J'ai commencé en tant que salarié après être sorti de l'université. Mon père était également un employé typique qui travaillait sur une chaîne d'assemblage, et je pensais alors suivre la même voie tout en gardant la programmation, la composition et l'infographie comme des passe-temps.

GAMEBLOG : Dans votre jeunesse, vous jouiez du trombone, aviez un intérêt particulier pour la musique classique, et possédiez des capacités en programmation (n'est-ce pas ?). Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes devenu designer sonore, avec l'intervention de Satoshi Tajiri et votre travail sur Mendel Palace ? Est-ce que ce fut difficile ? Quelle a été votre méthode de travail ?

Junichi Masuda : Mon premier vrai travail en tant que compositeur de musique de jeux vidéo a eu lieu en 1987. Je suivais alors des cours à l'université, et connaissais déjà Satoshi Tajiri. GAME FREAK n'existait pas encore, mais il m'a demandé de composer la musique de Mendel Palace. J'ai trouvé l'idée amusante et j'ai donc décidé de m'y essayer. Nous étions des développeurs indépendants à cette époque. Je possédais une Famicom (NES), et avais donc une idée des sons que la console pouvait produire. Ceci dit, ce fut un véritable défi de créer des musiques en tenant compte des limites matérielles. En effet, la Famicom ne peut émettre que trois sons à la fois, il a donc fallu apprendre à composer des musiques à trois voix, comme certaines oeuvres de Bach, afin de trouver le moyen de créer des thèmes entraînants malgré les limitations.

Je crois savoir que vous écoutez plutôt de la musique électronique, alternative. Pouvez-vous nous indiquer un ou deux artistes parmi vos favoris ? Sont-ils sources d'influence ?

J'écoute différents types de musiques. Lorsque j'ai commencé, mes premières inspirations furent des groupes électro tels que YMO (Yellow Magic Orchestra), Ultravox, et The Human League. Ceci étant dit, lorsque j'avais la vingtaine, je possédais déjà environ 1300 CD de musiques du monde entier dans une grande variété de genres. De la musique japonaise traditionnelle (gagaku) ou encore du taiko, en passant par le gamelan, musique traditionnelle indonésienne, jusqu'à la musique classique européenne, le rock, le jazz, la techno et j'en passe. C'est donc assez difficile de définir une influence en particulier.

Comment procédez-vous quand vous composez pour Pokémon ? Dans un RPG, la musique se répète souvent, en boucle, un défi difficile pour un compositeur...

Dans les anciens jeux tels que Pokémon Version Rouge et Pokémon Version Bleue, j'utilisais des techniques de programmation pour changer le moment où la musique reprend, de manière à la rendre différente, voire plus intrigante comparée à la boucle de départ. À cette époque, nous pouvions programmer la musique directement dans le jeu et modifier ces éléments. Dans les jeux récents, je tente désormais d'implémenter des détails dans la musique dont les joueurs ne se rendent compte qu'après l'avoir écoutée deux ou trois fois. C'est comme si vous découvriez de nouveaux détails dans un film après plusieurs visionnages.

Les jeux sont un divertissement, et ils doivent se vendre. Tout peut s'arrêter du jour au lendemain si les ventes ne suivent plus [...]

En tant que compositeur et acteur du jeu vidéo, vous avez commencé avec GAME FREAK et vous y êtes toujours aujourd'hui. N'avez-vous jamais eu envie d'ailleurs ?

J'ai commencé en tant que salarié après être sorti de l'université. Mon père était également un employé typique qui travaillait sur une chaîne d'assemblage, et je pensais alors suivre la même voie tout en gardant la programmation, la composition et l'infographie comme des passe-temps. C'est ce que j'ai fait la première année après avoir été diplômé. Je me rendais au travail normalement, et réservais mon temps libre à mes loisirs, la programmation, en apportant mon aide sur les jeux. Dans mon esprit, je m'imaginais mener une vie de salarié, me marier et fonder une famille «comme tout le monde». Pour être honnête, c'est difficile pour moi, aujourd'hui, d'imaginer une autre vie. Les jeux sont un divertissement, et ils doivent se vendre. Tout peut s'arrêter du jour au lendemain si les ventes ne suivent plus, mais ceci dit, je pense que le développement de jeux vidéo est un travail qui me correspond parfaitement. Il me permet de pratiquer tous mes passe-temps favoris : la composition, l'infographie, la programmation... J'ai toujours aimé créer, c'est donc un travail idéal pour moi.

Verra-t-on un jour un concert de musiques Pokémon ?

J'en serais plus que ravi, et serais le premier à m'y rendre !

Vous êtes, depuis longtemps désormais, producteur de la série de jeux Pokémon. Continuez-vous à penser comme un compositeur dans votre travail de direction ?

Vous savez, le travail d'un directeur est de créer un jeu vidéo, dont la musique n'est qu'une partie. La première des priorités reste donc d'imaginer de quoi aura l'air le jeu final. En tant que compositeur ou directeur musical, il faut réfléchir à quel type de musique ou de sons convient à une situation donnée, ou comment combler les trous. Il n'est pas rare de trouver des parties où il semble manquer quelque chose, et où il devient nécessaire de composer un thème pour combler ce vide. Le directeur du jeu est également confronté à ce genre de problèmes. Pour lui, il ne s'agit pas de combler le manque avec une nouvelle musique, mais de réfléchir à un nouveau gameplay. Par exemple, faire en sorte que le joueur traverse une zone à dos de Pokémon. Il m'est cependant difficile de réfléchir à un nouveau gameplay et de composer une nouvelle musique en même temps. Lorsque je suis amené à travailler sur les deux plans, je commence ma journée en décidant à quelle tâche je vais donner la priorité, et je m'y consacre pleinement jusqu'au jour suivant.