Link and the Wind Waker.JPGA l'occasion de la sortie de Zelda Spirit Tracks sur Nintendo DS, et en attendant le test prévu pour vendredi, nous allons nous arrêter deux minutes pour disserter sur cette grande saga. L'occasion pour nous de tenter de tracer un parallèle entre évolution du design et orientation globale du contenu.

Les tout premiers épisodes de la Légende de Zelda laissent penser que le héros - Link - était un jeune enfant, un ado au mieux. En effet, il n'est pas rare que celui-ci s'expose aux quolibets dus à son jeune âge, notamment au début de Zelda 3, lorsque des soldats s'étonnent qu'il soit « encore debout à cette heure ». Pourtant, cet âge n'est jamais clairement défini. De ce point de vue, on peut simplement se pencher sur le design du bonhomme pour essayer d'y voir plus clair.

Avec l'avènement de la 3D, nos softs sont devenus capables d'afficher leur univers d'une manière plus marquée. Auparavant, le petit "sprite" que le jeu nous dévoilait laissait toute latitude à notre imagination de « remplir les blancs ». Chacun pouvait alors se forger l'image de Link tel qu'il l'entendait, selon sa propre personnalité. A partir d'Ocarina of Time, le design s'est vu affiné avec la troisième dimension, montrant une image du héros plus définitive. Le scénario de ce titre incroyable voyait Link passer de l'âge enfant à l'âge adulte dans le but de mener à bien sa quête pour sauver Hyrule du chaos. Cette projection mature a beaucoup plus aux fans, si bien que lorsque la Game Cube fut annoncée, c'est cette déclinaison que retint Miyamoto au travers d'une séquence cinématique qui a fait date.

2000_pic.jpg

Tout le monde connait la suite : Wind Waker est sorti quelques années plus tard, porteur de son look cell-shadé et d'un Link plus enfantin que jamais. Nous n'allons pas refaire le débat ici du pour ou contre ce nouvel habillage, mais nous allons seulement constater que c'est à partir de cet opus qu'une véritable scission s'est opérée au sein de la saga de Nintendo.

C'est donc à partir de 2003 qu'une dichotomie d'univers naissait. D'un côté, nous retrouvions les opus "matures", de l'autre, ceux plus légers. Attention, il faut bien comprendre que cette classification ne tient nullement compte de quelque notion de qualité que ce soit. Chaque style a ses adeptes et ses détracteurs, mais au final, je pense que les fans de Zelda s'y retrouvent à chaque fois, design réaliste ou dessin animé. Twilight Princess s'est ensuite vu confier la lourde tâche de reprendre le flambeau d'un Ocarina of Time, aussi bien au niveau des orientations du game design (structure, découpage du monde et des donjons) que d'un point de vue scénaristique. En ce sens, on découvre un fond de jeu très proche du Zelda 3 de la Super Nintento, si bien que certains voient en Ocarina of Time une simple transposition 3D de ce classique 16 bits. Le second versant, majoritaire à l'heure d'aujourd'hui comporte 4 épisodes : Wind Waker, Minish Cap, Phantom Hourglass et le récent Spirit Tracks (j'omets volontairement de mon analyse le spin-of Four Swords Adventures).

link windwaker.JPGCe changement de design (ou ce retour aux sources, c'est selon) dévoile donc un univers plus proche de ce que peut proposer Walt Disney. Les méchants ne sont pas vraiment effrayants, le rythme de l'aventure se veut plus relax et le monde n'est pas si proche du chaos que ça. De ce postulat (issu du design ou l'ayant influencé) est né un game design différent de ce que l'on avait l'habitude. On assiste en général à une quête principale plus courte qu'à l'accoutumé, mais où l'accent est mis sur les quêtes annexes et l'appropriation de l'univers par le joueur. On encourage le gamer à se balader à droite à gauche, à flâner de ci de là. Ce phénomène s'est même accentué avec l'arrivée de ce design sur console portable. Les donjons sont devenus moins nombreux et la difficulté a baissé d'un cran. On comprend bien que cette scission cible alors des publics distincts. Il est évident que tout le monde peut s'amuser sur un Zelda, fans comme profanes. Mais pour attirer un public peu au fait des aventures de l'elfe vert le plus célèbre du jeu vidéo, ces changements devaient être faits.

Ces variations ne s'arrêtent pas là. Le choix du cell-shading a aussi permis aux créateurs d'enrichir la personnalité de Link. On voit notre petit héros sourire, grimacer, tirer des tronches pas possibles, bref, réagir à son environnement. De fait, même si Link reste le héros muet et assez effacé que l'on connait, ces Zelda "new look" le rend bien plus sympathique que "l'autiste" de Twilight Princess par exemple. Toujours concernant la catégorisation des personnages, on constate aussi l'essor pris par la Princesse Zelda. Dans Wind Waker, on la découvre femme forte, pirate de son état et bien décidée à ne pas se laisser faire. Dans Spirit Tracks, elle accompagne carrément Link sur les champs de bataille, mettant les mains dans le cambouis à l'occasion. Elle fait montre également d'un tempérament étonnant : elle râle, elle rit, elle panique... Elle joue donc le fameux rôle du side-kick habituel, chargé de détendre l'ambiance et de faire avancer les conversations. On est encore une fois bien loin de Twilight Princess, où Zelda joue plutôt profil bas, n'apparaissant que brièvement en début et fin d'aventure, sans véritable rôle à jouer. Le profil cell-shadé est donc bien plus convaincant lorsqu'il s'agit de développer des personnages vivants et, paradoxalement, crédibles. Combien de fois ai-je crié à Link dans Twilight Princess : « mais tu vas l'ouvrir ta bouche oui ! ». Le seul défaut du titre à mon sens.

632.jpg

Enfin dernier point concernant ces Zelda cell-shadé : leur place au sein de l'univers global. On le sait, il n'existe pas véritablement de chronologie officielle et linéaire entre tous les opus de la saga. Tout juste peut on noter que quelques épisodes jouent le rôle de suite directe (Majora's Mask avec Ocarina of Time, Phantom Hourglass avec Wind Waker, etc.). Eiji Aonuma, producteur des dernières itérations de la série, confiait d'ailleurs que le héros n'est pas le même d'un épisode à l'autre. Et pourtant. Ceux qui ont fini Wind Waker se rappellent certainement cette scène où nous pénétrions dans un Temple figé par le Temps, où les vitraux narraient une aventure bien connue. Oui, cet opus faisait clairement référence à Ocarina of Time, où le Link de Wind Waker ne serait qu'une réincarnation (ou un héritier spirituel) d'un « vrai » héros. Comme si ces opus cell-shadés avaient voulu d'eux-mêmes s'éloigner du mythe, prendre du recul par rapport à cet écrasant héritage. Vous êtes le héros d'une quête, certes, mais qui apparait sans commune mesure avec ce qui s'est passé dans le passé. Comme si ces jeux, plutôt adressés aux petits frères, se posait en quête initiatique, en écho à l'aventure mythique du grand frère, peut-être encore inaccessible. Le « grand » fait alors office d'exemple pour le « petit » avec ces enjeux démesurés, qui contrastent avec la côté relax du dernier. Ne doit-on pas y voir un message de Miyamoto et Aonuma, qui auraient décidé sciemment de couper leur franchise en deux pour l'adapter à deux types de publics ? Cette hypothèse se tient encore plus quand on voit que les Zelda matures sont l'apanage des consoles de salon, alors que les quêtes légères trouvent maintenant leur place sur console portable. En écho à cette décision, le travail sur le design, l'univers, le game design et le background aurait alors été modifié en conséquence.

On constate donc que les pans technique, artistique et scénaristique d'un jeu aussi ambitieux que Zelda sont irrémédiablement connectés. Sans vraiment savoir qui a influencé l'autre, ces versants se complètent à parts égales pour offrir une expérience cohérente, réfléchie et toujours réussie.

www.consolesyndrome.com