C'est à une heure bien matinale pour des types qui bossent chez Gameblog (9h30 environ, rendez-vous compte) que nous avons été accueillis dans les locaux du développeur parisien. Un petit café et quelques croissants, le temps que tous les journalistes invités arrivent, et nous voilà transférés de la cafèt' du rez-de-chaussée au fameux studio de motion capture maison. Là où la magie des productions Quantic Dream (mais aussi à l'occasion de bon nombre d'autres studios, qui peuvent en louer les services) opère depuis tant d'années.

Vous vous en doutez, l'idée n'était évidemment pas de nous refiler des combinaisons en lycra et de nous proposer une petite séance de performance capture pour un petit rôle de dernière minute - quand bien même cela nous aurait bien plu. Non, cette gigantesque pièce sombre avait été réorganisée avec une série de bureaux, de PS4 Pro et de téléviseurs 4K pour nous permettre de plonger dans les meilleures conditions possibles dans Detroit : Become Human, depuis le tout début du jeu et pendant deux heures environ.

Petit préambule

Avant cela tout de même, David Cage a tenu à nous accueillir avec un petit discours d'introduction, visant à nous présenter son prochain jeu. Il a rapidement abordé son univers, son développement, et plus globalement ce qu'il représente à ses yeux et pour tous les membres du studio...

Nous créons ce type de jeux depuis 21 ans maintenant. Nous avons grandi plutôt que vieilli, et nous avons mis tout ce que nous sommes dans celui-ci. (...) Nous pensons sincèrement qu'il s'agit de notre meilleur jeu.

Tout a commencé en 2012 avec une impressionnante démo technique sur PS3, "Kara", dans laquelle une androïde à peine sortie de sa chaîne de montage ouvrait pour la première fois les yeux et répondait aux mille questions d'un employé de l'usine, semble-t-il chargé de vérifier son bon fonctionnement. Sauf que cette androïde indique qu'elle veut "vivre", et se trouve ainsi à deux doigts de se faire désassembler pour défaut de fabrication. Elle se voit finalement épargnée, après avoir supplié son vis-à-vis, les larmes aux yeux. Une superbe séquence (à voir ou revoir par-ici), soutenue par un visuel splendide et un jeu d'acteur très convaincant, qui a fait mouche à l'époque et aura donc servi de base à la création de Detroit : Become Human. David Cage et ses équipes ont d'abord voulu imaginer quel monde existait par delà les murs de cette usine de robots, avant d'y inscrire une histoire à nouveau construite sur les destins croisés de plusieurs protagonistes.

Nous ne sommes pas des robots

Qu'est-ce qui fait de nous des êtres vivants ? D'où nous viennent notre conscience, notre âme, nos sentiments ? Pourquoi des êtres qui nous seraient parfaitement semblables et seraient autant voire plus intelligents que nous ne pourraient-ils pas en développer ? Ce sont là quelques-unes des questions centrales qui sont posées dans Detroit. Le joueur y sera constamment confronté, se questionnera, et y apportera lui-même ses éléments de réponse en choisissant son propre chemin.

La question n'est pas "cela va-t-il se produire", mais "QUAND cela va-t-il se produire". Que se passera-t-il lorsqu'ils seront là ? Il y aura par exemple des gens visuellement humains qu'on traitera comme des machines... Est-ce qu'une conscience va émerger de cette puissance de calcul, ou est-ce que la conscience, c'est autre chose ? Ce sont les machines qui répondront à cette question, mais dans Detroit j'ai choisi cette hypothèse : oui, une forme de conscience va émerger.

Quantic Dream n'a pas la prétention de faire ici une "version jeu vidéo d'Asimov", nous a confié David Cage, ni de répondre à toutes les questions qu'il pose, mais de raconter sa propre histoire autour d'elles, et à l'intérieur de cet univers d'anticipation situé tout juste 20 ans devant nous.

Welcome to Androïd City

Nous sommes donc en 2038, à Detroit. Une ville qui n'a évidemment pas été choisie au hasard, elle qui a été au centre du monde lors de la révolution automobile et qui, après les années de dépression qui ont suivi, connaît (dans le jeu) un nouvel âge d'or grâce à la société Cyber Life, leader de la fabrication d'androïdes.

J'ai fait beaucoup de recherches sur Detroit, cette ville se connectait parfaitement à notre histoire. On est allé là-bas pour s'imprégner, pas seulement pour prendre des photos. On a rencontré des gens et senti une énergie incroyable. Cette ville a connu des hauts et des bas et elle est en train de renaître de ses cendres. On a imaginé qu'elle redeviendrait une ville au centre du monde à travers la révolution des androïdes.

On ne voulait pas faire de la pure science-fiction mais de l'anticipation, on a fait évoluer des technologies qui existent aujourd'hui, au moins dans des laboratoires. La seule chose qu'on a véritablement extrapolé, ce sont les androïdes. Le reste pourra certainement exister dans 20 ans.

La session de deux heures de jeu qui a suivi cette petite introduction nous a ainsi permis de découvrir cette fameuse vision anticipée de Detroit, à travers une dizaine de séquences différentes. La technologie futuriste y est présente partout, mais sous forme suffisamment crédible pour une projection dans 20 ans. Une sorte de prolongement de celle qu'on connaît ou de celle qu'on voit naître aujourd'hui, avec cette tendance accentuée à la rendre de moins en moins visible et de plus en plus élégante, pour reprendre les termes des développeurs. Au delà du design des différents éléments urbains (bus et voitures, interfaces holographiques...) ou encore des habits portés par les passants, les rues de Detroit et la vie qui s'en dégage pourraient nous paraître familières, si l'on n'était pas de suite frappé par LE véritable changement radical : la présence des androïdes.

Ils sont partout, dans toutes les strates de la société, dans le public et dans le privé. Ils savent tout faire, de manière plus pointue, plus précise et efficace que nous, mais immédiatement on les sent rejetés, on les voit discriminés, à chaque coin de rue. Éboueurs, agents publics, coachs sportifs, ouvriers, vendeurs... une partie non négligeable de la population les déteste, les juge coupables de voler le métier des autres, tandis que l'ensemble de la société les traite en tous les cas comme de vulgaires machines malgré leur forme humaine et ce qui s'ensuit.

Tchi-tchaaa

Cet univers d'anticipation, cette société où nous côtoierions de tels androïdes, nous est apparu comme l'un des premiers points forts de Detroit : Become Human, par son style et par sa relative crédibilité. L'esthétique est également très soignée, avec toujours cette "patte" artistique propre à Quantic Dream. Et pour ne rien gâcher, le nouveau moteur maison fait carrément des merveilles. Le jeu est en effet magnifique, d'abord parce que le procédé de performance capture, signature du studio, est vraiment de plus en plus bluffant, mais aussi parce que le rendu cinématographique de l'image vient lui aussi participer à rendre l'ensemble si confondant de réalisme. À ce sujet, David Cage nous a confié avoir eu recours pour la première fois à un véritable directeur photo, oeuvrant habituellement dans l'industrie cinématographique. Il a notamment été utile pour améliorer l'effet de profondeur de champ, qui simule des focales de type cinéma aussi bien dans les séquences pré-calculées qu'en plein jeu. Verdict : ça se ressent immédiatement, dès les premières séquences du jeu.

Toujours côté réalisation, l'autre élément qui m'a particulièrement frappé tient dans les différences visuelles de chacune des séquences du jeu auxquelles nous avons joué. Detroit est en effet découpé comme tous les jeux de Quantic Dream : on passe d'un lieu à un autre et d'un personnage à un autre comme autant de petits chapitres. Et chacune de ces scènes avait véritablement une "couleur" différente, une atmosphère unique. C'était vraiment frappant, on changeait constamment d'ambiance avec parfois des grands écarts qui se matérialisaient à la fois par la situation et par le rendu visuel. Ça m'a notamment sauté aux yeux durant une phase d'enquête avec Connor, dans une maison sombre et crasseuse, qui avait une teinte unique et absolument magnifique.

Un travail spécial a également été fait sur les musiques, et il vise lui aussi à différencier chaque séquence ainsi que chaque personnage. Les séquences avec Kara, Marcus et Connor ont en effet été composées par trois artistes différents, pour leur donner à elles aussi une "couleur" particulière, participant à souligner les différences de caractère qui distinguent ces trois androïdes et leurs histoires. Bien vu.

Plus Heavy Rain que Beyond ?

Mais parlons plus précisément du jeu en lui-même, puisque nous avons eu le privilège d'en parcourir les deux premières heures à travers une dizaines de séquences plus ou moins longues (en général entre 5 et 15 minutes, dirais-je). Ces dernières nous ont permis de prendre le contrôle et de faire connaissance avec chacun des trois protagonistes, tous androïdes. Connor (Bryan Dechart en V.O., Donald Reignoux en V.F.) est au service de la police de Detroit, pour qui il exerce en tant que négociateur.

Marcus (Jesse Williams) et Kara (Valorie Curry), eux, sont des androïdes domestiques, l'un au service d'un artiste fortuné vivant dans une somptueuse maison, et l'autre au service d'un père seul et de sa fille, dans une ambiance aux antipodes qui, comme vous aviez pu le découvrir à l'occasion de la PGW, verse carrément dans le glauque. Autour de ces trois personnages principaux gravite à chaque fois un être humain qui leur est intimement lié : une innocente petite fille pour Kara, un coéquipier bourru pour Connor (joué par Clancy Brown) et un riche peintre en fauteuil roulant (Lance Henriksen) pour Marcus, qui en est la propriété. Vous les avez découvert récemment dans une nouvelle bande-annonce à revoir par-ici.

Côté gameplay, Kara, Marcus et surtout Connor ne se jouent pas de la même manière. Ce sont des androïdes conçus et programmés pour accomplir des tâches différentes, et ils ont donc des fonctionnalités différentes. Si Marcus et Kara sont des androïdes domestiques, qui accomplissent donc des tâches du quotidien (ceux qui ont adoré détester le début de Heavy Rain vont se régaler au début de Detroit également, quand il faudra ranger le salon ou faire le petit déj'), Connor, lui, profite de fonctions d'enquêteur qui ne vont pas sans rappeler celles de Norman Jayden, le profiler du FBI de Heavy Rain.

Le jeu s'ouvre d'ailleurs sur la fameuse séquence dévoilée à l'E3 2016, celle où Connor a pour mission de négocier au mieux une prise d'otage sur le toit d'un immeuble. Une séquence idéale pour apprécier le retour de cette fameuse construction à multiples embranchements initiée dans Heavy Rain (et un peu lâchée dans Beyond), qui est cette fois bien plus complexe qu'à l'époque, comme nous avons pu le constater (tandis que chaque protagoniste peut à nouveau mourir et laisser l'histoire continuer pour autant).

Elasticité 2.0

Sans vous spoiler quoi que ce soit (ce que je efforcerai de faire tout au long de ce texte), le fait que chaque scène du jeu se termine par un schéma présentant les différents embranchements choisis (et ignorés) nous a permis de constater que six fins de mission différentes étaient possibles dans cette séquence d'ouverture.

Chacune de ces fins aurait une incidence sur le reste de l'aventure, bien sûr, mais surtout nous avons pu constater quelques découvertes optionnelles à l'intérieur de cette grande arborescence. Certaines sont là pour mener vers un embranchement ou un autre, mais certaines autres ne menaient à rien de spécial, et apparaissaient pourtant en doré sur le fameux schéma. Information prise auprès d'un développeur, il s'agit de "déclencheurs", c'est à dire de petits événements dans une scène qui auront un impact plus ou moins fort sur une autre, même lointaine. C'est précisément grâce à cela qu'on est ici dans un déroulement plus proche de Heavy Rain que de Beyond : on ne s'écartera pas d'un chemin pour recoller plus tard à une histoire linéaire, chaque option vous éloignera vraiment des autres. David Cage :

Le point de départ qu'on s'est donné pour Detroit, dès le premier jour de l'écriture, c'était de créer le jeu le plus non-linéaire possible, le plus élastique, ou "bending" comme on dit en anglais ; d'avoir une arborescence qui soit la plus ample possible, pour vraiment donner au joueur le sentiment d'impacter l'histoire à travers ses actions. On a voulu aller au bout de l'idée, il va y avoir des scènes entières qu'on verra ou non en fonction de sa partie. Ce sera parfois des parties de scène, parfois des scènes entières, et parfois même des branches entières du jeu qui dépendront intégralement des choix du joueur.

Attention, ne vous attendez pas pour autant à avoir la même "élasticité" dans toutes les séquences. Si la première est un bon exemple de choix et de conséquences multiples, d'autres se déroulent plus simplement, plus linéairement, tandis que certaines autres ont des déroulements plutôt complexes aboutissant à une seule fin possible (mais parfois avec ces fameux "déclencheurs" dorés dont on sait qu'ils auront une incidence plus tard).

On attendra d'avoir la version finale entre les mains pour mieux juger cet aspect, mais en l'état, après deux heures de jeu, le fait de constater de visu après chaque scène cette fameuse arborescence (et on peut revenir à chaque moment charnière d'un "niveau" pour tenter une autre route, contrairement à Heavy Rain) nous a laissé une bonne impression d'élasticité. Cette dernière reste évidemment à confirmer, quand on aura eu l'occasion de plus avancer dans le jeu. Les premières séquences visaient en effet surtout à introduire les différents personnages et l'univers, et l'on sentait bien que les choix les plus cruciaux étaient pour plus tard.

Réalité augmentée

Mais revenons plus précisément au gameplay. Dans les grandes largeurs, Detroit se joue globalement comme les deux plus récentes productions Quantic Dream. On déplace le personnage avec le stick gauche, tandis que le stick droit permet à la fois de déplacer la caméra et d'interagir avec les objets et l'environnement. Cette double utilité nous a d'ailleurs posé quelques petits souci parfois, lorsque la caméra se mettait à bouger alors qu'on voulait déclencher une interaction (ou le contraire). Pas bien méchant, mais il faut s'y faire. Pour le reste, le jeu propose encore une fois pas mal de QTE qui, comme attendu, sont là pour dynamiser certaines séquences d'action. De manière plutôt efficace soit dit en passant, et peut-être un peu plus corsés que d'habitude. Ces QTE, évidemment, auront également leur importance dans les cheminements qui seront les vôtres dans l'histoire : les réussir ou les rater pourra vous faire aller dans un embranchement ou un autre.

Comme je vous l'expliquais plus haut, chacun des trois protagonistes est un androïde aux fonctionnalités différentes, et vous aurez accès à leurs spécificités via la touche R2, qui déploie une sorte d'interface en réalité augmentée. Dans le cas de Connor, cela déploiera des menus liés à ses investigations. Il peut analyser directement du sang (ou du sang bleu de robot) en portant un échantillon jusqu'à sa langue, suivre une piste en changeant de mode de vision, mais aussi collecter des indices qui lui permettront in fine de reconstituer les événements via une espèce de magnétoscope (avance et retour rapide) en réalité augmentée. De leurs côtés, Marcus et Kara pourront afficher une liste de tâches ménagères à cocher, des indices visuels sur leur prochain "objectif", ou encore lancer une sorte de GPS leur indiquant le chemin vers leur destination.

Bien sûr, ces fonctionnalités seront évolutives et dépendront de la situation, et comme vous le savez si vous suivez un peu l'actualité du jeu, Kara et Marcus auront tôt fait de quitter leur rôle de robots domestiques pour embrasser une destinée plus importante. Question interface et possibilités, on a senti que bien d'autres choses restaient à découvrir.

Ce qui était étonnant en tout cas, c'était de constater toutes les informations présentes à l'écran en cours de mission. Heavy Rain et Beyond se refusaient de dévoiler visuellement les embranchements à la fin d'une séquence, mais aussi et surtout toute autre information en cours de jeu visant à vous informer de la tournure que vous étiez en train de faire prendre aux événements, mais ici c'est tout le contraire ! Pour reprendre l'exemple de la toute première séquence, la prise d'otage, chaque indice trouvé dans l'appartement faisait apparaître clairement à l'écran un pourcentage de probabilité de réussite de la mission.

Ce pourcentage pouvait ensuite baisser ou monter encore en fonction des dialogues qu'on choisissait d'avoir avec le preneur d'otages. Un principe qui sera repris dans bien d'autres séquences par la suite - que je me garderai de vous décrire précisément pour ne pas vous en dire trop sur l'histoire - où vos relations avec d'autres personnages sont ainsi soumise à une dimension mathématique visible à l'écran. Pour en avoir discuté avec David Cage, cet élément permet selon lui à la fois de sentir l'impact qu'on peut avoir sur le déroulement du jeu, tout en étant tout à fait explicable puisqu'on incarne, dans un futur proche, des machines capables d'analyser ces situations.

ON L'ATTEND... IMPATIEMMENT !
Deux heures, c'est court quand on passe un bon moment. Et ce fut le cas lors de cette première découverte de Detroit : Become Human. J'ai l'impression frustrante d'avoir eu à lâcher la manette au moment où l'histoire allait vraiment commencer, tout juste après avoir eu simplement le temps de "rencontrer" les différents personnages et l'univers dans lequel ils vivront leurs destins croisées. Je suis impatient de pouvoir vous en dire plus, très probablement dans le test maintenant, mais mes premières impressions sont donc très bonnes et laissent augurer d'un très bon jeu Quantic Dream, dans la même veine que les précédents mais plus ouvert, plus varié et encore mieux maîtrisé. Detroit semble incarner une excellente synthèse entre Heavy Rain, pour ses multiples personnages et son système d'embranchements, et Beyond, pour son impressionnante maîtrise dans la narration et la présentation cinématographique. Le jeu est tout bonnement magnifique visuellement, promet quelques surprises dans son déroulement et touche à un sujet de fond qu'on espère traité avec talent.