Calme en surface, tourmenté en son cœur. L'océan, impénétrable écrin abritant la cité de toutes les utopies : Rapture. Jadis fière et lumineuse, la ville engloutie abritait tous les possibles. Un feu d'artifice érigé pour le bien des mots qui n'aura pourtant su faire face aux assauts de la vanité et des égos. L'extase s'est ainsi délitée, à l'image de la vision de son architecte, Andrew Ryan. À l'utopie a succédé la dystopie. À l'envie, la tyrannie. BioShock 2 débute par une scène coup de poing. Une séquence se déroulant deux ans avant les événements dépeints dans le premier épisode. Une ouverture brève, brutale, marquante et qui vous propulsera ensuite 10 ans plus tard dans la peau du premier Big Daddy. Un père répondant au nom de Delta, lancé en quête de sa fille, Eleanor Lamb.

Du respect et des charentaises

Qu'il paraît complexe de vouloir marier tradition et modernité. Hommage et envie de nouveauté. C'est clairement ce dilemme qui aura agité le développement de BioShock 2. Car dès vos premiers pas, ceux qui avaient déjà bravé Rapture, retrouveront instantanément leurs marques. Cette ambiance visuellement raffinée à mi-chemin entre Jules Vernes et Eiffel, cette enveloppante bande-son des années 20, cette uchronie où l'horreur explose au visage du joueur sans jamais sombrer dans le gore... tout est ici respecté, même un rien magnifié. Douces charentaises. De son côté, si le moteur graphique n'a pas été violemment boosté, l'esthétique des lieux et son atmosphère unique vous happeront avec délice. Le gameplay lui-même ne joue pas la carte de l'innovation à outrance. S'il est désormais possible de marier en simultané plasmides (pouvoirs calés main gauche) et armement (pétoires variées main droite), pour le reste vous naviguerez en terrain connu. Seuls de menus raffinements ont été incorporés comme lors des célèbres phases de piratage. Le tout a été ici dynamisé. Finis les tubes un rien fastidieux, place à des jauges à valider précisément et apparaissant en surimpression du jeu, sans interrompre son déroulement. Plus de nervosité, plus de choix, plus d'action (sans que ça en devienne vulgaire et bourrin), voilà le postulat de cette suite. Les plasmides ont donc été boostés sans pour autant accueillir de nouveautés majeures. Mais les possibilités offertes pour tendre des pièges ont été sensiblement étoffées. Enfin, ceux craignant qu'incarner un lourd Big Daddy amoindrirait le dynamisme des joutes en seront pour leurs frais. Son équipement pourra ainsi être amélioré pour toujours plus d'efficacité et nervosité est un terme qui qualifiera à merveille les différentes rencontres que vous effectuerez.

Ne pas se mouiller

BioShock 2 offre plus de vie, plus de rencontres "humaines", plus de choix moraux (nous y reviendrons), plus de mini-séquences scriptées, plus d'embranchements dans des zones globalement plus vastes que son illustre aîné. Mais si BioShock 2 renforce les bases initiales, il aurait toutefois tendance à oublier de créer. La première déception vient des inédites sorties sous-marines. Des séquences qui se comptent sur les doigts d'une main, et qui n'apportent finalement qu'un espace de calme dans le flot continu d'action. Mais en se contentant de couloirs sans surprises et ne se déroulant que sur une centaine de mètres, ces sorties s'oublient aussi vite qu'elles sont traversées... bien loin de ce que pouvait être, par exemple, les sorties spatiales de Dead Space, si singulièrement efficaces et uniques, elles. Il en va de même pour les nouveaux ennemis. En effet si les Big Sisters se montrent vives comme l'éclair, si leurs cris suffisent à glacer les sangs, si leur design général respire la classe, leurs arrivées sont si attendues, si récurrentes à chaque fin de zone et les luttes qui en découlent si classiques, qu'elles finissent par se banaliser. De duels qui auraient pu être épiques, on bascule dans le simple sous-boss de fin de niveau. Hormis l'arrivée de brutes massives, le bestiaire général n'a d'ailleurs pas réussi à accoucher de personnages aussi charismatiques que les Big Daddys du premier volet. Idem pour Andrew Ryan, forcément absent (physiquement du moins), et remplacé par son Némesis féminin : Sofia Lamb. Une femme forte, à l'histoire intéressante, mais qui peine à surprendre. La surprise, l'ambition générale, c'est d'ailleurs probablement ça qui manque ici...

Pardon ou compassion ?

Que l'on ne s'y trompe pas. BioShock 2 est un grand jeu. Totalement immersif, ludiquement plus souple encore que son aîné. Mais un grand jeu auquel il manque ce soupçon de folie et un art évident de la narration qui avait fait du premier BioShock un monument du jeu vidéo. Soyons francs, il manque à cette suite des séquences dignes de la rencontre avec Andrew Ryan (et l'originale partie de golf), ou le bouleversant twist avec Atlas. Même le retour du Dr. Tenenbaum semble mollement exploité. Il y a bien une scène majeure et un virage de gameplay audacieux, en fin d'aventure, là où tout pourrait décoller définitivement... mais sa portée est vite étouffée. Comme si tout devait filer un peu (trop) vite. Paradoxalement, vous aurez néanmoins plus de choix moraux que dans le premier opus. En effet, en tant que Big Daddy vous devrez composer avec les petites sœurs encore plus fréquemment. Tuer leurs Protecteurs avant de décider de les adopter en les jetant sur votre épaule, ou en aspirant leur ADAM immédiatement. Vous devrez aussi les protéger lorsque ces dernières récolteront, pour vous, la précieuse denrée. Il en résulte des phases d'assauts souvent épiques où la stratégie prendra tout son sens. Assurément de grands moments. Plusieurs personnages clefs de l'aventure testeront aussi vos limites. À vous d'opter pour la vie, pour le pardon... ou pour l'absence de compassion et la mort. À ce titre, le final exploite assez joliment votre progression au fil de l'aventure. Mais une fois de plus, ceux qui auront navigué dans BioShock perdront l'effet de surprise.

Le multi surnage

Pour séduire plus largement, BioShock 2 a aussi décidé de se doter d'un mode multi-joueurs. Habilement intégré, il propose une ambiance soignée puisque vous vous glisserez dans la peau (déchiquetée) d'un Chrosôme avec votre propre appartement. À vous de choisir votre armement, vos plasmides, votre tenue avant de vous lancer dans l'un des 7 modes de jeu disponibles. Jouables de 6 à 10 joueurs, ces derniers proposent des défis variés. Du traditionnel avec des assauts jusqu'à la mort, ainsi que des matchs adaptés à la trame principale et vous demandant de capturer des petites sœurs, ou de les défendre. L'ensemble se montre efficace, remplissant bien son rôle de bonus de choix pour cet épisode, grâce aussi à une dynamique armes / plasmides donnant lieu à des affrontements nerveux et tactiques.

À l'heure de refaire surface, le sentiment dégagé par Bioshock 2 est celui d'un titre qui navigue entre deux eaux. L'équipe de 2K Marin a réussi son pari : ne pas écorner l'image de son aîné. Mais à l'image d'un peintre qui reproduirait fidèlement la Joconde, s'il y a ici un talent certain, en revanche, on ne retrouve pas réellement de génie. Le jeu reste brillant, maîtrisé. Mais il risque surtout de satisfaire ceux pour qui Rapture est encore une escale vierge de souvenirs. Pour les autres, difficile de ne pas ressentir les difficultés éprouvées par le titre à couper le cordon. Un affect, un respect, voire même une pression palpable jusque dans le générique de fin où tous les concepteurs du premier volet sont chaudement et nominativement remerciés. Il manque ainsi une identité nouvelle et de vraies surprises à cette suite admirablement calibrée. Une certitude : il faudra un véritable séisme pour que Rapture puisse de nouveaux ouvrir ses portes.