Ce n'est pas souvent qu'un développeur cherche à nous imposer de telles sensations dans un jeu vidéo. Après quelques heures de Wasteland 2, RPG post-apocalyptique à la fois sordide et loufoque, le joueur ressentira plusieurs émotions inhabituelles qui l'accompagneront durant les longues heures que proposent le scénario principal - et l'exploration annexe - dans un Arizona et un Los Angeles irradiés. Nommément : de la confusion, du stress, de la panique, de la frustration, du désespoir... Oh, et ici et là, des petites sensations de victoire, surtout si vous recommencez la partie en sachant un peu mieux ce qu'il va se passer.

Work as intended !

Tout cela est le fruit d'une savante alchimie. Les mécanismes d'apparence simples, mais qui semblent cacher des choses, par exemple. Car InXile Entertainment est facétieux sur bien des points, on ne sait jamais trop comment leur jeu fonctionne. Rajoutons à cela de nombreux bugs qui viennent épicer l'expérience : on ne sait plus si les anomalies sont voulues ou non. Y-a-t-il un élément incompris ou le soft déconne-t-il ? Est-ce un secret ou le jeu a-t-il planté ? La quête est censée se dérouler ainsi ou suis-je perdu dans une faille du programme ? J'ai mal compris ? J'ai mal lu ? La paranoïa s'installe insidieusement, ce qui, à vrai dire, colle parfaitement à l'univers de Wasteland 2.

Libre de mourir

D'autant plus que le jeu est difficile. Plus ou moins. Cela dépend du niveau choisi en début de partie (mais que l'on peut changer à tout moment, il est vrai) et de l'équipe que vous avez composé, si elle n'est pas très bien équilibré... il faut savoir couvrir toutes les éventualités. Malgré vos efforts, vous affronterez des paliers de difficulté parfois un peu abrupts, surtout si vous vagabondez dans des régions de plus haut niveau que vous. En effet, malgré l'apparente liberté offerte, le level design est dirigiste : il vaut mieux passer par-là, puis par-là, par-ici et encore par-là. C'est très vrai pour toute la première partie du jeu qui se déroule en Arizona : la carte est savamment divisée par des murs de radiation et il faut suivre l'ordre établi pour mettre à niveau son équipement petit à petit et accéder à la suite du jeu. Néanmoins, certains à-coups sont à déplorer. Le pire étant l'arrivée en Californie, où le jeu s'ouvre plus et où les ennemis sont tous meilleurs que vous. Ne désespérez pas : dans la douleur, vous retrouverez le bon chemin.

Un arsenal à utiliser d'urgence

Malgré les cahots, cette difficulté est la bienvenue, car le joueur est obligé d'utiliser tous les mécanismes mis à sa disposition par InXile. Durant les combats, pensez à rechercher les couvertures, qui offrent des gros bonus de défense et vous aident même à viser. Vous ne perdrez peut-être pas en la jouant bourrin, mais vous allez sacrifier plus de vie et balancer plus de balles dans la nature. Ce qui veut dire utiliser votre argent pour des soins et des munitions au lieu d'économiser pour mieux équiper votre escouade de mercenaires. Vu la quantité de butin, jouer les héros n'est pas toujours rentable et il n'est pas rare d'éviter le combat : soit que l'on s'enfuit devant les rencontres aléatoires (malheureusement sans intérêt d'un bout à l'autre de Wasteland 2, car répétitives et sans "surprises" à la Fallout 2), soit que l'on recherche des solutions pacifiques via la discussion. Dans ce cas, il vaut mieux être au top dans les trois compétences de dialogue : Smart Ass, Hard Ass et Kiss Ass (en gros, "p'tit malin", "teigneux" et "lèche cul"), car les niveaux demandés pour débloquer les options de conversation supplémentaires sont souvent élevés.

Jet d'initiative raté

Ce qui est drôle, c'est que vous n'aurez pas l'occasion de revenir dans une conversation avec le niveau adéquat si vous ne l'avez pas au bon moment. Vous avez initié le dialogue, mais le choix "smart ass" ne vous est pas accessible à ce moment-là ? C'est perdu pour de bon ! Wasteland 2 regorge d'éléments "définitifs" de cette trempe. Lorsque vous débarquez quelque part, il vaut mieux agir sur les événements en cours, sinon il se dérouleront sans vous, comme si vous n'aviez rien fait. Certain ont même un temps d'action extrêmement limité ! Jamais rien de vital au scénario principal, bien entendu, mais si vous voulez être un chevalier servant, vous avez tout intérêt à agir vite et bien. Ces situations rajoutent une grosse couche de stress et vous poussent constamment en avant. Le jeu à beau être au tour par tour, on se sent vraiment précipité vers le danger pour être sûr de ne pas être en retard quelque part. On est loin des RPG calmes où l'on optimise à fond avant d'affronter le moindre problème. Et c'est bien mieux ainsi, malgré les erreurs.

Bonnet sanglant et sanglant bonnet

Sous pression, les choix moraux n'en deviennent que plus difficiles. Là aussi, la confusion règne en maître : on est très loin de la simplicité rouge et bleu d'un titre à la Bioware. Toutes les factions rencontrées, tous les rassemblements d'humains... tous tarés. On ne sait plus vraiment qui sont les plus fous, qui sont les plus compétents, qui sont les moins violents. On finit par se ranger d'un côté ou de l'autre en priant seulement pour ne pas faire trop de dégâts au passage. Il faut bien s'accorder avec les uns ou les autres pour faire avancer la mission, même si l'envie de buter tout le monde se fait souvent sentir (et c'est d'ailleurs possible si vous le souhaitez). Rassurez-vous, vous aurez tout de même l'occasion de faire le bien de temps en temps. Enfin, je crois.

Lost in déconnade

Cet univers sinistre, InXile le contrebalance avec beaucoup d'humour. Trop parfois : on est vraiment dans l'absurde, les private jokes et les références que l'on trouvait dans Fallout 2 (moins dans Fallout 1, plus sombre). Mais quand on trouve des autels en hommage à la Vectrex, on se demande un peu si ça ne va pas trop loin. Heureusement, les débordements restent discrets : la plupart du fun vient des situations loufoques, des dialogues géniaux, et personnages complètements barrés... A vrai dire, votre équipe de quatre Rangers fabriquée sur mesure manquent cruellement de personnalité dans ce monde où ceux qui ne brillent pas d'une façon ou d'une autre crèvent rapidement. On s'attache plus au trois compagnons qui pourront suivre vos aventures (au choix sur un total assez conséquent) qu'à ses propres perso !

Un monde moins moche ?

Bon gré mal gré, vous allez façonner l'ouest américain post-apo et laisser votre empreinte dans l'histoire en défaisant (ou en vous alliant avec, qui sait) le vilain Matthias et sa troupe d'humains "synthétisés". Le scénario vaut ce qu'il vaut. C'est quasiment un reboot de Wasteland premier du nom. Mais comme dans de nombreux RPG occidentaux, c'est l'aventure qui fait tout le sel de ce jeu et pas forcément le dénouement. On aurait tout de même aimé quelques situations un peu plus subtiles, plutôt qu'un recours quasi-systématique aux cultes les plus étranges. Mais je vous laisse découvrir tout cela par vous même, bien entendu. D'ailleurs, vous aurez probablement une expérience différente de la mienne : InXile a tout fait pour couvrir le maximum d'embranchements pour répondre à votre vision de la justice.

Morne plaine

Côté réalisation, et en mettant les bugs de côté, on ne peut pas dire qu'Unity fasse des miracles. On est vraiment dans la moyenne graphique, à part quelques jolis effets d'armes et des animations de mort sympathiques. Les décors ne sont pas très variés et aucun ne sort vraiment du lot pour nous béer la bouche. Le plus gros problème graphique venant de la modélisation laide des personnages. Toute la customisation à base de fringues rigolotes en pâtit sérieusement. Dommage... Au moins l'interface se montre assez pratique (quand elle ne bugge pas), ce qui est une sérieuse évolution par rapport à un vieux Fallout. D'une manière générale, on sent bien que les moyens étaient un peu limités malgré la réussite du Kickstarter, que ce soit dans les musiques peu nombreuses, les voix pas toujours terribles, etc. C'est pas si grave, on fait avec, on compense ailleurs...

Wasteland 2 a vraiment tout d'un RPG old School comme on voulait en retrouver : des mécanismes pas très clairs, des combats pas trop complexes mais bien tactiques, des heures de dialogues intéressants, des choix moraux à fendre l'âme et une progression des personnages satisfaisante. Il est même oldschool dans ses bugs (j'en ai un qui donne de l'XP infini). Mais InXile sait aussi être moderne et couillu dans certains mécanismes : avec ses événements en temps limités, par exemple. Le rythme parfois imposé par le jeu créé une atmosphère d'urgence qui colle parfaitement au scénario et à l'univers, où tout semble pouvoir exploser d'une minute à l'autre. Une expérience à peaufiner, et les patchs ont intérêt à vite tomber, mais une expérience hors du commun à notre époque : le RPG a fait un pas en avant.