur, couillère

Notre hôte, personnage principal de cette épopée au long cours, c'est Arthur Morgan. Homme de confiance - et à tout faire - d'une "famille" de fripouilles amenée à prendre la route fréquemment, ce beau brun aux yeux bleus acier est du genre costaud, intimidant et sans scrupules. Si on lui demande d'aller se faire un train ou une diligence, de détrousser une veuve ou un pauvre hère devant rembourser ses dettes, il répond présent. S'il faut faire parler les poings comme la poudre, il n'est pas le moins débrouillard. Après le chasseur de primes Red Harlow de Red Dead Revolver et le repenti John Marston de Red Dead Redemption, nous voilà donc dans un registre différent, celui d'une canaille de l'ouest, avec un bon fond, certes, mais une canaille.

Autant apaiser les craintes concernant son caractère, qu'une apparence jugée rapidement générique semblait envoyer dans une fosse de médiocrité. Rockstar n'a pas l'habitude de livrer des monolithes figés et fadasses. Et en cela, les nombreuses punchlines et réflexions sortant tout naturellement de la bouche de l'acteur Roger Clark rassurent sur cette constance. Morgan est un protagoniste attachant, à la dualité intéressante. Il obéit, certes, mais cela ne l'empêche pas d'avoir son propre code, ses idéaux, son regard sur les événements et les personnalités qui l'entourent. Beaucoup de choses vont l'amener à revoir certaines perspectives. Et s'il demeure un porte-flingues fidèle, il sait évoluer de manière plus que satisfaisante - nous reviendrons sur l'écriture globale, la mise en scène et la narration plus loin - tout au long du jeu.

Interaction man

Ah !, on fait bien de revenir au terme jeu, parce qu'on aurait presque tendance oublier de quoi l'on parle. Comment le pourrait-on, alors que les programmeurs ont pris la peine de créer un terrain DE JEU aussi immense, presque intimidant, qui se permet de faire passer l'épisode précédent, un peu âgé mais pas si mal conservé, pour un petit projet étudiant, un simple brouillon, un griffonnage sur un coin de table ? C'est vrai que lorsqu'on nous tend la carte, le menu a l'air peu ou prou identique à celui de GTA V ou de Red Dead Redemption. Mais lorsqu'on tourne les pages, on remarque rapidement un choix qui provoque l'ivresse. Proposant action, aventure, exploration et parfois infiltration en monde ouvert, Red Dead Redemption II pousse tous les curseurs mis en place précédemment par Rockstar en termes d'interactivité.

Premier cas concret : là où Marston pouvait saluer brièvement chaque personnage non joueur à proximité en hochant la tête, laissant le reste des actions possibles aux donneurs de quêtes, Morgan dispose d'une panoplie étendue grâce au verrouillage via la gâchette gauche (L2/LT). Toute arme rangée, ciblez un badaud ou un cavalier : vous pouvez également le provoquer, le menacer, calmer le jeu s'il se montre menaçant ; s'il s'agit d'un cocher, lui intimer l'ordre de vous laisser son attelage ou l'exhorter à vous prendre en stop ; vous rendre aux forces de l'ordre ; avec un commerçant, accéder à l'achat ou la vente ; accepter ou refuser d'aider une âme perdue ; pour les membres de votre équipée, sur votre campement, simplement papoter ou répondre à des besoins. Cette visée ne s'applique pas qu'aux conversations. Les animaux aussi peuvent être lockés. Un chien ou un chat qui erre à votre portée, ça s'appelle, ça se caresse, ça se gronde... Non, ça ne se gronde pas, laissez-les tranquilles. Certains verront là de l'interaction accessoire. La vérité, c'est que cela participe à rendre Red Dead Redemption II plus vivant et organique encore que n'importe quel jeu paru avant lui.

Et voici la vie

La vie ne manque pas. Elle grouille dans les villes comme sur les routes, dans les plaines, les champs, les montagnes... Vous apercevez presque en permanence des PNJ. Ils vaquent à leurs occupations et réagissent volontiers à votre présence proche. Ils se rappellent, vous interpellent ou vous dénoncent pour peu que vous ayez fait une connerie récemment, traîniez une réputation plus ou moins honorable ou qu'il émane de vous des senteurs de vieux bouc crotté qu'un bon bain dans un bon hôtel pourrait effacer pour regagner en respectabilité. Comme d'autres bandes hantent les différentes régions parcourues, vous pourriez être pris en embuscade par un petit groupe de gredins ou, après une nuit à la belle étoile, vous réveiller (au matin, à midi, au soir ou à minuit) un flingue sur la tempe pour vous aider à vous souvenir qui règne dans le coin. Et on ne parle pas des rencontres aléatoires sans conséquences mais tellement loin de se révéler superflues auxquelles le développeur nous a habitués, et allant parfois très loin dans le gore et la folie.

La faune, qu'on ne cesse d'entendre dans les grands espaces, n'est évidemment pas en reste. Les proportions s'avèrent simplement délirantes. L'annonce claironnée de plus de 200 espèces animales aux attitudes crédibles, est difficilement vérifiable sans y perdre sa santé mentale. Il n'empêche que les chiffres de l'encyclopédie in-game qui s'enrichit grâce à l'observation, en conjuguant une autre touche (R1/RB) au ciblage, par le dépeçage ou la pêche sont là. On se pince régulièrement face à une telle diversité et un soin apporté aux modélisations et aux animations. Il faut voir les biches lever la tête, les lapins détaler, les oies s'envoler en escadron, ces foutus couguars ou les loups vous bondir dessus - parce qu'une fois de plus, vous avez oublié de vous laver et que vous avez du sang de wapiti sur la veste - pour comprendre que quantité et qualité (maniaque) vont de pair.

Qui veut voyager loin...

Si l'on parle d'animaux, on ne peut pas laisser de côté celui qui constitue un personnage à part entière : le cheval, bien plus important qu'il ne l'était dans Red Dead Redemption. La multiplicité des races et leurs caractéristiques auront un rôle à jouer dans le choix d'une monture fidèle (sachant que vous pouvez en stocker 4 en écurie). Mais peu importe que vous choisissiez un Morgan aux gonades admirables ou une jument Tennessee Walker, que vous l'ayez acheté ou dompté au lasso, avec quelques mots d'apaisement - et non plus un rodéo parfois interminable. Votre canasson est un compagnon, un ami dont il est difficile de se séparer, surtout s'il meurt faute de ration pour le réanimer.

Accourant à votre sifflet, à condition d'être à bonne distance, pouvant être mené par la bride, chargé du matériel et des armes que vous ne pouvez pas porter dans les sacs de ses selles, acceptant les carcasses, les peaux et votre sac de couchage sur son dos, gardant votre chapeau si vous l'avez perdu, il doit être choyé pour que son potentiel décolle. Vous devez le nourrir, le caresser, le brosser mais aussi le rassurer à proximité d'un danger ou lui demander de fuir au bon moment pour que la confiance se renforce - autorisant de nouvelles manoeuvres - autant que son endurance,sa rapidité et sa santé. Histoire de bien imprimer son singularité, vous avez le loisir de le nommer et, moyennant finances, de changer tout ce qui le concerne, de la crinière et la queue au pommeau de la selle jusqu'à la couleur des sacoches, avec parfois quelques bonus appréciables. Ce genre d'attention, quelqu'un d'autre y a droit, bien sûr.

Le nouveau western

On en revient tout naturellement au héros. Lui qui peut interagir avec tant de gens et de choses, ramasser à peu près tout qu'il veut se montre également du genre personnalisable. Sachez d'abord que ses cheveux et sa barbe poussent. Bien. Un tour devant le miroir du camp ou de préférence chez un barbier, et si vous voulez une petite raie au milieu avec moustache raffinée ou un crâne ras accompagné d'une barbe de ZZ Top, à vous de voir. On évoquait plus haut la saleté des fringues en temps réel, capable de lui jouer des tours. Vous pouvez déterminer chaque élément vestimentaire du couvre-chef aux éperons, si vos bottes les permettent - et vos fonds, of course. Bien sûr, les tenues toutes faites existent et se montrent assez pratiques si vous n'êtes pas trop branché habits et accessoires de mode ou que vous souhaitez disposer de quelque chose de bien adapté à votre climat. Oui, une chemise aux manches retroussées sous la neige, il faut éviter sous peine de sanction physique très sensible.

Et c'est là qu'on aborde une gestion approfondie, tutoyant le domaine de la simulation. Grossir ou maigrir suivant le régime alimentaire, c'est cosmétique. Mais le besoin de se sustenter, de se reposer régulièrement pour recharger sa vie, son énergie et son Sang-Froid (bullet time à enclencher pour simplifier les gunfights), c'est vital. Faire évoluer ces jauges avec la pratique et l'expérience, ou on ne sait quelle potion magique, indispensable. Profiter d'un feu de camp réparateur pour faire cuire son gibier, avec des herbes qui peuvent conférer quelque effet bienfaisant, appréciable. Y fabriquer des munitions spécifiques ou armes comme des bouteilles enflammées, sympathique. En parlant d'armes, tout aussi customisables chez les spécialistes locaux et qu'on peut reluquer dans tous les sens pour admirer les détails qui tuent, il ne faut pas oublier qu'elles s'encrassent, perdent en efficacité. Les entretenir à l'aide d'une certaine huile (un coup sur le stick droit sur celle que l'on vise dans le menu radial) paraît vite obligatoire. Et retient votre attention de manière divertissante. Notez enfin que tout ce dont nous parlons, nécessite de l'argent. La monnaie transportée par les cadavres encore fumants à vos pieds, il faudra la chercher et regarder Morgan retourner le corps et fouiller les poches. Tout comme vous l'admirerez dépecer, de façon assez crue, les animaux abattus.

La camp des partisans

Outre la campagne principale parfois éparpillée sur différents points d'intérêts qui finissent par se rejoindre, il y a des tonnes de missions secondaires que vous pouvez honorer, en particulier dans le campement où est réunie l'intégralité du gang. Tout le monde y respecte des horaires, fait son boulot, vous salue, vous titille... Et vous demande, en plus de services personnels qui peuvent rapporter gros, de faire votre part pour le bien de la communauté. Il convient d'aider à ce que les caisses de dollars, les vivres et les munitions demeurent en quantité raisonnable, de vider votre bourse ou donner les objets de valeur, de faire des achats via le cahier des charges ou d'amener à Pearson, le cuistot, vos viandes pour que tout le monde ait le ventre plein, les munitions issues d'achat ou d'artisanat, et les peaux qui serviront à améliorer le confort général.

Tous les moyens sont bons en vue de prospérer. Et vu la quantité astronomique de gagne-pain proposée, on imagine que tout le monde y trouvera son compte. Pour le côté soft et presque légal, vous avez les jeux d'argent amusants comme les dominos, le poker ou le jeu du couteau, la traque d'autres bandits à ramener aux autorités, l'aide apportée à l'usurier. La chasse occupe une place à part car elle nécessite une grande application. Ramener un gibier, c'est bien. Ramener un gibier de qualité, en bon état, et frais, c'est encore mieux. Déjà, si on zigouille sans réfléchir, bof. Il faut pister à l'aide de l'Oeil de Lynx (pression sur les deux sticks), une vue instinctive qui met en surbrillance tout un tas de choses dont les pistes des animaux à suivre. Une fois la bête aperçue et paisible - tant qu'elle ne sent pas votre odeur nauséabonde -, ne surtout pas éveiller les soupçons. Rester à bonne distance et, avec un projectile adapté, viser là où ça tue vite et sans traces. Les peaux en bon état valent plus cher. Celles qui restent immaculées peuvent aider au crafting ou, chez le trappeur, dans ce cas ce sont des animaux légendaires qui ont douillé, récupérer des habits très spéciaux.

J'ai toujours rêvé d'être un gangster

Alors oui, on ne peut pas vivre dans les clous en permanence. D'ailleurs, c'est presque impossible étant donné que votre peau aussi vaut cher et qu'on vous le fait comprendre fréquemment. Alors, quand un choix très personnel s'impose d'accomplir ou non quelque chose qui peut vous gêner, l'écran se fige alors quelques instants, autant ne pas se priver, si ? Vos compadres et certaines connaissances requerront souvent votre soutien pour cambrioler une maison ou un magasin discrètement quand tout le monde dort, braquer un train ou une diligence le bandana sur le visage (pour que les recherches soient moins efficaces), avant d'amener les butins à des receleurs.

Ce qui tombe assez bien, c'est que pour toutes les activités rémunérées - ou simplement récréatives - de type musclé, la prise en mains suit. Envie de vous faire un camp furtivement ? Votre discrétion se montre très bien gérée. Un échange de balles dans les collines ? Que vous évoluiez en caméra TPS ou FPS (vous pouvez changer à tout moment, et même opter à 100% pour la vue subjective, laissant en plus observer les objets à portée sous toutes les coutures), l'ensemble des commandes répond au doigt et à l'oeil. On se met à couvert facilement, les armes répondent impeccablement. Mais gare à un rechargement à gérer plus stratégiquement et un recul assez prononcé suivant que empoignez fusil, carabine, pompe, revolver ou pistolet, voire deux guns en même temps. Attention aussi à ne pas laisser vos accompagnateurs seuls trop longtemps, sinon retour au checkpoint. Le Sang-Froid dans ses niveaux avancés (avec révélation des points critiques et tir sans discontinuer durant la stase) se révèle plus que satisfaisant. Et quand un tir mérite un ralenti bien violent à la Max Payne, sur des ennemis qui ne sont pas toujours manchots, on se sent définitivement dans la peau d'un gunslinger. Même délectation pour les corps-à-corps qui évoquent ceux d'un Uncharted par leur dynamisme, les courses-poursuites où le pilotage s'abandonne sans peine pour que l'on continue à vider ses chargeurs, ou quelques autres acrobaties, manipulations de gatling, pilotages de carrioles et autres engins... Et ceux qui pensent qu'en 1899 il est difficile de verser dans les affrontements épiques ou à grande échelle risquent de voir les choses différemment. Tout, mais alors absolument tout côté gameplay se montre simple et funky, donne envie de rester dans ce monde à galoper jusqu'à tomber de sommeil. Dès que quelque chose est possible, on ne se trouve guère désappointé par la façon dont fonctionne sa mécanique.

Un monde parfait

C'est peu de dire qu'avec toutes ses activités plus ou moins douloureuses (les spectacles ou la photographie, par exemple, calmeront les esprits), ses défis en nombre, ses objets à collectionner et ses prémices de secrets perceptibles à certains endroits, Red Dead Redemption II renferme de quoi s'amuser pendant longtemps - Et Red Dead Online n'a pas encore été dévoilé... Ses bases de gameplay et son contenu solides suffisent déjà largement. Mais Rockstar étant Rockstar, et ayant mobilisé plusieurs milliers de personnes sur le projet pendant des années, cela ne pouvait pas "suffire". Alors je ne vais pas tourner autour du pot : il s'agit du jeu d'action-aventure en monde ouvert le plus beau et le plus vivant qu'il m'ait été donné de voir. Il faut avoir vécu ces levers de soleil où un envol de piafs au bord d'un cours d'eau vous distrait tout autant que le passages de petits lièvres ou d'écureuils se faufilant sur la route ; ces cavalcades où l'on distingue furtivement des cerfs lever la tête et fuir à toutes jambes en entendant les sabots de votre monture résonner à quelques dizaines de mètres ; ces conduites de trains accompagnées par des bisons, ces balades pédestres dans des villages boueux ou poussiéreux, des champs de tabacs, des collines meurtries, des bayous inquiétants ou encore d'écrasantes vallées rocheuses sous un ciel étoilé.

Il faut avoir contemplé les rayons du soleil ou de la lune danser à travers les arbres, caresser la végétation et les habitations des plus modestes et rustiques aux plus imposantes, avoir regardé plusieurs minutes durant la formation des nuages et contemplé un orage, avoir été au fond d'une mine mal éclairée où l'on se sent presque étouffé. Il faut avoir été comme percuté par le traitement si parfait des couleurs, la variété et le faste apparent depuis un sommet enneigé où le contrebas d'une cascade. Il faut avoir été saisi par cette sensation d'immensité et de révérence face un travail titanesque de représentation de multiples régions parfaitement distinctes, où l'on trouve également des intérieurs qui ne donnent jamais l'impression d'avoir visité deux fois la même maison, la même boutique, le même saloon. Comme si le moindre brin d'herbe, la moindre planche, le moindre rocher était aussi unique qu'une arme confectionnée par vos soins. Comme si toutes les animations étaient contextualisées - désolé, ce n'est pas le cas. Dans une aire de jeu immense - plus encore que celle de GTA V - et qui n'accuse aucun chargement en dehors des voyages rapides, et se contente de ramer (sur PS4 Pro) dans sa plus grande agglomération, cela impressionne, forcément.

C'est un jeu, il était number one

Tout aussi fascinant, on peut profiter de l'expérience à sa manière en ajustant tout un tas d'options, notamment en ce qui concerne l'affichage, les aides et les HUD, et une petite astuce qui rend les longs trajets plus digestes. Combien de fois a-t-on pu pester que les jeux Rockstar, toujours bavards mais entièrement en anglais, nous obligeaient à suivre la route en même temps que les sous-titres de dialogues souvent informatifs et hilarants, sans solution ? Cette fois, la Vue Cinéma permet de ne pas perdre une miette. Alors que vous suivez votre route, une pression longue sur le pavé tactile orne votre voyage de points de caméras fixes très ciné, qui permettent à nouveau à la réalisation de frimer, et vous laisse... les mains quasi-libres ! Maintenant, vous pouvez tout suivre. Bon, quelques ratés ont pu s'inviter durant notre partie, le pathfinding ayant parfois galéré, faisant cavaler vers l'opposé de l'objectif ou un arbre très dur et mal encaissé.

Le langage cinématographique - même si vu la durée de la simple histoire principale, on se rapproche davantage d'une série étalée sur plusieurs saisons - et son usage ont toujours été très soignés par la société new-yorkaise. Red Dead Redemption II ne déroge pas. Et fait même écarquiller les yeux lorsque des missions semblent s'enchaîner tout naturellement ou qu'on constate que certaines décisions ont bien un impact. Tout comme ils ne se privent pas d'aborder des thèmes sensibles de l'époque et pourtant dramatiquement actuels (les vrais voleurs aux manettes, la maltraitance systématique des femmes, le racisme encore trop facilement toléré, l'injustice réservée aux indiens d'Amérique, l'oubli des vétérans...) et de peupler les rues de paumés et de fantômes humains salement contemporains, les scénaristes et metteurs en scène ont pu s'en donner à coeur-joie pour qu'on se croie dans un véritable western. Qu'on ait cette impression d'être au carrefour où se croisent La Horde Sauvage, La Rivière Rouge, The Salvation, Les Professionnels, Hostiles, et autres Django Unchained. À grands renforts de saynètes aiguisées, de missions qui hoquettent sans prévenir, tantôt drôles, tantôt poignantes, le jeu se présente comme l'oeuvre la plus complète et la plus réussie de Rockstar sur le plan narratif. Tout en raccrochant les wagons avec Red Dead Redemption premier du nom de façon formidable et sans que l'on se sente dans un exercice de préquelle maladroite. En réalité, RDR II donne encore plus de force et de sens au jeu de 2010, à la quête de Marston et à son final coup de poing. Chapeau bas.

Viens voir les comédiens

Aussi vrai que le sound design, les chansons et les compositions de Woody Jackson - qui savent habiller comme il se doit l'action ou le calme, la solitude ou la fureur, le tumulte ou la tension - donnent une épaisseur confortable à un ensemble déjà inattaquable artistiquement, il ne faudra pas oublier que l'immersion doit aussi à sa galerie de personnages. En plus de se révéler beaux et expressifs à l'écran, laissant plus d'une fois échapper des répliques intéressantes, ils sont incarnés avec une passion débordante. Qu'elles soient de passage ou plus importantes, agaçantes, charmantes, attendrissantes ou inquiétantes, certaines figures se graveront instantanément dans votre mémoire par une attitude, une remarque ou un destin. Vous aurez votre lot de cinglés, de laissés pour compte, de désespérés, de puissants, de tyrans, de rebelles. Vous aviez peur d'un Arthur trop fade ? Encore une fois, n'ayez crainte. D'une bande sans caractère ? Prenez le temps de leur parler, de partager. De PNJ déjà vus ? Qu'il n'y ait rien ni personne pour effacer les souvenirs de Bonnie McFarlane ou de Seth, qu'il n'y ait pas un "antagoniste" à la hauteur ? Même les amourettes sont traitées comme il faut en fonction du contexte et des états d'esprit. Au final, on n'a peut-être pas un seul récit, très bien écrit, raconté et mis en scène, rythmé avec astuce jusqu'au "bout". Mais un joli petit tas.

Tout le casting, jusqu'au plus petit rôle, mérite des applaudissements à la fin de la représentation. Rendons hommage à Benjamin Byron Davis qui donne les intonations parfaites d'un chef de gang magnétique en proie au doute à un Dutch Van Der Linde bien plus présent et, forcément, développé que dans l'original. Et qui en impose tout au long de l'aventure. Soulignons aussi avec déférence les interprétations de Rob Wiethtoff et Cali Elizabeth Moore, John et Abigail. Bien entendu, n'oublions pas Roger Clark, formidable en Arthur Morgan, et, en prix spécial du jury, Alex McKenna qui offre son timbre particulier à la très sauvage Sadie Adler dont, j'en suis sûr, beaucoup d'entre vous tomberont irrémédiablement amoureux et qui mériterait bien sa propre aventure...


Le point technique

Comme nous l'avons écrit plus haut, c'est sur PS4 Pro que la grande majorité du test a été effectuée. Une version propre, instable à certains moments précis où la densité de population et la richesse des architectures sont les plus importantes, mais globalement assez folle tout de même, et faisant turbiner la console à plein régime sonore. Nous aurons probablement la version Xbox One et la feront tourner sur Xbox One X très prochainement. En attendant, nous pouvons vous parler de Madame Felipe des performances sur PS4 "standard". Figurez-vous que si l'optimisation pour console haut de gamme crève les yeux, elles sont plus qu'honorables. Bien que la baisse de densité de végétation se ressente, que l'aliasing gangrène nombre de contours, de cheveux et de poils en particulier, que les brumes soient moins marquées, que les killcams aient un grain assez dérangeant et que cela rame beaucoup plus là où on s'y attend, cela reste suffisamment impressionnant pour que l'on puisse dire, comme pour un God of War, qu'on ne se sentira pas lésé.