Ah, la magie... Vectrice de Chaos depuis la nuit des temps. L'humanité rêve toujours de puissances lui permettant de s'échapper des règles de l'univers, mais comme d'habitude, il vaut mieux être du côté des puissants quand cela arrive. Dans les mondes fantastiques, la piétaille est là pour souffrir, sinon qui les héros sauveraient-ils ? Dans Divinity Original Sin, vous jouez deux troufions traqueurs de Source, la magie interdite, en mission dans un coin particulièrement agité de Rivellon. Mais votre enquête sur un meurtre, et vos déboires avec une invasion de morts-vivants, prennent vite un tournant pour le moins spectaculaire lorsqu'une étrange pierre vous téléporte dans une ruine flottant dans l'espace à la fin des temps. Pas de restaurant pour dîner en admirant la vue du Néant dévorant ce qu'il reste la réalité, mais un diablotin nommé Zigzax qui va vous briefer sur votre rôle dans tout cela. De toute évidence, le duo humain que vous formez cache des entités beaucoup plus puissantes.

RPG balisé

Qui êtes vous réellement ? Vous le découvrirez en gagnant en puissance tout du long du complexe scénario qui vous attend. Pas besoin d'être un immense fan de la série des Divinity pour comprendre le monde qui vous entoure, même si de nombreuses références feront plaisir aux joueurs assidus des jeux Larian, Dragon Commander (qui ne nous avait pas trop convaincu) compris. A vrai dire, je n'ai pas encore terminé la campagne principale qui offre une bonne durée de vie, mais sa construction est définitivement intéressante : il existe des quêtes secondaires, mais elles sont souvent liées d'une manière ou d'une autre à la trame principale. De nombreux combats vous attendent, et autant de dialogues, mais l'aventure reste tout de même assez dirigiste. Les débuts sont d'ailleurs assez difficiles, le temps que vous preniez vos marques et compreniez comment les zones sont divisées avec des rencontres qui progressent régulièrement en niveaux. Depuis la ville portuaire de Cyseal, vous partirez donc d'abord vers le Nord-Ouest si vous voulez de l'action, toute autre direction étant mortelle. Vous apprendrez petit à petit à trouver la bonne voie pour nettoyer une zone, découvrant ici et là des lieux et des personnages spéciaux.

Il était, une fois...

Bien entendu, l'humour des belges de Larian est bien présent dans cet opus, où l'on croise des lapins se faisant courser par des bonshommes de neige pour vol de carotte, où tous les animaux, et même les objets, parlent, et où les prostituées vous racontent de jolies histoires au coin du feu. Le jeu multiplie les clins d'oeil et les références, ou même les petits détails idiots qui font plaisir. Un sacré bazar qui pourtant ne devient jamais trop lourdingue ! En revanche, ce joyeux environnement reste un peu figé. On regrette très rapidement que Larian n'ait pas pu finir la dernière étape de son Kickstarter, qui promettait un cycle jour/nuit, une météo changeante et un agenda pour chaque personnage... on aurait alors obtenu un des meilleurs RPG de ces dernières années.

On ne choisit pas ses amis

Autre problème : on ne trouve que deux compagnons PNJ (Personnages Non Joueur) pour compléter le groupe de quatre, indispensable à la progression. OK, les forces sont au complet, mais on ne peut pas choisir la classe de ces deux larrons : l'un étant une guerrière ex-Traqueuse de Source un brin parano, l'autre un magicien chasseur de démon et quelque peu misanthrope. Ils sont intéressants, mais finalement assez peu développés, et ils peuvent se montrer redondants si vous-même choisissez des classes similaires. Heureusement, on peut contourner le problème en développant les personnages pour les rendre plus complémentaires sur la durée. Il existe cinq types de magie, donc avec deux magiciens, vous aurez de quoi faire ! Il n'est pas idiot de refiler une magie à un des combattants physiques non plus, Divinity ne manque pas de solutions pour créer un bon Battlemage.

Je level donc je suis

En cela, les mécanismes RPG tactiques mis au points par Larian sont particulièrement brillants : l'hyper spécialisation a ses avantages, mais un touche à tout sera tout aussi efficace ! Pour une fois, les statistiques des persos ont un impact vraiment important sur le gameplay, et les compétences ne font pas tout le boulot, puisqu'elles servent surtout à vous ouvrir des possibilités tactiques en vous fournissant une plus grande variété d'attaques spéciales (qu'il faut acheter ou se procurer). Un système simple et efficace, avec comme contrecoup une montée en puissance assez timide. Même si vos persos s'améliorent réellement, chaque passage de niveau frustre un peu le joueur par son manque de vraies nouveautés. On ne ressent qu'un net gain aux paliers 4, 7, 10, 13, 16, etc., quand le niveau débloque l'accès à de nouvelles attaques.

Tomate + marteau

Cela dit, en termes de frustration, ce n'est rien comparé à la gestion de l'inventaire et de l'artisanat, qui consiste à trouver des combinaisons d'objets parfois aussi illogiques que dans le pire des pires jeu d'aventure point&click. Je comprends bien la vision de Larian, et l'idée d'expérimentation est assez fun, mais l'interface se montre bien trop fastidieuse en l'état pour que cet aspect du gameplay reste amusant sur la longueur. Par ailleurs, de nombreux autres facettes de l'interface manquent largement d'amour de la part des devs (les échanges entre inventaires, les barres de raccourcis, la liste des portails de transport...), ce qui rend toute l'administration du groupe hors combat particulièrement fatigante.

Tempête élémentaire

Du coup, on a tendance à passer vite fait sur l'optimisation de l'équipement pour retourner dans l'action au plut tôt, parce que là, en revanche, c'est bien fun. Larian a décidé de jouer avec les éléments et le décor, et cela marche plutôt bien ! Les combos les plus connus et efficaces impliquent des nuages de gaz empoisonné hautement explosifs et des sorts de pyromancie, mais Divinity Original Sin offre de nombreuses subtilités dans le massacre de morts-vivants, goblins, orcs, fanatiques et autres trolls. Saviez-vous que les flaques de sang sont de bons conducteurs ? L'électrocution est d'ailleurs l'un des "dégâts ami" le plus fréquent dans le feu de l'action. Et en parlant de feu, pourquoi ne pas téléporter le frêle mage en plein milieu de la mêlée pour qu'il utilise sa capacité d'auto-explosion ? A moins que la fumée ne dérange vos combattants à distance, qui ne pourront plus voir les cibles ? Il se passe toujours un truc imprévu (ou oublié) sur un champ de bataille Divinity. Vapeur, pluie, feu, glace, poison, fumée, éclairs... Le terrain en devient parfois presque illisible, mais c'est agréable de devoir réagir à autant de paramètres. L'IA s'en sort assez bien aussi, même si on peut exploiter quelques comportements prévisibles (les ennemis préféreront passer un tour que de se risquer sur une surface dangereuse, par exemple).

Âmes soeurs ou ennemies ?

Entre deux massacres, on fait un peu de roleplay. Pour chaque quête, même si son dénouement reste très rigide, vous aurez diverses options de dialogue, et différentes manières de régler les conflits. Vos deux héros peuvent investir dans la compétence « charisme » pour être plus convaincants, mais le mieux reste de savoir choisir quelle méthode utiliser sur quelle personne, entre le charme, l'intimidation ou le raisonnement. Vous aurez alors un net avantage dans le mini jeu de "pierre, feuille, ciseau" qui sert à déterminer le gagnant de la joute verbale. Un mini-jeu répétitif, mais que l'on peut passer automatiquement au besoin.

Les Traqueurs de Source discutent aussi entre eux, et chaque décision doit être prise avec l'accord des deux parties, sinon cela donne lieu à un nouveau conflit verbal au sein même du groupe ! En solo, vous serez le plus souvent en accord avec vous même, à moins que vous ne vouliez "jouer" chacun des deux avatars avec une personnalité différente. Il faut d'ailleurs noter que les réponses données définissent des traits de caractères (timide ou téméraire, compatissant ou égoïste, matérialiste ou spirituel, etc.) qui à leur tour offrent divers bonus quand ils sont dominants. C'est rigolo, mais difficile à gérer, donc on ne fait plus trop attention à l'optimisation de ces points au bout d'un moment.

Chacun dans son coin

Mais la campagne se joue aussi en coop'. Un coop très très permissif, même s'il vaut mieux rester groupé pour survivre (sinon ça serait de la compétition !). Si vous pouvez vous organiser avec un ou une partenaire pour jouer à deux, Divinity Original Sin prend une toute nouvelle dimension ! Même si la gestion de l'inventaire est encore plus casse tête... Le ropleplay original promet de très bons moments en ligne, que vos deux persos s'insultent sans arrêt ou qu'ils s'admirent en se donnant de grandes frappes dans le dos ! Le coop' permet aussi une meilleur approche de la furtivité si un des joueurs choisit cette voie (on peut crocheter, fureter et voler à la tire des objets sur les PNJs), car c'est une activité un peu laissée pour compte quand on doit manipuler tout le groupe. Il est toujours possible de séparer chaque membre et contrôler individuellement les faits et geste de chacun, mais c'est beaucoup de travail pour pas grand-chose.

Toujours plus gros, toujours plus gore

Il est vrai que Larian propose, avec Divinity Original Sin, plus de mécanismes qu'il n'en utilise dans sa campagne solo. C'est là que l'éditeur de niveau entre en compte. La communauté va être importante, on le sait déjà, et on peut espérer de nombreux mods à venir (et peut être même des add-ons pour l'artisanat ou l'interface). Des scénarios plus spécifiques feront sûrement leur apparition, pour vous amuser avec toutes les possibilités de Divinity. Mais personnellement, j'espère que ce terreau va nous faire pousser une véritable extension qui apporterait un mode "Maître du Jeu", comme dans Neverwinter Nights. Jamais je n'ai vu un RPG s'approcher autant de ce classique qui n'a jamais été égalé. Jouer en coop, c'est bien, mais si un MJ peut prendre le contrôle total de son scénario pour faire du vrai JdR, ça devient vraiment unique. Et Divinity est à deux doigts de ce genre de gameplay. Je sais que ce n'est pas facile à mettre en place, qu'il faut créer des outils simples et compréhensibles pour ne pas surcharger le travail déjà lourd d'un MJ. Je sais que la cible d'un tel boulot est limitée. Mais c'est aussi comme cela qu'on entre dans la légende ! Que Larian fasse un nouveau kickstarter pour rajouter un mode MJ (et le cycle jour/nuit, la météo et les agendas de PNJ) et je paierai à nouveau ! Eh, même pas sûr que j'aurais le temps d'y jouer, mais je veux juste que ça existe...

Dans l'état, Divinity Original Sin est un très bon RPG, ce qui n'est déjà pas mal ! Ses mécanismes sont intelligents, son univers est joli, plein de charme et d'humour. Le scénario est blindé de secrets et d'à-côtés à découvrir. Et les combats ne sont jamais ennuyeux. A la fois old school et innovant, c'est un titre idéal pour ceux qui veulent se lancer dans le genre, comme pour les habitués, pour peu qu'on supporte quelques défauts qui auraient pu disparaître avec un peu de travail : l'interface à revoir (en mod ou patch ?), les musiques inégales (le compositeur prévu est tombé malade...), des compagnons pas assez substantiels (on nous a promis des améliorations à venir), l'artisanat épuisant, une VF made in Google translate... Que Larian continue de bosser sur Divinity, ou que la communauté s'y colle, c'est tout bénef pour l'avenir du jeu !