Mon programme pour Cologne : Lundi, répétition pour la conférence de presse de Sony à laquelle on m'a fait l'honneur de m'inviter. J'ai fait deux ou trois répétitions pour m'habituer au prompteur (quelle invention géniale...) et prendre mes repères sur scène. Mardi : Répétition générale de la conférence le matin avec Andrew House et Kaz Hirai. J'en profite pour faire leur connaissance. Derniers aménagements à mon texte (j'ai quand même pas loin de cinq minutes sur scène...). Inquiétude de dernier moment en me disant que mon speech est quand même très décalé au milieu des annonces très business, j'arrive pour raconter ma vie... On me rassure et on me dit que ça sera très bien. Je me dis qu'ils ont sûrement raison, et que dans tous les cas il est un peu tard pour se poser ce genre de questions...

Je saute dans un taxi et je cours à la GDC où je suis attendu pour être intervenant dans une conférence sur « comment créer des jeux pour un public adulte ». J'arrive pile à l'heure (malgré les répétitions qui ont pris deux bonnes heures de retard...). Le temps d'installer mon PC, le micro HF et de constater que la salle est bondée. Je dis ce que j'ai à dire, bonne réaction de la salle. Applaudissements spontanés quand je dis qu'il ne faut jamais laisser quelqu'un du marketing avoir une idée sur le game design. Deuxième salve quand je demande que le rating des jeux vidéo soient basés sur les mêmes règles que la télévision ou le cinéma. C'est parfois agréable de se sentir en phase avec sa communauté (ce n'est pas toujours le cas...).

Je ressors aussi vite que je peux (une bonne demi-heure plus tard, le temps de répondre à cinquante mille questions, échanger autant de cartes de crédits et serré autant de mains). Je saute dans un taxi et retourne à la conférence Sony. Plus de répétition, cette fois c'est pour de vrai...
800 personnes dans la salle. Quand même... L'espace d'un instant, je me rappelle le lancement d'Omikron à Los Angeles en 1999 (dix ans déjà...). Une conférence de presse au House of Blues avec David Bowie. 200 journalistes accrédités du monde entier, des dizaines de chaînes de TV. Ca c'était flippant.
A peine un léger battement de cœur au moment où Andrew donne mon nom, on me fait signe d'entrer sur scène. Il y a une marche avant d'entrer sur la scène. Eviter de me prendre les pieds dedans. Serrer la main d'Andrew. Avancer jusqu'au centre de la scène. Prendre mon temps. Articuler. Parler lentement. Soigner mon accent.
Puis le teaser. Les applaudissements (chaleureux, m'a-t-il semblé). Un mot de conclusion. Serrer la main à Andrew en sortant. Ne pas me prendre les pieds dans la marche. Souffler un grand coup back stage et me dire « Done ».

Enlever mon micro HF. Attendre la fin de la conférence. Remercier Andrew et Kaz de m'avoir permis d'être là. Aller parler aux journalistes dehors, répondre aux questions, faire des photos. Un diner avec un haut responsable de Sony pour discuter des affaires courantes et au lit.
Au final, plutôt une bonne journée. Le feedback sur le nouveau teaser qui présente le personnage d'Ethan et la partie émotionnelle de Heavy Rain a vraiment été unanimement très bon. Je crois que les gens attendaient de voir ce genre de choses sur le jeu.


Pendant la conférence de presse Sony à la Gamescom

Le lendemain, une journée intégralement dédiée aux interviews. Guillaume s'occupe des allemandes/autrichiens (il parle allemand couramment), je m'occupe du reste du monde. Beaucoup de journalistes, raconter cent fois la même chose, répondre aux mêmes questions, jusqu'à parler machinalement, ne plus savoir si c'est à ce journaliste qu'on a donné cette information ou au précédent... Quelques journalistes brillants qui posent des vraies questions intéressantes, d'autres moins brillants qui posent des questions moins intéressantes... Pas sûr que quelqu'un ait encore compris quelque chose à ce qu'on essayait de faire... Je me mets à leur place et je me dis que je n'y comprendrais certainement rien non plus...

Retour à l'hôtel, dîner avec le marketing manager et le producer Sony de HR. Puis aller préparer la salle pour les présentations de la scène d'Ethan demain matin. La démo est absolument horrible, les couleurs sont hyper saturées, tout a l'air vert. Moment de panique, un problème dans le code ? Suspicion sur la télévision. Emprunter un projecteur en catastrophe à l'hôtel, tout brancher dans la salle à une heure du matin en priant qu'on arrive à quelque chose de vaguement présentable. Bonne surprise : tout fonctionne correctement, le grain du projecteur est plutôt flatteur pour l'image. Vérifier le son, ajuster l'image, positionner les chaises et les tables. Trois heures du matin au lit. Réveil à 7 heures, le temps de prendre une douche et de retourner vérifier que tout est en place pour la première session à 9 heures.
Pas eu le temps de voir Pascal (l'acteur qui joue le rôle d'Ethan Mars). On a prévu de le faire rentrer dans la pièce à la fin de la présentation pour que les journalistes fassent sa connaissance.

Jeudi matin, première session avec les journalistes. On va donc montrer la scène d'Ethan, puis le teaser, avant de réserver une surprise en faisant entrer le vrai Ethan Mars, alias l'acteur anglais Pascal Langdale qui a prêté son visage, sa voix et son talent au personnage. J'appréhende un peu la présentation. C'est encore une fois une scène complètement atypique qu'on s'apprête à montrer, lente, sans rien de spectaculaire, reposant uniquement sur l'ambiance. On y voit Ethan, très déprimé par la mort de son premier fils, qui doit s'occuper seul de son deuxième fils en allant le chercher à l'école, puis en lui faisant faire ses devoirs et en lui préparant à manger.
La scène évoque l'ambiance plombée du début de UNBREAKABLE de M. Knight Shyamalan, ou la tristesse de Tom Cruise dans MINORITY REPORT (toutes proportions gardées, bien entendu...).


Moi (là gauche) avec Pascal Langdale (à droite) donnant des interviews pendant la GamesCom

Pas d'explosions, pas de zombies, juste vingt minutes à vivre dans l'ambiance plombée de la maison alors que la nuit tombe, à observer Shaun et à essayer de recréer une relation avec lui.
L'espace d'un moment, je me demande si je suis suicidaire ou juste masochiste...

Les journalistes suivent la scène avec une certaine attention, sans que je puisse discerner leur réaction. Puis je leur annonce une surprise et je fais entrer Pascal dans la pièce. L'effet de surprise est réussi. Ils viennent de passer vingt minutes à regarder un personnage et ils le voient soudain entrer dans la pièce. Pascal est égal à lui-même, gentil, intéressé et intéressant, brillant. On sent que les journalistes ont plus l'habitude de discuter avec des programmeurs qu'avec des acteurs, mais la discussion est ouverte et intéressée. Fin de la première session.

Pendant toute la journée, six sessions d'une heure vont se succéder sur le même schéma. Globalement, les réactions sont très positives (en tous cas de ce que je peux en percevoir). Pour certains journalistes, ils commencent à comprendre où je veux en venir et à recoller les morceaux. Pour d'autres, ils ont encore l'air de chercher... Avec certains, je sens qu'on est vraiment sur la même longueur d'ondes, par exemple quand l'un d'entre eux me dit qu'il n'avait plus aucun intérêt pour les jeux parce qu'ils les trouvaient vides de sens comparé au cinéma. Un autre me dit que la plupart des jeux qu'il voit s'adresse à des enfants ou des adolescents, et qu'il ne trouve plus de contenu qui lui parle. Content de voir qu'on commence à être quelques uns à faire le même constat.
Notre industrie s'apprête à traverser une crise d'identité : on continue de fabriquer des jeux pour des enfants de douze ans alors que l'âge moyen des joueurs est de 35 ans...
J'ai trouvé en tous cas qu'il y avait une prise de conscience chez beaucoup de journaliste que les jeux vidéo étaient maintenant dans une impasse et qu'il allait falloir trouver maintenant de nouvelles réponses. J'ignore ce qu'il adviendra d'HR, mais je pense que c'est une tentative de solution valide pour créer un contenu pour un public adulte.

Comme toujours, impossible de savoir à l'avance ce que les journalistes vont écrire après ce genre de présentation. On trouve généralement trois catégories : les enthousiastes, ce qui pensent avoir vu quelque chose de vraiment nouveau et qui y croient, qui veulent partager leur sentiment et qui se mouillent. Il y a ceux qui ne savent pas trop quoi en penser, parce que bon, ils attendent d'y jouer pour se faire une idée, et qui vont se contenter de raconter seconde par seconde ce que j'ai montré et ce que j'ai dit. En général, ce sont ceux qui pensent que s'ils disent que c'est bien et qu'au final ça ne l'est pas, ils vont perdre leur crédibilité, alors ils préfèrent être le plus factuels possibles et réserver leur avis. La troisième catégorie est celle des cyniques, ceux qui savent déjà que ça ne va pas être bien, qui ne comprennent pas du tout où je veux en venir parce qu'ils trouvent que les jeux vidéo actuels sont très bien et qu'il n'y a aucune raison de vouloir changer quoi que ce soit.

Les journalistes qui ont des convictions sont de plus en plus rares. Ils veulent bien se mouiller quand le jeu est sorti et que tout le monde a dit ce qu'il en pensait. Ceux qui analysent, dissèquent, réfléchissent et ont du courage se font rares.

Je reste globalement très surpris du nombre de journalistes lassés des jeux vidéo qui attendent désespérément que quelque chose de nouveau se passe parce qu'ils voient bien qu'on tourne en rond. Je vois dans les yeux de certains qu'ils espèrent sincèrement que HR sera le jeu qui va enfin apporter du sang neuf. Je l'espère aussi...

Le soir, diner avec Pascal pour partager nos impressions de la journée. Il était un peu déçu par les jeux présentés au salon. Il a arrêté de jouer quand il avait quinze ans, et il a eu l'impression que rien n'avait changé depuis... Bienvenue au club.

Vendredi, nouvelle série d'interviews avec les journalistes américains cette fois. Des slots un peu plus long d'une demi-heure (au lieu de quinze minutes habituellement) pour pouvoir avoir une discussion un peu plus de fond. Je commence à être épuisé par ma semaine. J'ai l'impression d'avoir raconté dix mille fois la même chose. Je commence à être impatient de retourner au studio et de travailler sur le jeu. Je sais qu'il reste énormément de travail pour ne pas décevoir les gens que j'ai rencontrés ici...

La file attendant pour jouer à Heavy rain lors de la Gamescom

Sauf que lundi je ne serai pas à Quantic mais à Londres pour superviser les enregistrements de la musique du jeu à Abbey Road avec un orchestre symphonique. Je suis impatient d'y être, c'est le genre de moment que je ne raterais pour rien au monde. J'emmène Steve, mon assistant sur la réal avec moi (il s'occupera aussi de l'intégration de la musique dans le jeu). Je verrais si je reste pendant les trois jours d'enregistrement ou si je ne reste qu'un jour pour rentrer plus vite à Quantic.

Entre l'E3, Cologne, les enregistrements et le Tokyo Game Show, je dois être vigilant sur l'occupation de mon temps et ne pas trop me disperser.