Il les a sauvés d'une vie d'esclavage et d'une "réincarnation" en bâtonnet glacé. Après son odyssée à RuptureFarms, il est temps pour Abe, prophète malgré lui, de mener les Mudokons, dont le destin semble avoir dévié sans raison autre que la perfidie des Glukkons, vers la liberté. Une entreprise pour le moins ardue, le héros devant composer avec d'étranges maux touchant son peuple et une route où l'attendent pléthore de sligs et de pièges vicieux.

Du pareil au même ?

Soulstorm prend d'abord le temps de réapprendre les bases de sa formule, optant pour une représentation en 2,5 D. Un mix de plate-forme, énigmes, infiltration, avec un zeste d'action. Oui, juste un zeste, bien que téméraire entre vos mimines, Abe n'a rien d'un guerrier. Reste qu'il a bien des compétences à faire valoir. Agile, il effectue des double-sauts (!), et s'accroche à la moindre corniche. Il lui est même possible de se mettre en boule pour rouler dans des entrées étroites, se planquer derrière un muret, ou approcher discrètement une mine à désarmer - suivant un timing facile à retenir. Et l'on peut aussi compter sur lui pour se déplacer très discrètement. Cela reste peu pour surmonter le défi qui l'attend.

Abe dispose quand même d'un pouvoir qui fait la différence : l'envoûtement. Deux utilités. D'abord posséder un ennemi proche en dirigeant son esprit vers lui, à condition qu'un de ces maudits modules suppresseurs ne l'en empêchent pas. Une fois que l'on incarne la sale bestiole, son arme nous appartient, et certains accès à des interrupteurs bien cachés nous sont ouverts. La concentration permet ensuite d'ouvrir un portail aux oiseaux, issue à travers laquelle les Mudokons sauvés sur la route, à l'aide d'un système d'ordre basique mais permettant de distinguer l'individuel du groupe, peuvent se rendre en lieu sûr. C'est toujours l'objectif principal de notre protagoniste : aider son prochain à se faire la malle en même temps que l'on parcourt les 15 actes - 17 en cas de bonnes "performances". Jusque là, il est facile pour le connaisseur de penser qu'Oddworld Inhabitants a encore joué la sécurité et que l'histoire de la "vraie suite", en dehors d'une trame un poil réécrite, et superbement racontée à travers des cinématiques grand luxe, c'était du bluff.

Radio Bière Loot

En réalité, à l'instar du nombre de Mudokons à secourir, qui passe du petit 300 de New'n'Tasty à environ 1.400 ici, celui des interactions explose dans Soulstorm. Le champ des possibles en matière de résolution des situations à traverser, qui peuvent s'étaler sur plusieurs écrans, bénéficie de vos envies et du contenu de votre inventaire. Les poubelles, casiers et adversaires assommés attendent que vous les fouilliez. Les distributeurs appellent votre oseille, récoltée en mettant des bouteilles vides à la consigne. Et si on ne vous donne pas directement les objets, vous pouvez toujours les fabriquer. Le menu d'artisanat est poussiéreux, froid, rebutant au possible. Mais peu importe. Il faudra y traîner pour s'armer. Tout ce que vous allez être en mesure d'accomplir à l'aide de mines plus ou moins puissantes, d'écrans de fumée, de fusées éclairantes, de bières inflammables, de bonbons assommants et rebondissants, de sodas explosifs ou encore d'un extincteur vaut les risques que vous prendrez. La manière dont chaque tableau, gigantesque, et chaque étape un peu plus tournée vers la castagne et les réflexes sont articulées font tout le sel de l'expérience. Du die and retry à se triturer les méninges, à mettre en oeuvre le bon plan, avec un sentiment de satisfaction immédiat au bout du succès.

Du gameplay au poil, même si Abe reste un peu rigide, qui accueille nos expérimentations à bras ouverts, dans un univers qui reste merveilleux à arpenter. Esthétique soignée, réalisation solide, zooms et dézooms soulignant la grandeur des stages toujours très agités en arrière-plan, ambiance sonore ensorcelante (mais quel dommage que tous les dialogues, en anglais, ne soient pas toujours sous-titrés)... Avec une immersion aussi travaillée dans tous les types d'environnements, industriels comme naturels, ce monde injuste, impitoyable, où les masses sont conditionnées et essorées au profit d'une poignée de dirigeants sans scrupules, nous happe. Ce désir de secourir tous nos congénères, d'avoir un Quarma proche du 100 % et ainsi découvrir la meilleure et la plus joyeuse des fins du jeu, nous habite. Mais il faut pour cela aussi passer outre des défauts assez durs à encaisser.

Un drôle d'arrière-goût

Soulstorm, c'est aussi Abe qui refuse de s'accrocher, Abe qui trébuche sans qu'on sache pourquoi, Abe qui a beau être planqué derrière un muret mais qui est quand même pulvérisé par un mortier. On s'en accommode et on ferme les yeux les premières fois, on passe au petit bonheur la chance en se disant que notre précédentes tentatives suintaient la maladresse. Mais ça se répète à d'autres endroits. Et alors que vous exigez que vous et vos suiveurs se cachent dans des casiers, certains restent à découvert. Bien que vous les ayez armés et exigé d'eux une posture agressive, ils se font pulvériser à bout portant sans avoir bougé un orteil. Et ne parlons pas de leurs temps de réaction. Bugs, scripts flingués, collisions manqués, I.A. alliée rageante : la finition, comme l'équilibrage de certaines sections, Mama Slig en particulier, pose de vrais problèmes. Comme ici, où un piège oublie de se déplacer après la libération d'ouvriers, obligeant à relancer non pas une section, mais le niveau entier.

Cela nous amène au problème des points de passage et des sauvegardes. Une fois un checkpoint atteint, on reprend à cet instant. Pas besoin d'essayer de le retoucher en espérant que les fouilles qui suivent vont être comptabilisées. Non, il va falloir tout refaire. Et pour peu que la séquence soit un peu délicate... Prenons par exemple une ascension de Mudokons durant laquelle il faut empêcher les ennemis de canarder. Reclaquer les portes des armoires, choper du matos dans les vide-ordures et faire le plein dans les distributeurs, pour enfin fabriquer les outils en bonne quantité : à chaque tentative. Un cauchemar pour les perfectionnistes refusant ne serait-ce qu'une perte. Et encore plus si un bug s'en mêle à un moment. On aurait préféré un système un peu plus souple, histoire que la frustration ne compromette le plaisir de retrouvailles presque idéales.