Les gens n'y comprennent rien

C'est l'un des premiers arguments des détracteurs, celui qui revient peut-être le plus souvent. Si la promesse de la Wii et de sa Wiimote était claire, immédiate, et forte, ce n'est pas la cas du Wii U Gamepad et de son écran, de ce "gameplay asymétrique" que le grand public ne comprendra pas et qui place le marketing de Nintendo dans l'embarras. Certes ! Mais c'est oublier un peu vite que la DS aussi proposait deux écrans dont un tactile. Les gens ont-ils eu besoin de tout comprendre des possibilités offertes par la DS pour l'acheter ? Certainement pas. N'oublions pas ainsi que la DS aussi, en son temps, a fait l'objet de préoccupations similaires ; Iwata lui-même ne semblait pas bien sûr de son fait à l'époque. Et pourtant, personne ne saurait remettre en cause aujourd'hui son immense succès. Car, et c'est un argument qui risque de revenir plusieurs fois dans cet article, le core gamer est bien loin aujourd'hui de représenter l'essentiel du marché auquel s'adresse Nintendo depuis longtemps désormais (n'en déplaise à certains de ses discours visant à les brosser dans le sens du poil). Les enfants, par exemple, pigeront à la vitesse de la lumière de quoi il s'agit et pourquoi c'est amusant, différent, intéressant. Chacun sait qu'ils seront auprès de leurs parents et de leur entourage adulte les meilleurs des VRP, consacrant des efforts considérables pour convaincre, avec plus d'énergie, de ressources, et de pouvoir que la meilleure des campagnes marketing. Et, quoi qu'on en dise, les plus jeunes continuent de constituer un des coeurs de cible de Nintendo et de ses jeux. Pareillement, les parents auxquels les enfants montreront le Miiverse y verront une communauté à laquelle il feront forcément plus confiance que celles existant par ailleurs dans le monde du jeu, qui laissent la porte ouverte à cet esprit trollesque nauséabond, qui dérive si souvent vers les insultes et l'irrespect, à l'image des forums internet et des chatrooms de FPS multijoueurs.

Il n'y a pas de jeux forts au lancement

Encore un argument qui paraît censé de prime abord. En tout cas, pour les joueurs que nous sommes, adultes, conscients, gérant nos budgets. Mais encore aussi un argument qui ne tient pas beaucoup la route lorsqu'il s'agit de prédire l'échec d'une machine. La PS2, lorsqu'elle est sortie, n'avait pas un line-up aussi varié et représentatif que celui de la Wii U aujourd'hui : elle a tout de même cartonné. Le marché a changé, les joueurs sont plus éduqués, la compétition plus rude ? Tout à fait exact. Mais Nintendo ne lance pas la Wii U pour un jour ou une semaine. Les titres véritablement forts arriveront, comme ce fut le cas pour la 3DS qui s'est envolée tardivement à la faveur de ces sorties et d'une baisse de prix, et même les core gamers qui se tiennent à juste titre sur la réserve pour le moment savent bien qu'ils risquent de craquer le moment venu lorsque sortiront un superbe Zelda ou un nouveau Mario 3D bourrés du talent indéniable dont sait faire preuve Nintendo sur ses licences. Même si certains le feront en grinçant des dents. Et, encore une fois, ceux-ci se plantent magistralement s'ils sont persuadés que tout le monde pense, consomme, joue comme eux.

Le soutien des éditeurs tiers reste timide

Ah, si l'on excepte des portages de jeux déjà disponibles sur 360 ou PS3 et le soutien indéfectible d'Ubisoft, peut-être. Mais pourquoi faudrait-il les ignorer lorsqu'on considère l'attrait de cette offre d'un point de vue global ? C'est absurde. Sur les presque 100 millions de Wii dans le monde, il y en a minimum 30 millions qui se trouvent dans des foyers n'ayant pas de console HD (la seconde étant la Xbox 360 avec un peu plus de 70 millions d'unités dans le monde). Ceux-là ne pourraient-ils pas être attirés par une offre qui regroupe au moins en partie l'univers familier de Nintendo avec celui d'autres titres disponibles sur des consoles qu'ils ne possèdent pas ? Que le soutien des éditeurs tiers puisse paraître en deçà de son niveau fantasmé (par les core gamers, principalement), certes, après tout on peut toujours faire mieux. Mais même s'il n'y avait pas ce soutien là, n'est-ce pas finalement ce dont on a l'habitude chez Nintendo, depuis des générations, sans pour autant que cela l'empêche de cartonner ? Tout observateur un peu sérieux du marché global sait très bien qu'un seul jeu peut faire le succès d'une console, et qu'il s'agisse d'un Wii Sports n'a rien d'étonnant lorsqu'on parle de la Wii. En d'autres termes, Nintendo est bien capable de se suffire à lui-même pour toucher le grand public ; non pas qu'il n'ait pas besoin du soutien des éditeurs tiers, mais ce dernier n'a pas besoin d'être absolu et indéfectible pour assurer le succès de ses machines, le passé l'a déjà prouvé... ne serait-ce que si on parle de succès économique plus que de parts de marché (c'est à dire de profits pour Nintendo plutôt que de popularité, voir le point suivant).

La Wii U n'est pas rentable

Certes, au contraire de la Wii ou de la DS en son temps, Nintendo ne gagne pas d'argent sur la vente de la Wii U. Mais il en gagne dès lors qu'un jeu est acheté avec. Ce serait bien de ne pas oublier cela, car jusqu'à preuve du contraire, il n'existe pas de console qui soit commercialisée avec un taux d'attachement inférieur à 1. A part les quelques illuminés qui achètent une console juste pour la fourrer au micro-ondes, tout le monde achète au moins un jeu avec : boum ! Nintendo continue donc de gagner de l'argent sur chaque console vendue. En d'autres termes, au contraire de Sony et Microsoft qui ont besoin de taux d'attachement supérieurs pour compenser la vente à perte de leurs machines sur la période suivant leurs lancements (avant que les économies d'échelles et les redesigns industriels et autres coupes de rétrocompatibilité ne leur permettent de revenir dans le positif), Nintendo gagne de l'argent dès le lancement. La domination d'un marché, c'est cool : faire du profit, pour une société, c'est tout aussi bien sinon mieux. Tout ça pour dire que le "succès" est une notion relative, et que même si la Wii U échoue au final à égaler le succès de la Wii, ce qui est tout à fait possible, ce n'est pas pour ça qu'on pourra la considérer comme un échec.

Les gens ne se feront pas avoir deux fois par le côté raclette, et puis c'est trop cher

Encore un argument qui peut se tenir si on ne s'y attarde pas trop. Mais qui naît d'une vision du monde qui est celle du core gamer plus que du consommateur lambda. Car ce consommateur lambda qui a acheté la Wii, lui, n'a pas nécessairement cette même vision du monde, et du jeu vidéo en tant que loisir. Loin s'en faut. Certains, peut-être, mais une fois encore, sur les millions de Wii qui se sont retrouvées dans des foyers qui n'avaient parfois pas eu de console auparavant, ou pour qui le jeu vidéo n'est simplement pas un loisir favori, la "consommation raclette" s'est avérée bien suffisante ! Quant au prix, certes, dans cette économie, ça paraît bien cher pour un core gamer qui joue presque quotidiennement, mais cette même économie n'a pas non plus empêché de nombreux foyers de s'acheter d'autres appareils bien chers, comme les tablettes. Mais qu'à cela ne tienne : depuis la 3DS, Nintendo a certainement bien appris l'importance de la flexibilité rapide d'un tarif en cas de besoin, et grand bien lui en a pris pour sa dernière portable en date. Encore une fois, tout ceci ne s'inscrit pas à un instant T, mais sur une durée indéterminée.

Elle est déjà en retard technologiquement

C'est une évidence de plus. C'est vrai, du point de vue "technologique", la Wii U semble déjà tendre les fesses pour se prendre une raclée à la sortie des futures Xbox 720/Durango et autres PlayStation 4/Orbis. Mais encore une fois, pas besoin de chercher très loin pour voir que cet argument n'est décisif que pour les core gamers (dont je rappelle une nouvelle fois qu'ils sont stupides s'ils pensent que leur vision du monde est la même que celle des x autres milliards d'individus de la planète). La Wii était encore plus grossièrement en retard technologiquement, dans la mesure où des concurrentes étaient déjà sur le marché pour le démontrer. Résultat des courses : elle les domine de la tête et des épaules en termes de parts de marché. Cette fois, la Wii U bénéficie d'une période tampon d'au moins un an, disons, avant que ces mains proverbiales ne lui collent sa fessée, et même si celle-ci arrive, la preuve que l'avance technologique n'est pas une clef nécessaire au succès existe déjà. Il n'y a par ailleurs qu'à voir à quel point le grand public n'est même pas encore tellement conscient que la Wii U est sortie, pour se rendre compte qu'il est à des années-lumières d'avoir intégré l'information toute relative que Sony et Microsoft sortiront "sans doute" des consoles dont on ne sait rien de concret ou d'officiel, en 2013.

Bref, en réalité, personne ne peut vraiment prédire ce qui va se passer pour la Wii U. Mais une chose est sûre : tous ceux qui avaient prédit que la DS, la Wii ou la 3DS allaient se planter ont bel et bien eu tort, et ils usaient dans bien des cas des mêmes arguments qu'on entend ou lit aujourd'hui au sujet de la Wii U. Encore une fois, gardons à l'esprit que non seulement le marché a changé, mais il continue encore et toujours de le faire. C'est un organisme vivant, complexe, à l'intérieur duquel nous autres core gamers ne représentons qu'un organe, inconscient de ce qui se passe vraiment dans les autres. Car contrairement à ce que nos egos aiment à nous faire penser, cet organe ne me paraît pas être ni le cerveau qui en contrôle d'autres, ni même le coeur qui les irrigue à lui seul.