... et si tout cela était faux ? Et si Joakim Mogren n'existait pas ? Et s'il ne s'agissait que d'une image de synthèse générée par le nouveau moteur graphique de Kojima Productions, le Fox Engine ? Et si Kojima, une fois de plus, nous avait entraîné dans une communication inédite ? 

"Impossible ! C'est évident qu'il s'agit d'un véritable acteur, la technologie actuelle ne peut offrir ce genre de rendu". Voilà ce que de nombreuses personnes extrêmement censées déclarent à la vue de ces images. Et j'aurais spontanément envie de me placer dans leur camp. Mais revoyons la séquence au ralenti... 


Les faits

En regardant attentivement la vidéo, de nombreux points sautent aux yeux.

Les deux intervenants de cette vidéo ne se croisent jamais, ne sont jamais filmés ensemble, ne se serrent pas la main... et sembleraient presque dans deux lieux différents. On se demanderait presque s'ils se sont vraiment rencontrés...

Le fond sombre derrière Joakim Mogren permettrait-il de faciliter des effets visuels en gommant certaines ombres ? Le port des bandelettes serait-il un avantage décisif pour concentrer tous les efforts de modélisation / animation / rendu sur "seulement" deux zones : le regard et la bouche ?

Les attitudes surjouées de Mogren ne seraient-elles pas là aussi pour rendre le travail d'animateurs présumés plus simple, car un peu moins "subtil" ? Le fait qu'il ferme  si souvent les yeux serait-il un autre indice, tant créer un regard crédible reste complexe ? 

Et puis cette interview n'en est pas une. Mogren ne répond à rien. Alors pourquoi ? Juste pour dire qu'il sera présent à la GDC ? Un peu court non ? Simple communication légère... ou bien y aurait-il autre chose à voir ou comprendre ?

Et là, est née la théorie cosmique de l'acteur virtuel. Alors, impossible ?

Rendre l'impossible, possible

Mais rendre possible, l'impossible... ne s'agit-il justement pas du mot d'ordre de Kojima ? L'état d'esprit qu'il prône depuis sa dernière intervention à la Game Developpers Conference en 2009. En parlant de la GDC, mercredi 27 mars, vous noterez que le père de Metal Gear tiendra une nouvelle keynote. Son titre ?

Le photoréalisme à travers les yeux du FOX.

Dans la galaxie Kojima, jusqu'à présent rien n'a vraiment été distillé au hasard.  L'homme aime jouer avec son public. Etre là où on ne l'attend pas. L'un des thèmes de Kojima n'a-t-il pas déjà été la manipulation des masses ? Les avancées technologiques permettant de maquiller la vérité ? Le La-li-lu-le-lo, les Patriotes...

Cela étant, il ne vous aura pas échappé, que depuis quelques mois, la communication autour du nouveau moteur se fait toujours sur ce point : le photoréalisme. 

C'est d'ailleurs ainsi que l'équipe de PES 2014 qui utilisera le Fox Engine, a procédé. Une image. Une vision. Un visage virtuel si proche du réel. Le photoréalisme.


A gauche le virtuel, à droite le réel...

Et si pour réussir à exister face aux médiatiques Unreal Engine, CryEngine, Unity ou encore Frostbite, Kojima avait trouvé une ruse ? Pas de démo technique traditionnelle... mais un tour de force, donner vie à un acteur virtuel ! Même l'espace de quelques plans...

Un pari fou

Le pari semble fou. Mais revenons en arrière. En 2008 plus précisément. Et regardons ensemble cette vidéo. Bonjour Emily...

Voilà ce qu'était capable de créer Image Metrics il y a maintenant 5 ans. Alors même si ce n'était pas parfait, confessons que le résultat se révélait déjà bluffant. Alors imaginez ce qui pourrait être possible de générer aujourd'hui... surtout sur un visage couvert de bandages et concentrant ressources et efforts sur le regard et la bouche.

Pour en avoir le coeur net, j'ai contacté des spécialistes des effets spéciaux et de la retouche d'images. Une question simple : à vos yeux, cet homme est-il réel ou virtuel ? Chacun choisit son camp et argumente.

Il s'agit d'un acteur bien réel

Stephan Kot, co-fondateur et motion designer chez WIP Studio

"Je ne vais pas donner un point de vue catégorique sur une vidéo vue sur le net, mais en tout cas, je ne pense pas que la personne qu'on voit soit en images de synthèse. 

En fait, il s'agit tout simplement de ce qu'il y a de plus difficile à reproduire, et c'est fait ici à la perfection. Même dans certains films, ce n'est pas fait avec autant de précision. 

Il existe une technique qui s'appelle la videogrametrie, qui permet de reprojeter une vidéo d'une personne filmée sous tous les angles sur un modèle 3D animé pour reproduire les mouvements faciaux. C'est ce qui nous permet aujourd'hui d'avoir le meilleur rendu et permet de rajeunir/vieillir un comédien, comme Brad Pitt dans Benjamin Button. 

Mais ces techniques coutent très cher, sont extrêmement longues à produire. Pourquoi se prendre la tête à le faire pour une interview sur un jeu vidéo, franchement ? 

Et si ça avait été le cas, ce mec aurait dans les mains la technologie de reproduction d'humain la plus évoluée du monde. Plus besoin de se faire chier à se maquiller, il revend le système, sa fortune est faite ! 

Par contre, je suis d'accord, le rendu est bizarre. Mais je pense que c'est plutôt dû au fait que les 2 personnes ne se trouvent probablement pas l'une en face de l'autre. La lumière est différente, le décor semble différent aussi. 

Et puis, ton cerveau analyse qu'il y a quelque chose de bizarre parce qu'il manque un plan d'introduction qui te situe l'action et qui te permettrait de comprendre où se trouve qui. C'est de la grammaire de base de cinéma, mais comme ça manque ici, on se dit que quelque chose ne va pas." 

Nicolas Lacroix, post-producteur

"J'ai regardé la vidéo et je t'avoue qu'il me semble quasi impossible que le mec aux bandages soit en 3D. Même si la qualité de la vidéo n'est pas excellente je suis presque formel. Il y a trop d'imperfections et de mouvements variés dans les paupières et la bouche. Le faire en CG (Computer Generated) serait peut-être jouable mais il faudrait un rig, ou un setup si tu veux, reproduisant tous les muscles de la bouche, des paupières, des yeux (celui du cou est plus simple), qu'il faudrait ensuite animer un lipsynch (une synchro des lèvres) intégrant aussi des mimiques qu'il fait...

Bref, même un dieu de l'animation photoréaliste ne pourrait pas faire cela avec les outils actuels. Ou alors il serait d'un niveau dépassant tous les studios ILM, WETA, etc...

La seule possibilité serait un genre de motion capture de la mort, un scan animé du vrai visage d'un mec avec une définition énorme mais je ne crois pas que ce soit jouable actuellement et si c'était le cas ça n'aurait pas de sens... ça revient à filmer quelqu'un, finalement.

En somme pour moi à moins d'une technologie et d'une recherche encore inconnue des grands studios VFX et d'un département R&D de folie...

Mais je ne vois vraiment pas le délire, les images des cinématiques seraient tellement en dessous de ce travail que ça n'aurait pas d'intérêt. D'autant qu'on en revient à la différence que, nous, pour calculer une image 3D très haute def', il nous faut parfois attendre 7 heures. Pour calculer UNE image.

Et en re-regardant la vidéo... non c'est juste tourné en réel, vraiment !"

Il s'agit d'un acteur virtuel

Bastien, monteur, étalonneur, VFX artist

"A 80%, je pense qu'il est virtuel. Pour 2/3 détails, au niveau du rendu de la texture des bandelettes, il y a quelque chose qui ne matche pas avec la peau. Les détails du bandage filmés avec un capteur vidéo devraient causer un peu plus d'aliasing. 

Les mouvements ne font pas assez naturels. Le rendu de la peau est un peu trop plastique sur certains plans. Ca ressemble plutôt à un coup d'éclat de motion capture du visage. 

En revanche, soyons clair : ça ne peut pas être du temps réel ! Pour atteindre ce niveau, il faut obligatoirement du pré-calculé. Et ça a dû leur prendre quelques mois, pour la capture et la modélisation."

Encore un peu de patience...

Si les spécialistes paraissent globalement s'accorder sur le fait qu'il s'agit d'un acteur bien réel, un léger doute artistique semble encore planer. 

Reste une certitude : depuis la diffusion de cette vidéo, vendredi dernier, la sphère internet s'est enflammée. Une boule de feu de suppositions, de rumeurs, d'affirmations jetée en pâture aux lecteurs. Joakim Mogren ne serait autre que Cliff Bleszinski. The Phantom Pain serait un jeu PS Vita. Geoff Keighley serait le fils caché du patron de Konami. Hum, non, pas celle là...

Cliff ? C'est toi ? Meuuh nooooon... (image © Kotaku) 

Enfin, puisque tout le monde participe, il n'y a pas de raison que je n'y contribue pas. Allez, voici donc ma théorie personnelle :

Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un acteur virtuel. Mais il est possible que quelques passages soient "virtuels"... histoire de montrer qu'on peut désormais mélanger réel et virtuel, sans que l'on s'en rende vraiment compte. 

Nous serons bientôt fixés. Vous l'aurez compris, il s'agit de tenter de démêler le vrai du faux. Et d'extrapoler un peu. De rêver aussi. Cela fait partie de la magie du jeu vidéo, et de la folie de ce teasing Kojimesque. Un Kojima qui doit bien s'amuser en ce moment de constater ce que génère aujourd'hui son teasing. Quelle que soit la vérité.

Je conclurai en citant le crédo d'Assassin's Creed, un jeu qu'apprécie tout particulièrement Hideo Kojima :

Rien n'est vrai, tout est permis.

 ... au moins jusqu'au 27 mars. La conférence sera alors à vivre en vidéo live sur Gameblog. D'ici là, qu'en pensez-vous ?