Je me souviens de ces années où, gamin, le jeu vidéo était
pour moi une incessante succession de découvertes. Les moyens de communication
n'étaient pas les mêmes, et on découvrait les jeux un peu au jour le jour.
Internet n'était pas encore présent dans les foyers, et j'osais à peine
utiliser le minitel pour récupérer fébrilement quelques codes ou astuces pour
tel ou tel jeu, avant de subir le terrible châtiment parental face à la
découverte de la facture de téléphone.

   Oui, aujourd'hui, maintenant qu'il y a prescription, je peux
l'avouer, une petite larme à l'œil, j'ai été puni...Des coups de ronces brûlantes
dans le dos et, pire, des interdictions de toucher à la console de... parfois 2
mois.

   Cette époque où les rumeurs allaient bon train, ou l'intox
planait comme une mamie gonflée d'hélium dans les cours de récré. Seule la
presse vidéoludique nous guidait, mais, nous qui étions jeunes, n'avions pas
toujours le recul nécessaire pour tout assimiler correctement. Il faut dire que
la politique vidéoludique de l'époque ne nous aidait pas beaucoup. Entre les
jeux qui ne sortaient jamais en France, véritable Tiers-monde du jeu vidéo,
ceux qui sortaient mais avec d'autres noms, empruntant parfois leur nouveau
titre à une série qui n'a rien à voir... et ceux qui faisaient suite à des opus
qui n'étaient pas sortis chez nous ou, pire, dont la suite n'arrivait jamais.

   L'aventure commençait bien avant que la cartouche ne
s'insère dans notre petite console adorée. Elle débutait dans la boutique
spécialisée, lorsque la jaquette nous faisait de l'œil derrière sa vitrine dont
la glace se recouvrait progressivement de traces de doigts. Lorsque nous
échangions nos informations plus ou moins exactes entre mômes, ou lorsque l'on
découvrait les premières images d'un jeu à travers des magazines aux titres
évocateurs... Super Power, Player One, Console Plus...

   Je n'avais même pas dix ans, c'était le début des années 90...
Et les temps ont changé... Me voici en train de pester sur tout et n'importe
quoi. Moi qui, il y a encore quelques années, salivait comme un bambin sur les
possibilités offertes par la Wii, je me retrouve à la regarder bêtement
prendre la poussière. Bien sûr, je joue encore aux jeux vidéos, beaucoup même, parfois. Mais
plus de la même façon. J'ai du mal à rentrer dans un jeu, j'ai du mal à m'imprégner
d'un univers... Quand je pense qu'à une époque, l'élément essentiel dans l'achat
d'un soft, pour moi, c'était la durée de vie. Maintenant, je ne suis plus un
gamer... je suis un consommateur.

   Je télécharge moults démos et je survole les jeux, hormis
quelques uns. Je me plais à dire que c'était mieux avant, et je jubile en écoutant
l'écho de cette plainte à travers mes amis, mais aussi chez des professionnels. Je
vois Marcus s'extasier sur ces petits jeux indépendants qui lui rappellent
avant, Julien.C adorer Flower, simple, poétique et efficace, et moi, apprécier,
par exemple, Tales of Vesperia, parce qu'il ce côté Old-School qui me rappelle
les anciens RPG 16 bits.

Le jeu vidéo a tant changé que ça ? Et si c'était
nous ? Et si c'était moi ?

   Bien sûr, il y a l'époque. Les moyens de communications ne
sont plus les mêmes. On est abreuvé d'infos, et Internet nous apprend tout.
C'est la course à qui obtiendra la news le premier, et de façon la plus exacte
possible. Il est loin le temps où nous nagions dans un flou douillet et
confortable. Le simple fait d'allumer ma Xbox 360 me rappelle l'actualité
vidéoludique, et me permet de tout voir, tout tester. Si on m'avait dit ça il y
a 15 ans, j'aurais bavé et sauté de joie... Mais nous sommes devenus des gamins
pourris gâtés... Du coup, c'est la course à l'excellence, mais on ne trouve que trop rarement chaussure à son pied. Il faut avoir tout testé pour pouvoir continuer à en parler avec ses
amis. Il faut aussi découvrir ces petites perles de jeux indépendants, et ne
pas passer à côté des rééditions de ces anciens jeux qui reviennent sur le
devant de la scène.

   Le jeu vidéo est devenue encore plus une affaire de gros
sous qu'avant. Il séduit un public bien plus large, et son offre est immense.

   Il est bien loin le temps où je n'avais qu'un jeu à me mettre sous la dent
pendant de longs mois. Le temps de l'explorer à fond, de le finir à 100%, de
tout découvrir. Pourtant, nombreux sont les softs, encore de nos jours, à être
suffisamment vaste et profond pour être découvert et redécouvert pendant de
longues périodes. Lorsque je vois, par exemple, GTA 4, rester dans sa boîte maintenant que j'ai fini son histoire principale, je
me dis que c'est un énorme gâchis. Mon moi-gamin, s'il n'avait eu que ce jeu là,
aurait été se balader dans chacune de ses rues, découvrir chaque recoin avec un
œil toujours neuf.

   Mais le problème vient aussi de moi... de nous. On a vieilli
les mecs... La société c'est aussi nous. Le temps passe vite, il nous faut des
jeux vidéo, toujours plus. Courts, rapides, expéditifs. On se touche le kiki
devant un Modern Warfare 2 à la durée de vie minuscule, car il nous apporte notre
dose d'action et de décompression en quelques heures... Du jeu vidéo concentré en
quelques sortes. Du vidéoludisme iophilisé... Avec moins d'imperfection, mais peut-être aussi moins de saveur qu'autrefois.

   Petit, les choses nous marquaient bien plus. Les musiques
forgeaient en nous des souvenirs qui allaient devenir éternels. Les graphismes
n'étaient pas parfaits, loin de là, mais il développaient en nous un imaginaire
que seuls certains softs de maintenant peuvent encore nous apporter. A une époque où l'on grandissait et où toute découverte nous émerveillait, les jeux vidéos nous ont aussi, à leur façon, éduqué. Ou, du moins, ils ont contribué à notre éveil.

   Aujourd'hui, on est devenu difficiles, rares sont les jeux qui nous comblent à 100%. Avant, la moindre petite prouesse nous rendait fou. Les premières voix digitalisées, les premiers jeux en 3d, les premières cinématiques...

Maintenant, on joue avec des millions d'autres joueurs. Et alors ?

   Heureusement, le jeu vidéo parvient encore à me faire vibrer. Fort heureusement d'ailleurs, car sinon, je n'y jouerais pas. Nombreux sont les jeux qui m'éclatent toujours autant. Pourtant, je regrette de ne pas ressentir ce qui se passait en moins à une époque malheureusement révolue. Ces sentiments indicibles qui font que, malgré les années, mes références vidéoludiques restent très anciennes.

   Peut-être que l'industrie évoluera encore, que le jeu redeviendra quelque chose de confidentiel. Ou peut-être qu'une fois de plus, j'évoluerai, pour y trouver des plaisirs que je n'ai pas encore découverts...