Revivez le procès du siècle ! Le procès qui défraya la chronique et créa même une jurisprudence ! J’ai nommé : le procès des gloutons ! À ma gauche : Pac-Man, à ma droite : Munchkin ! L’un sur Atari 2600, l’autre sur Magnavox Odyssey 2 (Philips Videopac chez nous). Tremblez mes petits lapins !

 

Mes petits lapins, après l’effarant procès de JM Destroy pour le test de Ghouls’n Ghosts. Procès qui l’obligea à relancer un magazine de jeux vidéo pour payer ses avocats, nous abordons aujourd’hui un procès tout aussi retentissant et surtout beaucoup plus crédible : le procès des gloutons : Pac-Man vs. Munchkin ! Il est surtout plus crédible car celui-ci est véridique !

Néanmoins un rappel des faits s’impose...

Pac-Man (パックマン, Pakkuman soit à l'origine Puckman) est un jeu vidéo d'arcade créé par Tōru Iwatani pour l’entreprise japonaise Namco. Il est sorti au Japon le 22 mai 1980 ! Soit quasiment un an avant l'élection de François Mitterrand en France !

Coïncidence ?
Bah oui :)

Dès sa sortie, c’est un succès mondial ! Mais bon ça vous le savez déjà...

Atari s’empare de la licence pour sa console Atari 2600 et demande à Tod Frye de le convertir dans un temps record et sur une cartouche de 4kb pour optimiser les coûts. On lui propose 10 cents de royalties par jeu vendu. Pas moins de 12 millions de cartouches sont produites ! Atari mise beaucoup sur cette licence pour enterrer la concurrence.

Néanmoins Tod Frye n’est pas satisfait du résultat, très éloigné de l’arcade. Il aurait aimé avoir une cartouche 8kb car les 4kb qu’on lui offre l’oblige à faire des concessions draconiennes. De plus, Namco craignant de se faire piquer le code source, refuse d’aider Atari. Tod doit se contenter de refaire le jeu complètement en s’appuyant sur quelques documents graphiques et surtout en s’inspirant de la borne d’arcade qui est arrivée dans les locaux d’Atari.

Mais la concurrence a elle aussi flairé le bon coup… Ce petit glouton jaune rapporte de l’or en barre. Aucun constructeur de console ne peut s’en passer car tous les gamins le réclament.

Philips qui a racheté Magnavox et donc le nom Odyssey veut promouvoir sa bécane l’Odyssey 2, connue chez nous sous le nom Videopac. Si Atari a demandé à Tod Frye de pondre une conversion de Pac-Man, Philips/Magnavox demande à Ed Averett, le monsieur jeux vidéo du Videopac de développer un clone de Pac-Man pour le Videopac/Odyssey2.

Alors Ed Averett je vous en ai déjà parlé à deux reprises et je vous invite à voir les articles #164 et #165 pour en savoir plus sur l’incroyable contribution qu’il a apporté, enfin lui et son épouse Linda, au succès du Videopac.

Pour faire simple ils ont programmé tous les deux quasiment les deux tiers du catalogue. Ils ont tellement gagné d’argent qu’à un moment son épouse lui a dit « Ecoute Ed, on va arrêter on a tellement gagné d’argent qu’on ne saura plus quoi en faire… Et puis moi les jeux ça va un certain temps, j’ai envie de revenir à des choses plus concrètes et surtout plus ambitieuses… » .

Beaucoup plus rationnelle que son époux, elle se spécialisera dans le développement de systèmes fermés comme les fameux Windows de Microsoft… Linda Averett deviendra Vice-Présidente de Microsoft et a supervisé quasiment tous les projets qui ont fait gagner de l’or à Bill Gates. On la retrouve même dans le développement du système de la Xbox… Mais bon on s’égare mes p’tit lapins, revenons à Atari…

Pac Man débarque donc sur console Atari 2600 en mars 1982. Si le succès est sans appel (7 millions de jeux vendus), il sera très critiqué pour sa réalisation médiocre et de nombreux jeux sont retournés par les clients mécontents.

La presse le descend en flèche mais chez Atari ils s’en fichent un peu : 1,5 millions de dollars de budget sont alloués à la campagne publicitaire et peu importe les critiques, le jeu se vend, tous les possesseurs d’Atari 2600 veulent leur Pac-Man mais avec 5 millions de cartouches invendues, l’opération n’est finalement pas si rentable que ça, surtout quand on sait qu’il faut payer Namco pour cette exclusivité.

Qui plus est Atari s’est fait griller la priorité par Philips qui a sorti KC Munchkin, la fameuse cartouche n°38, juste avant Noël 1981. Et le Munchkin en question est une tuerie saluée par la critique !

Autant le Pac-Man de l’Atari 2600 est moche et très éloigné de la borne d’arcade autant Munchkin, connu chez nous sous le nom « glouton et voraces », est une copie géniale qui dépasse même en terme de gameplay la version originale.

 

Les variantes sont bien trouvées : Murs invisibles sauf quand on se bute dessus, tableaux mouvants et surtout un concept tout bêtes : il y a moins de pastilles à récupérer (12 au total) mais elles bougent en temps réel ! Et surtout plus leur nombre diminuent et plus les pastilles vont vite. La dernière pastille va à la même vitesse que Munchkin !

Ce gameplay réhaussé donne un indéniable coup de vieux à la version originale. Munchkin sera longtemps la meilleure cartouche vendue sur Videopac, aidant la machine à se vendre par palettes en Europe, fief de Philips !

Chez Atari ils sont fous furieux ! On paye la licence très chère, on essaye de sortir le jeu en un temps record et on se fait griller la politesse par notre challenger le plus teigneux. C’en est trop ! La riposte ne se fait donc pas attendre : Atari intente un procès à Philips pour contrefaçon et demande le retrait immédiat de la commercialisation du jeu. Parallèlement ils donnent quelques coups de fouet à Frye pour qu’il se magne de finir la conversion de Pac-Man !

Atari est débouté en première instance. A l’époque est considérée comme contrefaçon, un jeu qui reprend des lignes de codes du jeu original. Bref le copier/coller est interdit.

Seulement Ed Averett et son épouse n’ont rien copié du tout. Ils sont allés voir le fameux Pac-Man en borne d’arcade et ont développé un jeu qui lui ressemble sans copier la moindre ligne de code.

En plus pour la petite anecdote, il faut savoir que Magnavox et Atari ne peuvent pas se blairer. Les deux fabricants se sont déjà opposés par le passé devant les tribunaux. C’était à l’époque de Ralph Bauer, considéré comme le père des jeux vidéo moderne et inventeur de la console Odyssey. En 1976 tout le monde copiait le concept de jeu de Ping/Pong (Tennis Table).

Nolan Bushnell, le boss d’Atari avait lui aussi pompé le concept et avait commercialisé la borne « Pong ». Magnavox n’avait pas apprécié. Ils avaient donc Attaqué en justice Atari et ce dernier avait flippé grave. Du coup ils ont trouvé un accord amiable en 1977 et Atari s’est engagé à reverser des royalties à Magnavox. Ce procès est connu comme étant le premier procès retentissant des jeux vidéo. En 1985, Nintendo a subi le même châtiment et a du lui aussi reverser des royalties à Magnavox.

Hé ouais il faut savoir que le business des procès est très lucratif aux Etats-Unis. Le détenteur d’un brevet peut quasiment faire toute sa fortune sans se fatiguer à sortir de nouvelles consoles. Ralph Baer, Sanders et Magnavox (et donc Philips), ont lancé de nombreux procès pendant plus de vingt ans. Et ces procès seront tous gagnés. Ces poursuites ont permis à Sanders et Magnavox de gagner plus de 100 millions de dollars. Ralph Baer qui avait cédé les droits de son concept n’aura que quelques miettes. Ce n’est que bien tardivement qu’il apprendra que ces procès avaient engendré autant de recettes. Bon d’un autre côté, il fallait y penser au concept de console avec cartouches de jeux interchangeables.

Alors pour une fois qu’ils avaient l’occasion de se venger, se retrouver le bec dans l’eau une seconde fois passe mal chez Atari…

Atari fulmine, Atari se claque la tête contre les murs, Atari mange des tonnes de chamallow pour compenser son stress mais Atari ne lâche rien et fait appel. Ils ont perdu car le jeu Videopac était sorti en 1981 et le jeu Pac-Man n’était pas encore sorti sur Atari 2600. Aucune ligne de code n’a été pompée sur le jeu original, il n’y a donc pas de contrefaçon. Il faut donc trouver un autre angle d’attaque que la simple contrefaçon, il faut jouer sur la violation de copyright mais de façon plus habile.

Ed Averett raconte : Pac-Man a bien sûr été le grand succès de l'époque. Le marketing de Magnavox a dit, pouvez-vous faire un type de jeu Pac-Man ? Bien sûr qu’on peut le faire. Magnavox a dit simplement OK faites-le alors, changez un peu le concept et on verra. » Ed et Linda proposent donc quelques prototypes dont une version que David Winter a retrouvé en 2003 et qui ressemblait vraiment trop à Pac-Man. Cette version a donc été refusée et Ed a apporté suffisamment de différence pour que le camembert jaune ne soit pas reconnaissable. C’était donc une bestiole bleue ou rose avec des antennes.

Seulement les avocats d’Atari sont malins. Comme leur employeur ils sont même un peu fourbes. Et comme je suis un peu dérangé de la tête, je me suis paluche les mémoires de l’époque, ils sont encore en ligne. C’est bien connu Atari c’est vraiment fourbe et faut toujours se méfier d’une machine Atari.

Atari attaque cette fois sur un angle complètement nouveau pour l’époque : le « look and feel » d’un jeu. Autrement dit : la ressemblance et la sensation de jeu, le gameplay quoi !

Et avec cet argument, Atari fait mouche. Ils arrivent à convaincre 2 juges sur 3 de prononcer un verdict en leur faveur. Magnavox/Phillips est condamné pour violation de droits d’auteur car leur titre s’inspire dans ses visuels et sa façon de jouer d’un jeu d’arcade dont le détenteur des droits est Atari.

Ce procès restera dans les annales et fera jurisprudence. Aujourd’hui encore, il est toujours cité dans les procès qui opposent les éditeurs entre eux (genre Medal of Honor vs Call of Duty vs Battlefield). La notion de « concept de jeu » est donc entrée dans le champ de la justice et elle n’est pas prête de le quitter.

Pour autant si sur le papier Atari a gagné, il faut savoir que Philips/Magnavox a quand même eu un joli petit lot de consolation. Atari réclamait le retrait pur et simple du jeu… ils l’ont obtenu mais avec un petit paragraphe supplémentaire qui changeait toute la donne : « le jeu sera retiré de la vente après écoulement des stocks en magasin »… Munchkin étant le jeu le plus vendu sur Videopac/Odyssey2, les quantité produites étaient astronomiques… Et quand ils ont senti le vent tourner, ils ont livré des tonnes de cartouches aux revendeurs. De ce fait, encore aujourd’hui KC Munchkin n’a aucune côte de rareté car il a tellement été produit qu’on le trouve très facilement et à un prix toujours abordable.

Quant à Ed Averett, il garde un bon souvenir de cette période : « je me suis déplacé aux quatre coins de la planète pour expliquer aux tribunaux la conception du jeu qui ne plagiait en rien le jeu original de Namco, tout du moins dans son code source… Mais on a quand même perdu car il est vrai qu’on s’inspirerait beaucoup du jeu original »

Cependant Ed Averett et Magnavox/Philips auront leur revanche avec la cartouche n°44 : KC Krazy Chase, connue chez nous sous le nom « Super Glouton ». Cette cartouche reprend les grandes lignes de Pac-Man, il est toujours question de manger des pastilles mais la finalité n’est plus la même car une sorte de ver devient l’ennemi principal et il faut le manger petit à petit pour le tuer complètement. Ed Averett avouera plus tard que c’était par provocation qu’il a introduit cette sorte de ver qui ressemblait étrangement à celui de Centipede… quelque part Magnavox/Philips mangeait à petit feu Atari…

Atari ne porta pas plainte car le succès de leur machine était tel qu’ils avaient d’autres chats à fouetter. Comme ils avaient explosé toute la concurrence, leurs attaques juridiques se concentraient sur leurs anciens salariés qui les avaient quitté pour fonder leur propre boite d’édition et vendre leur propre jeu en dehors du circuit officiel Atari. Ces noobs d’Atari n’avaient pas verrouillé, comme le feront plus tard Nintendo, Sega et tous les autres, les royalties à reverser par les éditeurs tiers. Cela fera la fortune d’une toute jeune boîte, fondée par des anciens salariés d’Atari : Activision…

Atari s’en mordra les doigts car c’est ainsi que sont apparus les premiers jeux pornographiques sur sa console comme Custer’s revenge. Nintendo s’inspirera de cette erreur pour verrouiller ses relations avec les éditeurs tiens en leur imposant non seulement la production des cartouches mais également un droit de regard sur le jeu envisagé. Le fameux Seal of Quality vient de là.

Mais ça c’est une autre histoire…

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