La différence entre les religieux les plus fervants et les adeptes du culte Mass Effect se situe au niveau de l'espoir. Les premiers n'ont que ce dernier en point de mire, alors que les seconds savaient éperduement que le Commandant Shepard reviendrait parmi eux pour poursuivre ses aventures. Par contre, ces deux catégories complètement distinctes auront peut-être été toutes les deux victimes du même aveuglement de la foi ; celui-là même qui vous fait joindre les mains en priant pour que les maux de ce monde se résolvent par l'opération du Saint Esprit ou qui vous laisse penser d'instinct que la suite d'une référence du genre sera forcément tout aussi incroyable. Alors qu'au final, la réalité requiert peut-être quelques sacrifices...

 

 

Les chiffres de ventes placent déjà Mass Effect 2 comme le plus gros blockbuster de l'année (ironie irréfutable du calendrier et des plannings de sorties à venir). Les notes aussi valorisent le jeu en lui accordant une moyenne digne des plus grands chefs d'oeuvre vidéoludiques. Et pourtant, les avis ne sont pas unanimes, en proie à ce qu'ils considèrent comme une déception. Le paradoxe entre le ressenti et la notation est flagrant, mais comment s'explique-t-il ? Pour ce deuxième épisode, Bioware a opté pour des options de gameplay qui changent fondamentalement l'expérience de jeu. Concrètement, l'essentiel des reproches concerne l'amaigrissement à l'extrême de l'aspect RPG avec la suppression pure et simple d'une majorité de possibilités (améliorations des armes, gestion de l'équipement des personnages, réduction des caractéristiques, inventaire disparu). Il semblerait alors que ce volet opère un inversement de tendance (s'alignant sur les tendances du moment pour les avis les plus pessimistes ; expérimentant différentes options en vue du troisième opus pour les plus optimistes). Car si le côté RPG perd de son assises, les phases d'action se veulent plus nombreuses et mieux travaillées. Bioware a donc privilégié une révision de la structure même du jeu au dépend d'un ingrédient majeur de cette formule qui rendait l'original si ennivrant. A partir de là, bon nombre de détails viennent rejoindre la liste des critiques comme une aventure trop linéaire, des villes moins vastes, des quêtes annexes moins nombreuses, une durée de vie principale offensante, un système de loyauté biaisé... Si nous nous en tenions à ce requisitoire, les notes accordées seraient étrangement suspectes.

 

Et pour cause ! Là, où Bioware entreprend des restrictions, c'est pour mieux reporter son attention sur son effort de correction et de compensation. L'essentiel du travail a consisté à développer les phases d'action. Les améliorations et les innovations rendent les affrontement beaucoup plus dynamiques et fluides. Si les mémoires s'en rappellent, le jeu connaissait de grosses longueurs soporiphiques. Aujourd'hui, il est rendu nettement plus nerveux, notamment avec cet accent mis sur la multiplication des rixes. Cet état de fait est aussi du à des décisions assumées comme la restriction des environnements qui les rend moins pénibles à arpenter d'un bout à l'autre. Et si les quêtes annexes sont moins nombreuses, elles n'en sont pas pour autant dénuées de toute qualité, bien au contraire. Un autre exemple témoigne de la sincérité de la démarche de développement avec la disparition des phases d'exploration en Mako, lesquelles étaient conspuées par le plus grand nombre. L'évolution des armes profite d'un nouveau système mis en place et qui repose essentiellement sur la récolte de minerais durant les opérations commandos ou en jouant du scanner à la surface des planètes (phases qui remplacent alors celles avec le module au sol). Il faut se rendre compte alors que le déséquilibre n'est pas si grand que cela entre les genres. Certes, l'un est plu favorisé que l'autre. Mais il ne rend pas l'expérience mauvaise pour autant, puisque critiques et bons côtés s'annulent. Quel est alors cet élément qui permet aux notes d'atteindre un tel niveau ?

 

Si Mass Effect 2 renie un peu de son origine, il adhère complètement à l'univers qui a été mis en place. Il s'intègre parfaitement et développe encore un peu plus cette richesse contextuelle. Si l'histoire est peut-être le point le plus reprochable, indéniablement du au changement de scénariste, elle réserve tout de même de belles surprises. Les personnages profitent d'une personnalité et d'une histoire personnelle propres qui leur accordent une crédibilité et un charisme que peu de jeux parviennent à mettre en place. Le niveau des dialogues et leur répercution sur les évènements sont d'une rare efficacité. La localisation a bénéficié d'une attention particulière. La musique orchestrée colle parfaitement aux évènements et s'inspire des plus grands classiques de la Science-Fiction pour un résultat des plus probants. Le niveau technique atteint, même s'il ne rivalise pas avec les ténors dans ce domaine comme Gears of War, est tout aussi concédé. Tous se ravisent alors sur cette fidèlité et ce très haut niveau de soin et de détails apportés pour mettre en place un univers convaincant, époustouflant, concordant dans lequel vous ne pouvez avoir qu'envie de vous immerger complètement. Il est là cet élément qui rallie et ravise tout le monde. Il est là ce critère qui confère l'immunité au jeu. Finalement, c'est grâce à cela que vous ne pouvez que vous apercevoir que rien n'est renié et que les choix préférés cette fois-ci ne constituent en rien une haute trahison.

 

Nous rejoignons les remarques quant au glissement de gameplay d'un genre vers l'autre. Maintenant, il ne s'agit d'un mal pour autant en ce que cela permet de rendre le jeu beaucoup moins monotone. Il est vrai également que le jeu n'est pas dénué de défauts comme les temps de chargement trop nombreux et trop longs ou une influence de Dragon Age : Origins qui se fait un peu trop sentir. Le déroulement propre de l'aventure est également critiquable au niveau de son schéma beaucoup trop flagrant dans lequel la fin peut largement s'anticiper. Or, d'autres petits points ont souvent échappé à nos confrères. Selon nous, la claque graphique annoncée n'est pas au rendez-vous. Même si le niveau reste bon, il n'a rien à voir avec ce qui nous avait été laissé supposer (au moins du niveau d'un GoW). D'ailleurs, les bugs d'affichage sont réguliers, vous faisant disparaître vos coéquipiers la plupart du temps. Il faut aussi compter avec des couacs sonores qui vous privent des fins de phrase, les rendant ainsi incompréhensibles si vous n'avez pas opté pour le sous-titrage. D'un point de vue maniabilité, les mouvements du personnage souffrent d'une incohérence qui ouvre une porte à vos ennemis. Lors d'un impact, vous perdez momentanément le contrôle, il suffit alors à vos adversaires d'enchaîner leurs attaques pour repousser votre reprise de mouvement et ainsi de vous tuer sans que vous n'ayez rien pu faire (même quand vous abusez des couvertures, certaines explosions vous faisant perdre se privilège momentanément). D'ailleurs, si les combats sont plus fluides et abordables, ils sont surtout rendus plus faciles. Les phases de Mako qui n'étaient pas si horribles que tout le monde voulait bien le dire (et que nous regrettons, car nous aurions justement aimé qu'elles soient plus approfondies et certainement pas supprimées) ont été remplacées par des opérations encore plus laborieuses et ennuyeuses.

 

Tels auraient été les points sur lesquels nous aurions étayer nos critiques (entre autres choses communément notées), à défaut de faire preuve d'une certaine mauvaise foi en ne visant que l'allègement de l'aspect RPG comme crime de lèse majesté. Mass Effect 2 ne s'impose pas de prime à bord comme le digne héritier de son aîné. Il requiert un bilan, assez rapide cela dit. Il apparait alors que le jeu tente de se diversifier (allant même jusqu'à emprunter des idées de piratage à Bioshock pour son plus grand bien, chose complètement passée à la trappe dans les tests de référence). Il apporte non seulement des corrections aux imperfections (peut-être un peu trop radicalement), mais il livre aussi une nouvelle vision d'un gameplay qui a tout à y gagner. Bioware a trouvé un équilibre qui ne plaira pas forcément à tout le monde, mais qui a le mérite de fonctionner à merveille et de servir l'intérêt du titre. Il n'est nul besoin de se rabaisser à reprocher les corrections apportées (comme les déplacements laborieux dans des villes immenses) ou incriminer l'une des essences de la série (en dénonçant des dialogues trop nombreux, au hasard). Tout cela pour le simple plaisir de faire valoir sa déception personnelle des orientations empruntées, se discréditant légèrement au passage. Mass Effect 2 nous prouve que la force d'un jeu est globale. Il nous montre qu'un choix de gameplay peut ne pas dénaturer la cohérence et la richesse de l'univers dans lequel il s'inscrit. En cherchant au-delà de nos préférences, nous ne pouvons qu'admettre le trait de génie de Bioware.