Au nombre de mes mangas préférés je compte Hellsing de Kohta Hirano. Ayant déjà une prédisposition à bien kiffer ma race les histoires de vampires qui charclent à tout va, je ne pouvais qu'être intéressé par le destin d'Alucard, vampire invulnérable et totipotent (au sens biologique du terme) qui se retrouve soumis et contraint de servir l'organisation Hellsing dans sa lutte contre les créatures de la nuit.

Si le premier anime reste de bonne qualité, il s'éloigne cependant du manga qui est à mon sens une méga-putain de réussite. Kohta Hirano nous livre avec Hellsing une œuvre complètement barrée, qui va à mille à l'heure, et surtout totalement décomplexée et donc jubilatoire.
Plus que le manga en lui-même, c'est vraiment un coup de cœur pour son mangaka qui assume totalement le coté WTF de ses personnages. Créant des héros et des side-kicks charismatiques poseurs au possible, il redéfinit selon moi l'epicness en manga n'hésitant pas à verser dans les insultes les plus barrés, les situations crades et l'encre qui couvre des pages figurant des hectolitres de sang.


Son trait épais et très affirmé déforme les corps et les proportions pour juste renforcer un effet, un combat, une mort. C'est ce même trait qui donne dans Hellsing un dynamisme ahurissant dans les planches avec des traits de vitesse qui ne semblent pas issues de trames, éloignant vraiment son œuvre de mangas du même style mais beaucoup plus formaté (Berserk par exemple).
SI je parle autant de l'auteur (pour parler d'un autre manga en plus!), c'est qu'au fil de la lecture de Hellsing, on découvre Hirano. Ce dernier à l'habitude de finir ses tomes dans des postfaces complètement hallucinantes où il nous chante des chansons (oui, à l'écrit), où il fait des commentaires sur des shows télé qu'il a vu, et où il nous balance des caricatures faites à l'arrache avec des commentaires et des références plus WTF les uns que les autres.
Lire Hellsing et ses à-cotés, c'est lire l'œuvre d'un insoumis, d'un mélange barré d'un otaku-punk qui, sans doute par flemmardise (il s'est qualifié lui-même d'assistant médiocre et paresseux), nous met des titres de chapitres pioché dans sa ludothèque. Ainsi retrouve-t-on Castlevania ou Final Fantasy en titre alors que cela n'a rien à voir avec le chapitre en cours. Quand on le lit, il donne le sentiment de se foutre de tout, ne cherchant aucune consensualité dans son propos. C'est un archétype de l'autiste que peut être un otaku. Il semble nous dire en permanence: "Je fais ce que je veux, vous aimez tant mieux, vous n'aimez pas tant pis... Et je m'en branle en fait."

En ayant cette image du bonhomme, j'ai été vraiment surpris de découvrir au détour d'un rayon le tome 2 de Drifters son dernier manga. Ne me demandez pas comment j'ai pu louper le tome 1. Bref.

Drifters commence en suivant le destin de Toyohisa Shimazu, un samouraï qui participe à la bataille de Sekihagara en 1600. Bataille historique si il en est car elle marque la fin de l'ère Sengoku et le début de l'ère Edo.

Alors que ce dernier se sacrifie pour donner à son oncle la possibilité de fuir, Toyohisa se retrouve projeté devant un guichet administratif (?). Mais il n'aura pas le temps de demander ce qu'il fait là car il est transporté immédiatement dans un autre monde.
Blessé et quasi mourant de sa bataille à Sekihagara, il est recueilli et soigné par deux autres personnages historiques japonais, Nobunaga Oda et Nasu no Yoichi.

 

Nasu                                               Toyohisa. Oda, vous pouvez le voir en couv' du tome 2.

Tous issues de trois époques différentes, ne parlant pas la langue de ce nouveau monde, ils aideront un village d'elfes victime de l'oppression des humains.
Une magicienne locale, Olmine, leur expliquera qu'ils sont des Drifters, des guerriers issus d'un autre monde, "invoqué" pour faire pencher la guerre contre le "Roi Noir" qui possède lui-même ses propres Drifters appelés "Parias".

Le Roi Noir. Vous excuserez le chapitre qui doit être en italien si ne ne m'abuse.

C'est donc dans un univers très proche de la fantasy de Tolkien et de Lodoss (présence d'elfes, d'humains, de nains et de hobbits) que vont se retrouver des guerriers historiques mûs par leurs instincts guerriers sur un échiquier cosmique.
Drifters propose et proposera des duels complétement WTF, dans un espèce de cross-over historique total, avec pour les Drifters nos trois japonais mais aussi Scipion l'Africain et Hannibal dans les rôles de stratège.
Les Parias du Roi Noir, eux se composent de Jeanne d'Arc, transfigurée en pyromane foldingue traumatisée par son bûcher, de Gilles de Rais, d'Anastasia Romanov et de Raspoutine.

Notre Jeanne nationale version badass.

Outre la dimension épique des batailles que préfigure le manga, les personnages ne sont pas en reste et on sens vraiment une œuvre plus mûre chez Hirano, où chaque personnage, conscient de son importance historique, comprend qu'il est là pour faire ce qu'il fait de mieux: La guerre. Oda est parfait et jubile en tant que stratège militaire et politique, manipulateur de foules et de ses compagnons quand il s'agit de remporter les victoires. Toyohisa est attachant et un peu creepy en chien fou obnubilé par les décapitations et les têtes coupées mais mû par une réelle soif de justice. Des personnages mieux écrits, mais toujours très "mythologiques" et archétypaux (un peu à la Jodorowsky en fait) ce qui renforce un coté shonen vraiment pas dégueu. On peut presque dire que Drifters et Hellsing d'ailleurs, sont plus que des Seinen mais des Shonen pour adultes.

Je vous ai expliquer que Hirano a une manie de placer des références dans ces titres où ses post-faces et Drifters n'est pas en reste. Beaucoup de chapitres sont des titres de chansons dont on se plait à croire qu'ils étaient écoutés pendant que le manga était dessiné. C'est donc un véritable play-list à découvrir en parallèle du manga, avec Marylin Manson, Eastern Youth,  ou du Persona 3 (et d'autres trucs beaucoup moins écoutables ^^)
En outre, le traducteur de Tonkam fait vraiment, de ce que j'en comprends, un excellent travail en agrémentant les références historiques (compréhensibles pour un japonais) de notes de bas de pages pour nous les rendre accessibles.Drifter devient alors au même titre que Shogun 2: Total War un portail sur l'histoire japonaise.

Au final, Drifters est une œuvre plus mûre, moins folle que Hellsing mais mieux construite avec un univers plus cohérent aussi bien dans la forme que le fond.
Dans la forme car le dessin est moins bordélique, plus délimité avec des décors plus fournis et surtout une vision heroic-fantasy à la japonaise (le coté Lodoss qui ressort) bien rendu.
Dans le fond car le postulat de départ est marrant (un cross-over historique, du Tolkien passé au Tarantino) mais en filigrane apparait une intrigue plus large, une sorte de duel cosmique qui semble sous-tendre une meilleure écriture où du moins une histoire réfléchie (Hellsing, c'était du portnawak).

Bon, bilan: Est-ce que je dois vous en conseiller la lecture? Oui et non en fait. C'est pas un chef d'œuvre intemporel que l'on présente comme un Miyazaki, avec des phrases toutes faites pleines de petites étoiles et de poésie (genre une critique de Ico, m'voyez? :p). Drifter est un manga viscéral, il ne prend pas aux tripes, non. Mais viscéral dans le sens où c'est d'instinct que l'on sens que ca va nous plaire ou pas.
Si cette critique vous a donnée envie de vous y intéresser, tant mieux, c'était surtout pour moi l'occasion de parler d'un mangaka que j'apprécie beaucoup et que je met au même niveau (même si il est moins connu) que Kentaro Miura, Takeshi Obata ou Yukito Kishiro.