Le plus intéressant dans un jeu de construction, c'est d'avoir une poignée d'éléments à sa disposition, et d'imaginer ce que l'on va bâtir avec. Certains trouveront une idée illico, d'autres auront besoin de quelques exemples pour s'en inspirer. Voilà exactement l'approche suivie par Super Mario Maker, qui débute par une simple démonstration aux airs prononcés de Super Mario Bros., avant qu'un premier twist ne vienne chaleureusement souligner qu'ici, chacun fait ce qu'il lui plait ! Ou plus exactement, que c'est à nous de créer les niveaux, puisqu'il ne s'agit pas à proprement parler d'un nouvel épisode de la série. Autrement dit, Super Mario Maker ne comporte pas de traditionnelle campagne à parcourir en solo (et encore moins à plusieurs). Le mode "défi des 10 Mario" permet certes d'enchaîner huit stages, présentés sur une sorte de carte comme un monde classique, mais ces modèles préconstruits ne visent qu'à en illustrer les différentes possibilités, bien plus nombreuses qu'il n'y paraît a priori.

La plomberie pour les nuls

Au départ, il faut en effet se contenter d'une douzaine d'objets, de la brique au Koopa en passant par le tuyau. Pas question néanmoins d'y glisser tout de suite une éventuelle Warp-Zone, car certaines fonctions ne sont pas non plus disponibles initialement. Des éléments supplémentaires viennent ainsi s'ajouter au fil des jours, dès lors que l'on consacre quelques minutes à la construction, une méthode didactique très progressive, et judicieusement pensée. Déjà, cela aide à apprivoiser l'interface en douceur. L'espace est divisé en cases dans lesquelles on (dé)place les éléments sélectionnés, d'un simple coup de stylet. Ensuite, les composants décoratifs apparaissent automatiquement pendant que l'on trace les plateformes jusqu'au point d'arrivée, repositionnable librement. Et il suffit d'insérer une pièce dans un bloc pour la transformer en tirelire, puis de passer en mode jeu afin de tester son niveau, la transition s'effectuant instantanément. Difficile d'imaginer plus intuitif, a fortiori grâce au GamePad !

Made in GamePad

Ce dernier constitue le parfait outil pour Super Mario Maker, sans même avoir besoin du téléviseur en complément. D'autant que son micro est également exploité par la sonothèque, afin d'enregistrer une brève séquence audio. Cette truculente boîte à bruits renferme divers sons et autres morceaux de musique accompagnés de petites animations qui se déclenchent au contact de Mario. Et ce n'est pas la seule touche de fraîcheur apportée par Super Mario Maker. Titiller un élément en modifie souvent les caractéristiques, de sorte qu'une plateforme devienne mobile ou qu'une plante carnivore se mette à cracher des flammes. De plus, les combiner entre eux engendre parfois des interactions inattendues, telles qu'un lance-missile à tête chercheuse rebondissant sur un bloc-note. Ces découvertes rendent l'expérience amusante, et rapidement passionnante. On ne tarde pas à réaliser des niveaux intéressants rien qu'avec les éléments de bases, alors évidemment, les perspectives s'étendent de façon exponentielle à mesure que le nombre d'ustensiles augmente.

Bonus Stages

Les piocher dans quatre opus distincts - en l'occurrence Super Mario Bros., Super Mario Bros. 3, Super Mario World et New Super Mario Bros. U - supposait toutefois des évolutions non négligeables. Chacun dispose de six thèmes, parmi lesquels la forteresse et le manoir hanté, dont il a naturellement fallu recréer les environnements visuels et sonores pour ceux où ils n'existaient pas à l'origine. En sus, le passage d'un univers à l'autre durant la phase de création, là encore immédiat, a requis de petits ajustement pour uniformiser le gameplay. Tous conservent pourtant quelques particularités, qu'il s'agisse de paramètres physiques comme le triple saut réservé au cru U ou de certains power-ups, avec un choix globalement réduit à l'essentiel par souci d'harmonisation. Ainsi seul Super Mario Bros. a droit au champignon "?", qui déguise notre héros en une myriade de personnages Nintendo, éventuellement déverrouillés via les amiibo. Le Super Champignon, exclusif à l'amiibo Mario Anniversaire, joue encore davantage sur le fan service, avec son plombier géant et ses ennemis moustachus, même si l'usage de la carapace en guise de casque se révèle nettement plus audacieux en matière de level design.

Lost Levels design

Cependant, Super Mario Maker a des limites. Tout d'abord les dimensions des stages semblent un tantinet restreintes, notamment en hauteur, malgré le renfort de zones secondaires et leur regroupement en mondes. En outre il est impossible de dessiner ses propres objets, les raccords et autres retouches graphiques automatisées entravant carrément les velléités de décoration, un comble pour cet héritier spirituel de Mario Paint. Justement, son mode de construction se veut très carré, dans tous les sens du terme, ce qui s'applique autant à la disposition des éléments qu'au contrôle sur ces derniers. Si d'autres "game makers" - appelons un Mario Chat un chat - laissent triturer les pixels et définir les principes de gameplay, Super Mario Maker reste strictement dans les lignes de son quadrillage en 2D, tandis que les ennemis suivent toujours les mêmes routines d'IA. Il en résulte un certain manque de liberté, mais cela sert aussi à s'affranchir des manipulations millimétrées qu'impose un level design rigoureux, ou du désordre suscité le cas échéant. En somme, la fluidité du processus de création de Super Mario Maker est à ce prix.

MarioWare

Tous ceux qui se sont déjà essayés à cet exercice, pour ne pas dire cet art le savent, les contraintes n'empêchent pas l'émergence de concepts originaux, bien au contraire. Et ils ne s'arrêtent pas au cadre des jeux de plateforme, puisqu'en guise d'exemple, le scrolling automatique associé à la Fleur de Feu et les nuages Lakitu autorisent l'élaboration d'une forme de shoot'em up. De même, les portes tirées d'un certain Super Mario Bros. 2 ouvrent la voie à des structures labyrinthiques, sans oublier les puzzles, speedruns et tant d'autres mécaniques... qu'il appartient à chacun d'inventer, à force de cogitations et d'expérimentations. D'ailleurs l'un des grands accomplissements de Super Mario Maker est de donner aux joueurs l'opportunité de se mettre à la place des développeurs, avec les précieux conseils de la notice si nécessaire. Mais une telle accessibilité doit également se traduire à travers la publication, quasi instantanée, une fois que l'on a soi-même validé la faisabilité du stage, en parvenant à le terminer.

MarioVerse

Bien entendu, il n'y guère d'intérêt à bricoler des niveaux tout seul dans son coin. La vocation de Super Mario Maker se situe donc dans le partage à l'échelle mondiale de ses créations, que les autres joueurs peuvent tester ou télécharger en un clin d'oeil, voire même modifier à l'envi. Sans s'appesantir sur les épineuses questions de droits d'auteur soulevées par ce dernier point, le stage demeurant lié à l'ID du créateur originel, cette dimension communautaire se distingue par sa nature à la fois collaborative et compétitive. Chacun a loisir de participer par le biais de commentaires Miiverse (y compris au sein des niveaux), ainsi que par la distribution d'étoiles et des médailles qui en découlent, précieux sésame pour obtenir le privilège de publier davantage de stages. Car les classements représentent indubitablement la plus importante source de motivation, un aspect toujours crucial tant la pérennité d'un tel univers dépend de la verve de ses contributeurs, et de leur nombre.

Super Mario Cram School

En tout cas, l'ingéniosité souvent prodigieuse déployée pour les stages d'ores et déjà accessibles au moment d'écrire ces lignes est de bon augure. Les 100 vies du mode "Défi des 100 Mario" ne sont pas forcément de trop pour parcourir d'affilée huit niveaux issus des élucubrations de la communauté, quand bien même il s'avère plutôt facile d'en regagner. En plus d'architectures quelquefois alambiquées qui délaissent complètement les considérations esthétiques, les oeuvres mélangent et détournent allègrement les éléments interactifs, en particulier les power-ups, pour un résultat tantôt impressionnant, tantôt rédhibitoire, fatalement. La preuve que le level design demande non seulement du talent, mais aussi de l'optimisation. Par conséquent, tout porte à croire que Nintendo a eu raison de parier sur la créativité, la simplicité de Super Mario Maker encourageant quiconque à l'exprimer. Et on peut compter sur la firme de Kyoto pour continuer à la stimuler, mises à jour à l'appui. De quoi assurer la transmission du savoir faire de notre plombier moustachu, qui en a décidément encore sous le champignon.