L'entrée de Microsoft dans l'échiquier compliqué du monde des consoles ne s'est pas faite sans heurts ni crainte. Une poignée d'ingénieurs de haut rang avait pris la décision de pousser le géant des logiciels à partir plus franchement à la conquête du marché des jeux vidéo entièrement dévolu à Sony. Les hésitations ont été grandes au sein de l'état-major de la firme de Redmond. La brutale capitulation d'un puissant acteur comme Sega avait laissé sceptiques les fins stratèges du département prospective, convaincus qu'Internet allait révolutionner en profondeur le coeur de l'organisation de Microsoft, et qu'il fallait donc prioriser la maîtrise de ce bouleversement.
 
La conférence de mars 1999 organisée par Sony afin de présenter la PlayStation 2 au grand public avait fini de convaincre les plus dubitatifs au sein de la société américaine de rester à l'écart de ce juteux secteur confisqué par la marque PlayStation. Ce n'était pas sans l'acharnement de Seamus Blackley, ingénieur informatique chevronné, pour qui la présentation de la PS2 n'était que de la poudre aux yeux. Il prit la décision de rédiger un rapport sur la réalité des forces en présence dans lequel il dynamita point par point les performances supposées de la nouvelle console du géant japonais.
 
"Certaines publications avaient trop rapidement titré 'la mort du PC'. J'avais trouvé cela ridicule, car elles avaient comparé la puissance de la PS2 - qui était à une année de son lancement - aux ordinateurs disponibles immédiatement dans le commerce. À l'évidence, sur bien des paramètres, ils étaient battus" soupire Blackley. En effet, la presse avait repris ses accents guerriers destinés à jeter un grossier écran de fumée sur le clivage séculaire existant entre les ordinateurs et machines de jeux vidéo. La fanfaronnerie de Sony était donc du pain bénit pour entretenir médiatiquement le non-événement : "s'ils avaient eu la présence d'esprit de comparer les puces d'ATI ou de Nvidia lors de la commercialisation de la PS2, la console de Sony se faisait souffler pas seulement sur un plan technique, mais également du point de vue ergonomique" rectifie le brillant ingénieur.
 
Il est vrai que les annonces péremptoires d'un Ken Kutaragi au mieux de sa forme avaient provoqué l'équivalent d'un coup de tonnerre dans l'industrie informatique. Les fondeurs tels qu'Intel avait officiellement protesté contre cette suite de tableaux statistiques mettant en parallèle la puissance gonflée des Graphic Synthesizer et de l'Emotion Engine avec les puces du numéro un mondial. Un appel à la raison qui restera sans effet dans les discours présomptueux des communicants de Sony. La stratégie était de surcapitaliser cet élan médiatique favorable pour tuer dans l'oeuf les projets concurrents.
 
Il en fallait davantage pour démonter l'entêtement de Seamus Blackley : "en définitif, le matériel le plus véloce évolue au sein de l'écosystème PC [...] il n'était pas nécessaire d'être un génie pour se rendre compte qu'une plate-forme dédiée aux jeux vidéo construite autour des plus puissants composants PC sera une console Microsoft". Sa conclusion était donc sans appel : "nous étions la seule société dans le monde a être dotée des ressources indispensables à sa création [...] vous réalisez subitement que la vocation de votre vie sera de convaincre vos supérieurs".
 
Les mots sont forts, mais à la hauteur de ses convictions. Les obstacles qui émailleront la mise sur pied de la Xbox seront nombreux, sujet du troisième volet de ce dossier.