La Wii avait provoqué un renversement sans précédent qui a réveillé sur le tard les ambitions capture de mouvements des concurrents Sony et Microsoft. Le levée de voile ostensible sur la nouvelle console de Nintendo le 7 juin lors de l'édition 2011 de l'E3, bouleversera le paysage vidéoludique comme jamais. Ce salon américain est particulièrement prisé des constructeurs qui peuvent recueillir à loisir l'avis du public sur certaines de leurs idées, histoire de les valider hors des laboratoires. Avec deux nouvelles consoles en présentation et un total de 220 exposants, le gigantisme de cette manifestation commerciale tourne résolument le dos à la récession économique qui touche de plein fouet le secteur des loisirs interactifs.
 
 
Après des mois d'attente et de spéculation, le jeu du chat et de la sourie savamment planifié par Nintendo pour maintenir en haleine l'opinion (des fans mais aussi analystes, journalistes sans oublier Sony et Microsoft) attendant l'arrivée de son nouveau format de salon a pris fin en pleine période estivale. Mais ce n'est pas sans risque. Avec cette plate-forme inédite dans sa conception, les cartes sont rebattues. Le constructeur remet en jeu sa supériorité hiérarchique sans avoir la garantie absolue que le marché soutiendra cette incroyable révolution ludique. Toutefois, l'audace épatante de Nintendo assomme déjà la concurrence, il est vrai, préalablement perturbée par le spectre de la guerre des prix que vient de déclarer le numéro un mondial en révisant à la baisse le prix de vente de la Wii. L'imagination a visiblement repris le pouvoir au sein de la société financièrement en mesure de lâcher davantage la bride à ses designers super-star, Miyamoto en tête.
 
 
Rien ne fait peur au fabricant japonais, pas même la sévère crise qui touche le secteur depuis plus d'un an ni l'arrivée en catimini d'Apple qui a pour conséquence un durcissement de l'environnement concurrentiel. La capture de mouvement s'affirme de plus en plus en comme le nouveau terrain de bataille des compétiteurs (déclinaison pour Microsoft, plagiat pour Sony), reste à savoir si le gâteau va grossir suffisamment pour que les derniers arrivés y trouvent leur part, leur offre logicielle manquant sensiblement d'attraits. Nintendo précurseur dans ce domaine, passe à la vitesse supérieure et profite de l'aura internationale du salon de l'E3 pour poser de nouveaux jalons distinctifs, histoire de signifier au monde entier que c'est lui qui mène la danse dans ce secteur où l'inventivité fait force. En assimilant enfin les derniers standards technologiques (Haute Définition...), le fabricant s'offre un regain de répondant sur ce terrain où ses rivaux paradaient avec insolence, teinté d'un esprit de ringardise.
 
 
Toutefois, le combat n'est pas là. Nintendo a clairement opté pour un lissage technologique entre ses consoles de salon, une manière de s'affranchir du déterminisme technologique dans lequel se sont enfermés ses adversaires. La Wii U est un concentré d'expériences vidéoludiques semble marteler le constructeur, pour preuve les spécifications techniques de sa nouvelle plate-forme deviennent une information secondaire, les démonstrations de la polyvalence de sa nouvelle manette prenant le pas sur une liste de termes barbares et assommante. Le japonais a décidé de crever l'écran. Non pas avec une énième normalisation technologique (3D stéréoscopique), non. Le pad, grâce à son écran intégré devient le prolongement du téléviseur et s'en affranchit même. Il mue en un écran de contrôle pour les besoins d'une séance de Wii Fit, il se transforme en capteur d'écran, tablette graphique, mime les mouvements du bras et grâce à son écran tactile, la manette devient docile, répondant au doigt et à l'oeil de l'utilisateur. << Prenez entre vos mains le nouveau contrôleur et faites l'expérience inédite de l'ouverture d'une seconde fenêtre de l'univers du jeu vidéo a déclaré le président de NoA, Reggis Fils-Aimé lors de son allocution en juin dernier à l'E3. La DS avec ces deux écrans a changé fondamentalement le gameplay >> , ce nouveau format le transcendera.
 
La mise en situation de la Wii U dans diverses activités (exigence des jeux d'action, souplesse de la transportabilité, confort de la prise en main...) traduit l'Universalité de sa console, l'Unicité de la manette, l'Utopie qui a toujours été le moteur de Nintendo. Avec en filigrane, le joueur/utilisateur au centre de toutes les attentions (par analogie, le "U" prononcé à l'anglaise signifie "vous" en français). Reste à connaître le niveau d'appropriation de cette innovation du côté des éditeurs, soucieux de ne pas laisser le constructeur monopoliser l'attractivité de sa console/manette à son seul profit. L'éditeur THQ exprime sa confiance : << une des raisons qui justifie notre grand intérêt pour la Wii U est que nous avons d'ores et déjà développés les outils de programmation (il fait référence à l'extension UDraw, une tablette graphique simplifiée ressemblant comme deux gouttes d'eau au contrôleur de la Wii U) [...] il s'agit maintenant de créer l'interface adéquate qui demande un regain de créativité, ce qui ne représente pas le poste de dépense le plus élevé dans la création d'un jeu. >> Electronic Arts se fait également l'écho de l'éditeur américain avec la signature d'un partenariat privilégié conclu avec le géant japonais des loisirs interactifs. Enfin, Ubi Soft se présente comme l'éditeur le plus enthousiaste avec cinq titres en préparation : << Ubi Soft est un partenaire très important >> , manière affable si l'en est de rendre la politesse à l'implication des premiers instants.
 
 
Le grand danger qui guette le fabricant est une perte d'identité qui peut déboussoler les joueurs très attachés à la marque. La multiplication des périphériques additionnée au refus d'entrer de plein fouet dans la bataille technologique positionnent Nintendo sur le créneau des accessoiristes plutôt que sur celui d'un constructeur à part entière. En outre, l'autonomie relative de cette manette par rapport au téléviseur oriente désormais Nintendo vers un champ stratégique qu'il domine, le jeu en situation de mobilité et unifié. La batterie d'accessoires (stylet, caméra...) rattachée à ce centre de divertissement enrichie l'expérience qui n'est plus purement télévisuelle. Même si le fabricant s'en défend arguant que le contrôleur, incapable de traiter l'information, s'identifie comme simple relai du poste télé, le lien n'est pas encore clairement consommé mais il est claire que la Wii U ouvre plus profondément la brèche de la portabilité que la version précédente (aidée de la DS) hésitait d'entrouvrir durant les premiers mois de sa commercialisation. Une certitude toutefois, la guerre fratricide commune à tous les foyers équipés d'un téléviseur et d'une console n'a plus lieu d'être. Autre sujet à controverse, la communication assez floue qui entoure les spécificités de la machine, ce dont Nintendo se fou éperdument en répondant par cette pirouette : << toute idée de comparaison avec nos concurrents est futile [...] la démo de l'oiseau traversant le jardin est là pour illustrer la puissance de notre console. >>
 
En prenant cet accent guerrier, Nintendo donne le ton, laissant sur leur faim la communauté des joueurs, analystes, média et compétiteurs. Enfin, une interrogation de taille excite les méninges de l'état major, le coût à supporter pour l'achat d'une manette supplémentaire : << c'est une question cruciale >> répondra Iwata gêné par la perspective d'une majoration tarifaire élevée que le joueur devra supporter en cas de parties à plusieurs. << Il serait maladroit de notre part de demander aux joueurs d'acheter plusieurs contrôleurs >> c'est pourquoi : << nous orientons le développement des jeux dans le cadre d'une seule manette à écran par console. >>, sage décision qui vient en contradiction avec l'aspect convivial et familiale des bandes-annonces promotionnelles projetées à l'E3...
 
 
Dans un contexte de transition qui frappe Nintendo (stagnation mondiale des ventes de jeux et de consoles), les conséquences d'un tel changement de paradigme à multiples variables (désynchronisation console/téléviseur) restent difficile à évaluer. Le jeu de piste sciemment établi par le constructeur à l'adresse de ses adversaires soucieux de torpiller son avantage compétitif à un an de la commercialisation de la Wii U, est le signe formel que la compétition s'est exacerbée alors que tout reste ouvert pour Sony en quête de concepts de compatibilité (à pomper chez le voisin Nintendo) entre la PS Vita et la PS3 et Microsoft soucieux de proposer une alternative matérielle et innovante à Kinect.
 
 
C'est à ce jeu fou que Nintendo invite tous les acteurs de cette industrie à deviner, anticiper le curieux dispositif de la Wii U. C'est une première victoire dans la guerre psychologique qui précède traditionnellement la grande bataille, celle fixée à 2012.
 
--------------------------------------------------------------------------
Nota Bene : E3, nid d'espions
 
 
Sony, Microsoft et même Nintendo dépêchent coutumièrement ses "observateurs" pour arpenter les stands de l'E3. C'est de bonne guerre, la veille concurrentielle fait partie des impératifs communs à toute société spécialisée dans la technologie et qui atteint un pic lors du renouvellement des consoles de jeux vidéo. Pour comprendre l'origine de cette appétence, il faut remonter à 1996. En effet, Nintendo a appris à ses dépends de se garder d'être trop démonstratif, le stick analogique révolutionnaire de la manette de la N64 a pâtit de la prédation de Sony. Cette vulnérabilité est depuis de l'histoire ancienne.
 
 
Nintendo cultive maintenant l'imprévisibilité, pratique le culte de la confidentialité avec un art certain. Elle a l'obligation d'exposer ses nouveaux produits aux médias mais garde le secret sur les détails décisifs. Le design, les spécifications techniques de la Wii U ne sont délivrées qu'à un cercle réservé de studios et d'éditeurs, et encore ! Le producteur de Super Mario, Toshiaki Koizumi, a récemment témoigné dans le magazine Wired de sa frustration d'être mis à l'écart : << en tant que développeur affilié à Nintendo, j'ai accès à des informations privilégiées mais pas en totalité. On ne me divulgue que ce que l'état-major considère comme information non-stratégique >>. Quant aux médias et adversaires, ils se contenteront de déclarations brouillardeuses, tandis que sur les capacités de la manette le constructeur ne s'étendra pas plus que cela. L'information est très sensible.
 
Dimensions modifiées, matériaux factices, formes imparfaites : la Wii U ainsi que sa manette exposées sur le stand Nintendo seront sensiblement modifiées. Kaz Hirai, responsable de la puissante branche PlayStation de Sony ne s'en est d'ailleurs pas caché, il s'est déclaré intrigué et amusé par le contrôleur du nouveau format de Nintendo, les honorables observateurs du géant de l'électronique ayant déjà fait leur rapport sur les potentialités de la "tablette interactive" dont certaines particularités pourront être reprises en faveur du couple PSVita/PS3. Elles seront au pire améliorées comme ce fut le cas avec le PS Move mais dans un laps de temps assez long. Parfois, les analystes des milieux financiers grondent aussi forts que les médias spécialisés devant le caractère abscons de l'information. L'action boursière de Nintendo attaquée sur la place financière japonaise en témoigne, l'état major feint d'être surpris par ce mouvement de protestation. Le fabricant se résout à une impopularité de circonstance, elle se résorbera d'elle-même car elle est la résultante d'une fervente attente violemment confrontée à un contexte de rétention d'informations.
 
 
Et Nintendo dans tout cela ? A peine plus vertueux. Au sein de sa haute direction, une fine équipe spécialisée dans la guerre économique arpente les allées du salon et agissent généralement sous couverture, à l'exemple de ceux très actifs chez Microsoft et dans une moindre mesure Sony. Et ils ne se contentent pas de quelques photos...