Aujourd'hui je vais vous parler d'un mur, ou plutôt de la façon dont les jeux vidéos peuvent abattre ce mur.

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Non, je ne vais pas vous parler de l'art de la démolition, ni du Mur de Berlin, ça fait des années qu'il est tombé. Non, je vais plutôt vous parler de ce que l'on appelle le Quatrième Mur.

Tout personnage de jeu vidéo, quelle que soit la complexité du développement qui l'a conçu, dépend fondamentalement de l'intervention active du joueur. John Marston de Red Dead Redemption est peut-être un bon gars, mais ça ne vous empêchera pas de contrôler son corps pour l'obliger à kidnapper des gens et à leur trancher la gorge tranquillement chez lui.

Alors que la plupart des jeux ignorent la relation qu'il peut y avoir entre le joueur et le personnage qu'il contrôle, il en existe qui l'intègrent dans leur gameplay, en faisant en sorte que le personnage réponde aux actions de celui qui les contrôle.

Prenons l'exemple de Deadly Premonition, sorti l'an dernier. Le héros, Francis York Morgan, souffre d'une seconde personnalité, Zach, qui est contrôlé par le joueur. Par exemple, lorsque Morgan descend d'une voiture, il pourra dire "Zach, est-ce que tu veux jeter un oeil aux alentours ?"

Du coup, ce jeu propose une parfaite mise en scène de cette relation entre joueur et personnage, soulignant qu'un personnage de jeu vidéo est occupé par deux esprits dans un même corps - du coup, et c'est un peu le coup de génie des concepteurs, il devient cohérent de mettre en scène des conversations entre ces deux personnalités distinctes, la première créée par les développeurs et l'autre gérée par le joueur.

Mais qu'est-ce donc que ce Quatrième Mur dont je vous parlais au début ?

Comme pour beaucoup d'arts jeunes, il faut remonter aux arts ancestraux, et en particulier ici au théâtre, pour comprendre ce dont il s'agit : le Quatrième Mur est en fait l'écran imaginaire qui y sépare l'acteur du spectateur. Parallèle au mur de fond de scène, il se situe entre le plateau et la salle, au niveau de la rampe.

Avec un tel système, les acteurs ont commencé à avoir des déplacements plus naturalistes et quotidiens : ils pouvaient, par exemple, jouer dos au public, qui voit alors une action qui est censée se dérouler indépendamment de lui. Il se trouve directement en position de voyeur : rien ne lui échappe mais il ne peut pas intervenir.

Dans ce cadre, un personnage peut soudain briser cette illusion en faisant un commentaire directement au public, ou bien en aparté. On appelle cela briser la Quatrième Mur.

Le concept a été élargi alors que les médias se sont multipliés au gré des films, des séries télévisées, de la bande dessinée et donc des jeux vidéo. Dans ces derniers, supprimer le quatrième mur représente, plus largement, soit un moment où le personnage s'adresse au public, soit lorsqu'il énonce un fait hors du cadre de la série et qu'il lui est impossible de connaître. Par exemple, s'il parle du public ou de sa propre condition, un personnage brise le quatrième mur.

Il y a des exemples notables : Amélie dans le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, ou encore Deadpool en comics.

Le concept n'est donc pas nouveau : les jeux d'aventure de type point-and-click sont des habitués de la chose, le protagoniste répondant directement aux ordres donnés par le joueur qui les contrôle, avec des réponses cliché du type "Je ne peux pas faire ça." Dans le Secret de Monkey Island, on observe plus d'une fois le héros, Guybrush, penser tout haut à propos de telle et telle situation - et pourtant, jamais il ne passe à l'acte à moins qu'on ne lui dise de le faire : Guybrush donne l'impression de toujours en savoir plus sur ce qui se passe que le joueur mais ne lui dit jamais directement le fond de ses pensées.

Cela débouche sur une dynamique amusante où l'on est telle la conscience de Guybrush, à lui chuchoter nos ordres à l'oreille, le poussant à faire des choses que l'on espère utiles ou marrantes.

Curieusement, cet abattage du Quatrième Mur n'a jamais brisé mon sentiment d'immersion dans ce genre de jeu. Je n'avais pas l'impression que le héros répondait aux ordres d'un esprit désincarné mais qu'il se contentait de suivre le flux plus ou moins chaotique de ses pensées, pour se rendre finalement compte que "Oups, c'était une mauvaise idé... argh !"

Cette technique peut déboucher sur des dynamiques intéressantes. Prenons à présent l'exemple de Heavy Rain (oui, vous savez, ce jeu dont je n'ai pas arrêté de parler pendant des semaines l'an dernier). Dans ce jeu, vous pouviez écouter les pensées des personnages et réagir en fonction, et cela pouvait déboucher sur des dilemmes : le personnage de Madison en tant que tel n'a d'abord que peu d'intérêt pour Ethan. Or, nous en tant que joueurs, nous savions que son aide pourrait l'aider à retrouver son fils kidnappé. On débouche alors sur un étonnant conflit d'intérêt : devrions-nous jouer Madison telle qu'elle aurait elle-même agi ou bien fallait-il la faire agir en sachant, nous joueurs, que ses actions aideraient Ethan - et donc avoir le happy ending que nous voudrions ?

Ce genre de dilemme vient du fait que Heavy Rain repose volontairement sur des points de vue et donc des perspectives différentes. Si l'on jouait dans un cadre classique avec un seul point de vue auquel s'identifier, il n'y aurait pas ce genre de "méta-dilemme"... avec les défauts inhérents, et en particulier la sensation de frustration d'être, nous joueurs, en possession de plus d'information que le personnage que l'on contrôle.

Combien de fois avez-vous remarqué un indice quelconque dans un jeu sans la capacité de l'invoquer avant un moment défini du jeu, beaucoup plus tard ?

La frustration peut même virer à l'agacement lorsque le personnage se met à énoncer des choses que le joueur sait déjà - par exemple, Leon dans Resident Evil 4 qui devant un lit réagit en disant "Ce lit est sale" : oui, bon, on l'avait bien vu que le lit était sale, pas besoin de le dire tout haut. On aurait préféré des informations un peu plus utiles.

A l'inverse donc, il est possible de jouer là dessus pour fournir des détails plus intéressants au joueur, susceptibles de mieux caractériser le personnage. Dans les deux Uncharted par exemple, même s'il n'y avait pas de bouton "Examiner", vous pouviez profiter d'un certain nombre d'interactions (optionnelles) permettant de donner plus de personnalité à Nathan Drake.

Ainsi, dans le second opus, il y a un court chapitre où notre héros se retrouve convalescent dans un petit village du Népal, et n'a rien d'autre à faire que se ballader dedans et de parler aux gens. Même s'il n'y avait pas d'arbre de dialogue digne d'un RPG, vous pouviez tout de même presser un bouton pour interagir, avec un résultat souvent humoristique (je pense à l'arrière-train des yacks).

Dans les arts plus traditionnels tels que le théâtre et le cinéma, briser le Quatrième Mur revient parfois à une véritable désécration du contrat narratif mais dans les jeux vidéo, cela peut devenir un fantastique outil de gameplay, permettant de véhiculer des indices, des informations, voire une meilleure qualité d'interaction. Nous apprécions d'autant plus les personnages si nous pouvons non seulement les observer ou les contrôler mais aussi converser avec eux.

Et vous, quelles occurences de ce Quatrième Mur avez-vous rencontrées ? Vous ont-elles marqué ?