En 2010 les petits génies de Retro Studios avaient impressionné leur monde en ressuscitant brillamment la licence Donkey Kong Country. Le terme réinventer serait d’ailleurs plus exact tant Returns s’était révélé radicalement différent des 3 opus originaux de la Super Nintendo, de sa direction artistique très cartoon jusque dans ses racines de gamedesign. Le titre n’était pourtant pas dénué de défauts de jeunesse (rappelons que Retro studios n’avait jamais développé de jeux de plateforme auparavant) : une direction artistique et une OST fadasses, une difficulté pas toujours bien réglée, une bestiaire sans charisme, certains mondes assez peu inspirés et des motion controls plus irritants qu’autre chose.

 

Que vaut sa suite, Tropical Freeze ? Il est clair que l'intention des développeurs n’a pas été de réinventer la poudre. On ne peut cependant pas les taxer d’avoir développé une suite facile. Partant sur les fondations solides de Returns, ce second épisode consolide et améliore la formule pour livrer un produit d’une finition irréprochable et d’une générosité peu commune.

 

La première chose qui frappe est l’énorme soin apporté au visuel. Le rendu volontairement rondouillard profite au maximum de l’affichage en 2,5D, ce qui donne l’impression d’évoluer au sein d’un monde vivant. Les artistes ont par ailleurs effectué un gros travail pour sortir des sentiers battus. Passé un premier monde convenu, c’est un festival d’idées et de couleurs, mention spéciale pour la savane. Chaque niveau a une identité visuelle propre qui le rend unique et facilement mémorisable. La partie musicale a également bénéficié d’un traitement privilégié. De retour à la baguette, David Wise ne s’est pas fait prier pour livrer une OST d’anthologie, variant à merveille remix bien sentis et nouvelles compos inspirées qui puisent dans son immense culture musicale (du jazz au métal en passant par le funk et l’orchestral, sans oublier les plages plus atmosphériques chères à son coeur).

 

Le gameplay a quant à lui peu évolué depuis Returns et c’est avec joie qu’on retrouve la même précision, tant dans les déplacements que dans les hitbox. La prise en main est toujours aussi vive, précise et immédiate malgré la lourdeur de l'âne singe. En quatre ans, on a en revanche largement gagné en confort de jeu. Oubliés les motion controls hasardeux et la croix de la Wiimote qui fait souffrir le pouce. Les roulades et les interactions avec le décor s’effectuent désormais vis un bouton (dieu merci) tandis que la divine croix directionnelle du Gamepad/Pro controller se révèle parfaitement adaptée. Deux autres changements sont à noter, a priori anodins mais qui modifient considérablement la donne manette en main. Le bouton de course a été supprimé ce qui oblige à reconsidérer en profondeur la façon d’appréhender les déplacements : la maîtrise de la roulade enchaînée immédiatement avec un saut est désormais primordiale. Par ailleurs à Diddy ont été rajoutés deux autres personnages d’aide : Dixie et Cranky. Si Dixie fait office de doublon (elle n’est rien de plus qu’un Diddy amélioré), Cranky est un ajout de taille qui devient très vite jouissif à jouer dès qu'on a maîtrisé son pogo stick.

 

De par sa régularité dans l’excellence, le level design de Tropical Freeze se place plusieurs crans au-dessus de celui de Returns, qui alternait malheureusement entre niveaux grandioses et stages plus médiocres. En raccord avec le visuel, chaque niveau apporte son lot d’idées nouvelles de telle sorte qu’on a jamais la sensation de parcourir deux fois le même. C’est particulièrement vrai pour les stages en chariot et en tonneau fusée qui, bien plus travaillés et mieux rythmés profitent d’une utilisation très maligne des jeux de perspectives (on pensera à l’excellent niveau 4-2 particulièrement inventif de ce point de vue).

 

Au-delà de cet effort de diversité c’est la multiplicité de niveaux de lecture qui impressionne. Chaque stage a été conçu de façon à pouvoir à être parcouru de trois façons : en ligne droite, en récupérant les items (lettres  Kong et pièces de puzzle) et en speedrun. Une telle rigueur formelle force le respect. De ce fait, le jeu s’adresse à tous les publics. Pas vraiment difficile en soi pour qui souhaite simplement le finir en ligne droite (d’autant que les développeurs ont pensé à implémenter des artifices pour contourner la difficulté et éviter ainsi la frustration), le challenge se révèle déjà plus corsé dès lors qu’on vise le 100%. Il n’oublie pas non plus les joueurs les plus aguerris en proposant deux défis de taille : un mode difficile et un contre-la-montre.

 

Tropical Freeze n’est ni plus ni moins que la nouvelle référence du genre. C’est un très grand jeu qui fait la synthèse de 30 années de jeux de plateforme en 2D, trait d’union magistral entre le classicisme de l’école Nintendo et la modernité. On pourrait certes lui adresser de menus reproches comme le fait d’être très (trop ?) proche de Returns dans le fond, de conserver par tradition certains archaïsme de gamedesign (notamment les vies) ou d’avoir à nouveau bâclé le mode 2 joueurs.  On ne saurait cependant lui en tenir rigueur tant il excelle par ailleurs. Pas la perfection, mais presque.