Bonjour et merci d'avoir poussé la curiosité jusqu'à venir faire un tour du côté de ce nouveau blog.

Celui-ci est né de mon envie de parler de jeux PC ou consoles, principalement de ceux qui m'ont favorablement impressionné (d'où le titre du blog), mais pas seulement : les éloges ininterrompus, ça devient vite lassant. :-)

Malgré tout, je vais commencer par du positif. Du très positif. Si vous suivez l'actualité du jeu indépendant, vous savez certainement que l'Independant Game Festival (IGF) a décerné ses prix il y a quelques jours et que « Papers, Please » a raflé la mise, repartant avec le prix principal, le prix du meilleur design et le prix de la meilleure narration. Rien de moins.

Pour ceux qui seraient passés à côté du phénomène, rappelons brièvement le principe du jeu. En tant que citoyen de la république, fictive mais ô combien communiste, d'Arstotzka (qui n'est pas sans rappeler l'Allemagne de l'Est), vous venez de décrocher le job d'inspecteur frontalier à la grande loterie de l'emploi. Votre mission, si vous l'acceptez (essayez seulement de refuser !), est de vérifier que les candidats à l'immigration disposent bien de tous les documents nécessaires et, bien sûr, que ceux-ci soient en règle. Et il ne s'agit pas là d'une mince affaire. Au fur et à mesure de la progression, les règles se complexifient et le nombre de documents requis devient vite absurde. On finit par devoir contrôler plus de 20 infractions possibles au code sur l'immigration. Sachant qu'à la fin de la journée, votre salaire est directement proportionnel au nombre de personnes contrôlées, et que les erreurs se voient sanctionnées par de lourdes amendes, il va falloir être à la fois rapide et précis pour espérer gagner suffisamment pour nourrir et chauffer sa famille. Ou accepter quelques dessous-de-table, mais sans éveiller l'attention de votre glorieux employeur.

 

 

Beaucoup de documents à vérifier dans peu de place...

 

Heureusement, Papers, Please ne se résume pas à cette mécanique routinière. Plusieurs histoires s'entremêlent. On prend part à de petites scénettes d'amour, de vengeance ou de corruption. Et l'on se retrouve entraînés de gré ou de force dans une Histoire, de celles qui requièrent des majuscules, qui détermine laquelle des 20 fins différentes le joueur atteindra.

Cette description plus ou moins objective derrière nous, voyons pourquoi Papers, Please est un des tout meilleurs jeux auxquels il m'ait été donné de jouer depuis presque 30 ans. Et ne croyez pas que c'est seulement parce qu'il s'agit d'un jeu « arty ». Je n'ai rien contre les jeux qui se veulent des ½uvres d'art, mais je ne les traite pas avec plus d'indulgence que les autres. L'art n'est pas une excuse au manque d'ambition, à une finition bancale ou à l'ennui.

En fait, Papers, Please est un jeu de rôles au sens strict : Il met le joueur dans la peau d'un personnage et l'immerge complètement dans sa vie. A cet égard, ce jeu est un franc succès. D'abord parce que le mécanisme principal (la vérification de documents) requiert une totale attention. Ensuite, grâce aux différentes intrigues qui vont mettre le joueur face à des choix difficiles. Certains n'ont que des conséquences marginales et de court terme, mais d'autres vont vraiment secouer la narration. Et l'on ressent une vraie pression lors de ces choix, due en partie à une contrainte naturelle de temps (le temps qu'on passe à hésiter est du temps où l'on ne gagne pas de quoi nourrir et soigner sa famille). Mais aussi et surtout parce que ces choix sont réellement profonds, à l'inverse par exemple de The Walking Dead (le jeu de Telltale) ou l'importance de vos décisions n'est bien souvent qu'une illusion. La force des choix à faire est encore renforcée par leur grande clarté. En effet, comme contrôleur-frontière, vos choix s'expriment le plus souvent par l'acceptation ou le rejet des documents présentés.

 

 

Aujourd'hui au moins, on a pu joindre les deux bouts.

 

Certains éléments sont très stylisés. La famille du joueur, par exemple, n'est rien d'autre qu'un tableau indiquant qui a faim, qui a froid et qui est malade. Mais cela ne nuit étonnamment pas à l'immersion. L'idée même d'un enfant affamé est suffisamment puissante pour ne pas nécessiter un modèle 3D ou des sons de grognements d'estomac en Dolby Surround.

Papers, Please fait sentir au joueur ce que c'est que d'être un fonctionnaire lambda dans un Etat communiste. J'ai joué à ce jeu juste peu de temps après avoir entendu le récit de ma belle-famille partie faire le tour de Cuba en mode routard, au contact des gens. Ce qui revient sans arrêt dans leurs histoires, c'est l'impossibilité pour les gens de survivre avec un salaire de fonctionnaire, fut-il celui d'un médecin public (qui tourne autour de $30 par mois). Du coup, beaucoup de personnes très éduquées préfèrent devenir chauffeurs de taxi, ou prendre d'autres métiers au contact des touristes, car il est plus facile de vivre de pourboires. Mais c'est une chose d'entendre ces histoires de luttes quotidiennes. Avec Papers, Please, j'ai eu l'impression de les vivre ! Ces vies lointaines, un peu abstraites pour moi, sont devenues quelque chose de beaucoup plus personnel. Et m'ont fait balayer mes jugements faciles sur la corruption qui gangrène certains pays. Pour le fonctionnaire de base, ce n'est pas forcément un choix, mais peut être le seul moyen de faire manger sa famille.

Les captures d'écran de Papers, Please ont l'air assez austères, mais le jeu est en fait très bien fini. Alors certainement, les graphismes semblent tout droit sortis du côté sombre des années 80, mais on ne pourrait trouver meilleur style pour s'accorder à l'ambiance oppressante. Et si les animations ne sont pas très nombreuses, elles sont parfaitement exécutées. Les effets sonores sont du même acabit.

Ces éloges étant posés, il faut reconnaître que Papers, Please n'est pas exactement un jeu « fun ». On ressent bien une certaine satisfaction quand on détecte une anomalie, et la concentration requise par la tâche permet de s'extraire des problèmes du monde réel. Mais ce n'est pas ce jeu qui ouvrira les vannes de la dopamine. Je ne suis dès lors pas sûr de bien comprendre l'intérêt du mode « infini », qui reprend les mécanismes de base du mode principal et les tourne vers le « scoring », en laissant de côté la narration. Mais pour revenir au mode principal, je ne cesse de m'émerveiller devant la prouesse qu'il accomplit : Rendre intéressant un jeu basé en sur un processus répétitif, sans dégoûter le joueur au bout de quelques dizaines de minutes.

Alors, si un jeu se limite au fun, Papers, Please ne doit pas rester dans les annales du jeu vidéo. Mais si l'on décide plutôt de juger un jeu à ses ambitions et aux moyens qu'il met en ½uvre pour les accomplir, il n'est pas possible de le prendre en défaut. Aucun autre jeu ne plonge le joueur dans son univers de manière aussi convaincante. Il fait réfléchir et on pourrait même parler d'un jeu éducatif dans le meilleur sens du terme. En résumé, si l'on est prêt à accepter Papers, Please pour ce qu'il est, on ne peut que s'incliner devant sa perfection.

Remarque : Papers, Please est maintenant disponible en français, soit directement sur le site de l'auteur, soit sur les différentes plates-formes de vente (Steam, GOG, Humble Store). Si vous tenez à pouvoir vous comparer aux autres joueurs dans le mode infini, alors je vous recommande Steam. Si ce n'est pas le cas (et en toute honnêteté, le mode infini n'a de toute façon pas beaucoup d'intérêt), préférez les autres plates-formes, qui vous fourniront une version sans DRM.