L'affaire est entendue. Nintendo ne développera jamais sur plates-formes mobiles autres que celles sorties de ses propres usines. Son président persiste et signe à chaque occasion, notamment lors des conférences financières qui suivent la présentation de ses résultats trimestriels. Tous les prétendants historiques (Sega, Atari, SNK, Bandai...) ont été balayés et les méventes actuelles de la PS Vita confirment toute la difficulté à pénétrer un marché verrouillé par la puissante force de frappe éditoriale et marketing de Nintendo.
 
Et ce ne sont pas les nouveaux acteurs d'une branche malade de son modèle économique construit sur la loi du nombre (free to play ou buy to win pour les détracteurs) qui changera les choses, selon Iwata : "c'est un secteur destructeur de valeur". Une opinion partagée par le très-propre-sur-lui Jack Tretton, président de Sony Computer USA : "les jeux sur mobiles peuvent être comparés à du vin bon marché", lui-même rejoint par d'autres ténors de l'industrie amateurs de métaphores grossières : "l'offre des jeux sur mobiles, c'est de la m#rde" affirmait le président d'EA sur le départ.
 
Derrière ce discours de circonstance se dissimule une lecture moins tranchée de ce qu'oppose aux fabricants ce bouillonnant marché du jeu en situation de mobilité. C'est surtout vrai pour Nintendo, acteur particulièrement observé par les milieux financiers. Impossible de déceler le moindre hiatus sur le visage inexpressif de Satoru Iwata pouvant trahir ses réelles intentions. Il faut donc se pencher sur les actes. Deux mouvements témoignent d'une inflexion derrière une communication officielle immuable. Il y a d'abord celle de The Pokémon Company qui en 2011 lançait la première application Pokémon à destination des formats iOS et Android. Une première brèche bien que Nintendo soit indirectement concernée par cette ouverture. À l'époque, le porte-parole de cette prospère filiale s'était défendu sans convaincre, d'y déceler l'amorce d'un transfert d'autres propriétés intellectuelles.
 
Il y a ensuite cet appétit surprise pour le capital social de Dwango, une société japonaise de services Web pour téléphone mobile. Quelque 612 000 actions ont été achetées hier par le géant japonais. Pour l'heure, il est impossible d'évaluer l'échelle de ce raid boursier (prise majoritaire ou partielle). Là encore, par la voix de son porte-parole Yasuhiro Minagawa, Nintendo se défend d'être véritablement intéressé par ce secteur officiellement méprisé. Cette acquisition d'actions serait motivée par des intentions philanthropiques, davantage destinées à renflouer les poches personnelles du président de Dwango, Nobuo Kawakami et non les comptes de l'entreprise. Et à la demande de l'intéressé qui plus est. Une justification qui prête à sourire, mais prise au sérieux par les milieux boursiers. Ils viennent de saluer cette prise de participation par une hausse de plus de 5% de l'action de Nintendo quand celle de Dwango bondit de 21%.
 
Dès lors, s'agit-il d'un changement d'axe de la position historique de Nintendo ? Assurément non. Quand bien même Satoru Iwata est homme de rupture (optique de la disruptiv approach matérialisée par le binôme Wii/DS). À l'exemple de l'intégration de l'écosystème Wii U à l'environnement connecté du joueur (usage multi-écrans), l'incursion du fabricant à l'intérieur de ce magma créatif informe a pour but d'affirmer la supériorité de l'offre éditoriale de Nintendo accessible depuis des systèmes propriétaires et aucun autres.