Des aquarelles épurées se succèdent sur le papier blanc, maculé de gouttes de peinture, comme celles de la pluie. Depuis sa fenêtre, un garçon aperçoit une fillette, qui disparaît bientôt dans la nuit pour échapper à une terrifiante créature. Il part alors à sa recherche, plongeant ainsi à son tour dans l'obscurité... Telle est l'intrigue de Rain, aussi laconique que les quelques mots qui s'inscrivent de temps à autres sur l'écran afin de raconter cette histoire, chemin faisant. La délicatesse de la narration se traduit également à travers l'environnement sonore. Aux ritournelles d'accordéon, tantôt joyeuses, tantôt inquiétantes, répondent les envolées symphoniques des cordes et les solos de piano mélancoliques. Rain a d'ailleurs l'illustre Clair de Lune de Debussy pour thème récurrent, accompagné par le bruit incessant de la pluie, que seules quelques notes pianotées viennent parfois interrompre pour ponctuer un évènement. Car personne ne parle dans cette ville déserte, aux allures de vieille Europe des années 30. Le garçon est muet, tout comme la fillette. Pourtant, cela ne les empêche pas de transmettre leurs émotions, en dépit de la raideur des animations qu'ils utilisent pour s'exprimer. De même, il émane une indéniable beauté de ces décors ruisselants, fussent-ils sommaires. Nos deux héros sont pour ainsi dire transparents, et ce dans tous les sens du terme.

Monochrome

C'est la pluie qui dessine les contours de leur corps, de sorte qu'ils deviennent invisibles sous un abri. Seuls les nuages de poussière soulevés par leurs pas et les éventuels objets bousculés sur leur passage permettent alors de les localiser, une expérience somme toute assez inhabituelle. Ce principe s'applique aussi aux créatures qui hantent la cité. La plupart errent à l'affût d'une silhouette ou du moindre bruit pour fondre sur leur proie. Et pas question de les affronter directement, les démarches trop hardies menant à une fin brutale, qui condamne à reprendre l'aventure au dernier point de passage (soit quelques secondes plus tôt). En effet, le garçon ne peut que courir, sauter et interagir avec l'environnement. On doit donc se creuser la tête pour avancer, qu'il s'agisse d'attirer les ennemis dans un piège ou de transporter une clef. A chaque lieu ses mécaniques, qui à défaut d'être véritablement neuves - on croirait parfois reconnaître Echochrome - ont le bon goût de ne pas se répéter. En parallèle, la variation des angles de caméra contribue à rythmer la mise en scène. Certains points de vue se veulent contemplatifs, alors que d'autres s'appuient sur les perspectives obliques et le mouvement pour susciter le malaise, voire la peur à l'image de Resident Evil. Bien sûr, le garçon ne tarde pas à retrouver la fillette, engendrant ainsi des dynamiques coopératives.

ICOnique

Là encore, celles-ci ont un air de déjà vu, puisqu'elles consistent en des séquences de courte échelle ou d'entraide à distance. Décidément, il y a tant de choses qui rappellent ICO... Les tons monochromes de cet univers, les systèmes sur lesquels il repose, ou évidemment cette histoire basée sur la relation entre deux personnages unis par un même destin mais qui sont incapables de se parler. Rain se résumerait-il à un flot d'idées venues de divers horizons, comme l'hypothétique influence de Yann Tiersen sur les musiques ou du Labyrinthe de Pan sur le scénario semblent le confirmer ? Libre à chacun de se faire son opinion, sachant qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Une fois le récit achevé, on a la possibilité de revivre les différents chapitres, histoire d'en explorer les impasses jadis désespérément vides. Ces lieux qui matérialisaient l'inflexible linéarité du déroulement dévoilent alors des souvenirs, les bribes d'un background non moins mystérieux. Parce que l'essentiel n'est pas toujours dans ce que l'on voit, ou ce que l'on dit. Il réside quelquefois dans l'indicible, de la même manière que Rain nous fait ressentir la solitude du garçon, avant de renforcer doucement les liens qu'il établit avec la fillette, sans qu'un mot ne soit échangé. Encore faut-il se montrer réceptif à cette poésie ludique, porteuse d'un message métaphorique universel. Dès lors, Rain mérite-t-il d'être considéré comme un jeu, ou une oeuvre d'art ? On vous laisse l'interpréter à votre façon, après tout la pluie est synonyme de tristesse pour les uns, et de joie pour les autres...